Actualité
12 fake news macronistes sur les
Gilets jaunes
(2ème partie)
Laurent Dauré
Jeudi 14 mars 2019
Nous continuons avec cette seconde
partie – la première est
consultable ici –
à examiner une sélection (ordonnée
chronologiquement) de fake news émises
ou relayées par le camp macroniste à
propos du mouvement des Gilets jaunes.
On y trouvera notamment quelques
envolées conspirationnistes Label rouge
sur lesquelles les médias dominants ont
eu la délicatesse de jeter un voile
pudique, quand ils n’ont pas eux-mêmes
contribué à les diffuser.
Fake news no
7 : Des comptes Twitter liés à la
Russie attisent la révolte des Gilets
jaunes
– Qui ? :
Différentes sources gouvernementales
anonymes, Team Macron (comme nous
l’avons vu dans la 1re
partie, il s’agit d’un important compte
Twitter semi-officiel dédié à la défense
de la Macronie ; il a changé de nom en
février et s’appelle désormais – de
façon aussi pompeuse qu’usurpée – « Team
Progressistes. »)
– Quand ? :
8 décembre 2018
– Quoi ? :
S’appuyant sur une étude de la société
de cybersécurité New Knowledge qui a
analysé l’activité d’environ 200 comptes
Twitter « liés à la Russie », le
quotidien britannique
The Times
affirme que Moscou cherche à amplifier
le mouvement des Gilets jaunes sur
Internet, notamment en diffusant des
photos de manifestants blessés lors
d’événements antérieurs. Le même jour,
l’agence américaine
Bloomberg publie un article
similaire, celui-ci basé sur les travaux
de l’organisation Alliance for Securing
Democracy portant sur 600 comptes
Twitter « connus pour leur promotion
des positions du Kremlin ». Sans
surprise, RT (tout comme son agence de
presse vidéo Ruptly) et Sputnik – les
Ural Suspects – sont également
accusés de manipulation de
l’information.
Plusieurs sources
gouvernementales font immédiatement
savoir à l’AFP que Paris prend ces
allégations très au sérieux. Jean-Yves
Le Drian, ministre des Affaires
étrangères, invité du « Grand Jury » sur
LCI/RTL/Le Figaro le 9 décembre,
déclare qu’une enquête est en cours.
Rattaché à Matignon, le Secrétariat
général de la défense et de la sécurité
nationale (SGDSN) est chargé de
coordonner les vérifications.
Dans
une interview au Parisien,
Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État
chargé du Numérique, déclare : «
Plusieurs nations dans le monde peuvent
avoir la volonté d’influencer les
démocraties occidentales pour les
déstabiliser. Il y a aussi des dizaines
de mouvements idéologiques qui n’ont pas
de frontières et qui ont aussi tout
intérêt à créer la division. La menace
est plus grande que la seule Russie. »
Moscou, une menace parmi d’autres,
mais une menace tout de même. Bienvenue
dans le monde paranoïaque de la gentille
Macronie assiégée par les méchants du
monde entier.
Les médias ont
largement rendu compte de cette énième
accusation d’ingérence russe, avec plus
ou moins de prudence et un usage souvent
très orienté du conditionnel (quand ce
mode était utilisé…) :
Le Monde,
Le Figaro,
Le Parisien,
L’Obs,
Les Échos,
Le Point,
Le Journal du dimanche,
LCI,
Europe 1,
RFI,
RTL,
La Croix,
Courrier international, etc.
Certains, peu nombreux, se sont
distingués en apportant un son de cloche
plus circonspect –
Libération,
France 24,
BFM-TV –, ils ont fait état d’une
autre étude aux conclusions différentes,
celle-ci réalisée par le chercheur en
cybersécurité Baptiste Robert (Elliot
Alderson sur Twitter), qui se fonde
sur plus de 250 000 tweets en anglais.
La
Team Macron a évidemment relayé avec
gourmandise les « révélations » du
Times. De même pour les habituels
braillards russophobes au service de
l’ordre euro-atlantiste, comme
Jean Quatremer (grand pourvoyeur de
fake news sur les Gilets jaunes – voir
Acrimed) et de
Caroline Fourest. Cette dernière a
montré une fois encore le rapport très
nonchalant qu’elle entretient avec les
faits puisqu’elle parle de «
centaines de faux profiles [sic]
russes créés pour tenter d’amplifier la
colère en France » ; or, l’article
ne dit ni que l’ensemble des 200 profils
sont faux, ni qu’ils ont été créés à
l’occasion du mouvement jaune fluo. Que
ce soit en 280 caractères, en 300 pages
ou en 52 minutes, l’honnêteté la plus
élémentaire fuit Mme Fourest.
Enfin, précisons
que le Kremlin a
démenti une quelconque implication
par la voix de son porte-parole, Dmitri
Peskov : « Toute allégation sur une
possible participation de la Russie
n’est rien d’autre que de la diffamation
».
– En fait :
Après s’être ingéré dans à peu près
toutes les élections et tous les
référendums qui ont eu lieu ces
dernières années dans les pays
occidentaux, le machiavélique Poutine a
encore frappé… Cette jamesbondisation
de la pensée dominante prêterait
seulement à rire si elle ne menaçait pas
autant la paix dans le monde. C’est
pourquoi il faut la combattre
inlassablement. Du fait de sa gravité et
de son caractère exemplaire, nous allons
consacrer à cette fake news
conspirationniste plus de place qu’aux
onze autres.
Intéressons-nous
tout d’abord aux deux organisations à
l’origine des études accusant une
nouvelle fois Moscou de déstabiliser une
innocente démocratie. La plupart des
médias n’en ont strictement rien dit,
comme si leur neutralité et leur
fiabilité étaient indiscutables.
New Knowledge est une société de
cybersécurité américaine prétendant
lutter contre la désinformation. Elle a
été fondée en 2015 par Jonathon Morgan,
un ancien conseiller du département
d’État, et Ryan Fox, qui a passé 15 ans
à la NSA et fut analyste spécialisé dans
les opérations militaires de
cyberdéfense pour l’armée américaine.
Des pedigrees si anecdotiques qu’il
était assurément inutile d’en informer
le public…
On peut lire sur le
site de New Knowledge : « Nous étions
la première organisation à l’extérieur
[hum…] de la communauté du
renseignement des États-Unis à
identifier la campagne russe visant à
influencer l’élection présidentielle
américaine. » Rappelons qu’en dépit
des innombrables affirmations du
contraire martelées par les soutiens
transnationaux de la va-t-en-guerre
Hillary Clinton, le dossier du «
Russiagate » est toujours dépourvu de
preuves probantes : voir
cet article d’Aaron Maté publié dans
Le Monde diplomatique ou
celui-ci de Glenn Greenwald dans The
Intercept ; même
NBC News commence à se résoudre à
admettre l’amère réalité (pour les
bouffeurs de Russkoffs).
S’il n’est
nullement démontré que Moscou a manœuvré
pour faire élire Donald Trump et a
fortiori que celui-ci est « la
marionnette de Vladimir Poutine » (au
passage, chacun peut constater que la
politique des États-Unis à l’égard de la
Russie reste hostile…), il est par
contre bel et bien établi que New
Knowledge a participé à une authentique
opération de manipulation de l’opinion,
ce qui n’a quasiment pas été relaté dans
les médias français. La société est en
effet activement impliquée dans un plan
complexe visant à favoriser le candidat
démocrate – Douglas Jones – lors de
l’élection sénatoriale en Alabama qui a
eu lieu fin 2017. Ce « projet Birmingham
» a été financé par un farouche partisan
de Mme Clinton, le milliardaire Reid
Hoffman, cofondateur de LinkedIn, via
le consortium American Engagement
Technologies (AET), à son insu
déclarera-t-il une fois l’affaire
révélée.
Un rapport interne
de New Knowledge, que le
New York Times s’est procuré,
contient un aveu on ne peut plus clair :
« Nous avons orchestré une opération
sophistiquée sous “faux drapeau” qui a
instillé l’idée que la campagne de Moore [le candidat républicain] était
intensifiée sur les médias sociaux par
un réseau de bots russe. » Comme le
rapporte trop discrètement
Le Monde sur son site Internet, New
Knowledge a procédé à « la création
de faux comptes Twitter d’apparence
russe [qui] se sont
abonnés au candidat républicain Roy
Moore, ce qui a pu jeter le doute sur
d’éventuels liens entre le candidat et
la Russie. » On attend que les
médias dominants donnent à ces éléments
instructifs la même exposition qu’ils
ont accordée à l’étude sur la prétendue
ingérence russe dans le mouvement des
Gilets jaunes.
Jonathon Morgan a
par ailleurs admis que la société qu’il
codirige « a bien créé une fausse
page Facebook diffusant des publications
en faveur du candidat démocrate en
Alabama, afin d’étudier la portée réelle
d’une telle utilisation de Facebook. »
C’était donc une expérience… Voilà
une bonne défense à soumettre à tous les
bidouilleurs pris la main dans le sac.
En tout cas Douglas Jones a remporté
l’élection – le 12 décembre 2017 – avec
un écart assez modeste : 50 % contre
48,3 % pour Roy Moore, qui était soutenu
par Donald Trump. Et, comme le dit
Les Échos, « Facebook a annoncé
avoir supprimé les comptes de cinq
personnes dont Jonathon Morgan pour
usage “inauthentique” de la plate-forme.
» La Team Macron, Jean Quatremer et
Caroline Fourest n’ont pas jugé
pertinent de tweeter à ce sujet.
Passons à l’Alliance
for Securing Democracy, qui a
produit la seconde étude médiatisée par
Bloomberg. Il s’agit d’un lobby
néoconservateur sauvagement anti-russe
qui affirme bien sûr que Moscou s’ingère
partout, manipule à l’envi et s’efforce
de saper les mirifiques démocraties
occidentales. Dépendant du German
Marshall Fund, un think tank
transatlantique, l’ASD se dit «
bipartisane », et elle réunit en effet
les interventionnistes les plus
virulents des deux principaux partis
états-uniens. Comme le montre bien
cet autre article de Glenn
Greenwald, on a ici affaire à une
composante à part entière de l’appareil
de sécurité nationale des États-Unis.
La composition du
comité consultatif de l’Alliance for
Securing Democracy est particulièrement
édifiante : Michael Chertoff (secrétaire
à la sécurité intérieure dans
l’administration de George W. Bush),
William Kristol (éditorialiste
néoconservateur fanatique et défenseur
zélé d’Israël), Michael Morell (ancien
directeur par intérim de la CIA ayant
prôné
publiquement des assassinats
punitifs de Russes et d’Iraniens), mais
aussi les « démocrates » Michael McFaul
(ambassadeur des États-Unis en Russie
sous Obama), Jacob Sullivan (conseiller
à la sécurité nationale du
vice-président Joseph Biden et de la
campagne Clinton), etc.
Les médias français
auraient-ils dû informer sur la nature
de l’ASD ? Poser la question c’est y
répondre. Une telle négligence relève
d’un aveuglement volontaire ; comme
cette organisation dit exactement ce que
les journalistes otanisés ont envie
d’entendre – en gros et sans beaucoup
caricaturer : « les Russes sont méchants
» –, il devient inopportun de mentionner
qu’il s’agit d’un lobby faucon dont la
vocation est littéralement de combattre
Vladimir Poutine en lui attribuant les
pires desseins. En accordant du crédit à
New Knowledge et à l’Alliance for
Securing Democracy, les médias dominants
alimentent cette paranoïa russophobe qui
nous entraîne vers une nouvelle guerre
froide encore plus irrationnelle et
volatile que la première.
Par ailleurs, la
méthodologie – en grande partie opaque –
des deux études est risible : nombre de
comptes observés, critères pour qu’ils
soient considérés comme « liés à la
Russie », etc. Lisons l’article de
France 24 déjà mentionné : «
Quant aux études qui accréditent la
thèse de l’ingérence russe, comme celle
du New Knowledge – “une jeune société
qui n’a pas encore produit d’étude
sérieuse sur le sujet”, estime Baptiste
Robert – ou Alliance for securing
democracy, elles partent avec un biais
de départ : elles monitorent des comptes
classés comme russophiles, analysent
leurs données, et en concluent que les
Russes s’engouffrent dans le mouvement
des Gilets jaunes. »
Puis la journaliste
de France 24 cite Olivier Costa,
politologue et directeur de recherche au
CNRS : « Compte tenu de l’importance
de la mobilisation sur les réseaux
sociaux autour des Gilets jaunes, les
tentatives d’influence russe sur le
mouvement constituent une goutte d’eau
dans un océan ». Un autre
journalisme est possible au sein des
médias dominants, la preuve : il existe
déjà.
Même Nicolas
Vanderbiest, bien connu des lecteurs de
ce site, écrit sur son
blog « qu’en l’état des choses,
il est impossible de prouver une
ingérence russe sur base des indicateurs
à notre disposition ». Et, dans un
article du
Journal du dimanche publié le 16
décembre, on peut lire ceci : « Selon
un cadre des services de renseignement,
la DGSE et la DGSI n’ont pour le moment
pas réussi à documenter une implication
directe des services russes dans la
diffusion de fausses informations ou de
rumeurs complotistes dans le cadre du
mouvement des Gilets jaunes. » Il est également
profitable de prendre connaissance de
l’interview du spécialiste des
stratégies de l’information
François-Bernard Huyghe sur
Atlantico.
Par ailleurs, les
articles du Times et de Bloomberg
parlent surtout d’une influence sur la
perception des Gilets jaunes dans le
monde anglophone et non en France, ce
que les médias hexagonaux n’ont pas
toujours correctement signalé. De plus,
il est question de Twitter alors que le
mouvement repose bien davantage sur
l’utilisation de Facebook. Bref, rien ne
tient debout dans ce « scoop »
conspirationniste relayé goulûment par
la Macronie. Quand on veut porter des
accusations sur l’ingérence d’une
puissance étrangère, ou bien on présente
des preuves solides, ou bien on se tait.
Notons qu’aucun
média ou commentateur installé ne s’est
interrogé sur la publication simultanée
de deux articles concluant à une
intoxication russe appuyés sur les
travaux de deux entités d’orientation
néoconservatrice liées aux services de
renseignement et à l’appareil de
sécurité nationale des États-Unis. Ils
s’interdisent manifestement d’envisager
l’hypothèse d’une ingérence américaine
dans les affaires françaises. À moins
qu’ils ne soient enclins à faire bon
accueil à la manipulation de l’opinion
publique quand celle-ci sert des
objectifs qu’ils approuvent.
Mais, au fait,
qu’en est-il des « vérifications »
annoncées par les autorités il y a plus
de deux mois ?
Le Parisien vient d’interroger à ce
sujet Nicolas Lerner, patron de la
Direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI) : « Où en est
l’enquête sur la possible ingérence
russe dans la crise des Gilets jaunes ?
» Voici sa (non-)réponse : «
Certains, en France ou depuis
l’étranger, ont indéniablement intérêt à
tenter de mettre en difficulté le
gouvernement et le chef de l’État à
l’occasion du mouvement en amplifiant
les “fake news” […] et en
propageant des contre-vérités. De telles
ingérences ne sont pas acceptables. »
Autrement dit : bredouille.
Fake news no
8 : Le SMIC va augmenter de 100
euros en 2019
– Qui ? :
Emmanuel Macron (président de la
République), puis l’ensemble de la
macronsphère
– Quand ? :
10 décembre 2018
– Quoi ? :
Sous la pression des Gilets jaunes et de
l’ample soutien dont ils jouissent dans
la population, Emmanuel Macron
annonce à la télévision une série de
mesures pour tenter d’éteindre la
révolte. La plus marquante est formulée
ainsi : « Le salaire d’un travailleur
au SMIC augmentera de 100 euros par mois
dès 2019, sans qu’il en coûte un euro de
plus pour l’employeur. »
Dans sa foudroyante
munificence, le locataire de l’Élysée
octroie d’autres largesses : « Pour
[les retraités] qui touchent
moins de 2 000 euros par mois, nous
annulerons en 2019 la hausse de CSG
subie cette année. » Il procède
également – comme Nicolas Sarkozy avant
lui – à une défiscalisation des heures
supplémentaires et fait appel au bon
cœur des patrons : « Je demanderai à
tous les employeurs qui le peuvent de
verser une prime de fin d’année à leurs
employés. »
Les troupes
jupitériennes au grand complet
claironnent ces éléments, notamment sur
le SMIC et la CSG, et la plupart des
médias en rendent compte en reprenant
sans discernement les termes macroniens,
du moins dans un premier temps. Le verbe
dominant tonitrue son message de
démobilisation : « Gilets jaunes, le
président a entendu votre colère et vous
a donné satisfaction, maintenant
dispersez-vous et tenez-vous tranquilles
! »
– En fait :
La prétendue « augmentation du SMIC de
100 euros » est en fait un avancement
des hausses successives de la prime
d’activité qui étaient déjà décidées
couplé à la revalorisation automatique
obligatoire (et rachitique) du salaire
minimum effective le 1er
janvier comme chaque année.
L’annonce
présidentielle est une manipulation à
plusieurs étages, on a ici affaire à un
tour de bonimenteur professionnel. Il
vaut la peine d’examiner en détail les
différents aspects de l’escroquerie :
(1) la prime
d’activité et le SMIC sont deux choses
différentes, augmenter une prestation
sociale (et en élargir l’assiette) ne
saurait constituer une revalorisation du
salaire minimum ;
(2) sur les 90
euros d’augmentation (dans le meilleur
des cas) de la prime d’activité
appliquée à partir du 5 février 2019, 80
euros étaient déjà prévus – avec des
hausses successives étalées entre 2019
et 2021 –, le président ne fait donc
qu’accélérer et compiler la mise en
œuvre de mesures prises bien avant le
mouvement des Gilets jaunes (et
annoncées dans le
programme du candidat Macron). En
réalité, la prime d’activité augmente
donc de… 10 euros ;
(3) tous les «
bénéficiaires » du SMIC n’ont pas droit
à la prime d’activité, l’éligibilité et
le montant dépendent de la situation
familiale et des ressources du ménage.
Comme on peut le lire
ici, « un salarié qui touche le
Smic (ou un salaire proche du Smic) peut
ne pas avoir droit à la prime d’activité
si l’autre membre de son couple touche
un salaire plus élevé que le sien »
(le plafond est par exemple à 1 787
euros nets par mois pour un célibataire
sans enfant et de 3 754 euros pour un
couple « biactif » avec deux enfants) ;
(4) l’obtention de
la prime d’activité n’est pas
automatique puisqu’il faut en faire la
demande, environ 30 % des travailleurs
éligibles ne le faisaient pas en 2018 ;
(5) la prime
d’activité, contrairement au SMIC brut,
n’est pas soumise aux cotisations
sociales, elle n’a donc aucun impact sur
le montant des retraites et de
l’assurance-chômage ;
(6) la prime
d’activité est payée avec l’argent
public, c’est-à-dire par l’ensemble des
Français, et non par les entreprises
comme c’est le cas du SMIC ;
(7) la prime
d’activité n’est pas un acquis ferme, à
l’avenir elle pourrait être supprimée,
amendée ou remplacée par une autre
disposition moins « avantageuse » ;
(8) la
revalorisation annuelle du SMIC est
obligatoire légalement (pour prendre en
compte l’inflation). L’augmentation au 1er
janvier 2019 de 1,5 % du SMIC brut – qui
passe à 1521,22 euros, soit une hausse
de 22,75 euros – n’est donc en rien une
concession aux Gilets jaunes (de plus,
Édouard Philippe avait annoncé dans un
premier temps qu’elle serait de 1,8 %) ;
(9) le Premier
ministre avait annoncé antérieurement
que le gouvernement n’accorderait pas de
« coup de pouce » au SMIC en 2019.
Compte tenu de l’ampleur du mouvement
social, il aurait pu au moins être
décidé de revenir sur cette décision.
Cela n’a pas été le cas ;
(10) le coût des
mesurettes reposera sur le peuple et non
sur les grandes fortunes, il se traduira
notamment par davantage d’austérité et
moins de services publics.
On le voit, parler
d’une « augmentation du SMIC de 100
euros » est bien plus qu’un artifice de
présentation, c’est une colossale fake
news, aggravée par une volonté manifeste
de duper les Français, notamment les
Gilets jaunes et leurs soutiens.
Emmanuel Macron et ses séides ont essayé
de faire passer pour une mesure
importante et généreuse une hausse de 10
euros (dix euros) de la prime
d’activité. Ce genre de méthode révèle
le degré de mépris que le pouvoir
nourrit à l’égard des classes
populaires, qui ne méritent aux yeux des
« premiers de cordée » que d’être
roulées dans la farine à l’infini.
Si une entreprise
faisait une opération commerciale avec
un niveau analogue de tromperie quant au
produit vanté, elle serait poursuivie en
justice.
En ce qui concerne
l’annulation en 2019 de la hausse de CSG
subie en 2018 pour les retraités qui
touchent moins de 2 000 euros par mois,
il est là aussi particulièrement
malhonnête de la ripoliner en faveur
puisqu’il ne s’agit que de suspendre
temporairement une mesure (injuste)
entrée en application le 1er
janvier 2018. Si on vous rend ce qu’on
vous avait pris la veille, ce n’est pas
une gracieuseté. De plus, avec le gel
des pensions qui avait été voté moins
d’un mois avant le début du mouvement
des Gilets jaunes, les retraités
concernés ne voient nullement leur
situation s’améliorer. Quant à ceux qui
touchent plus de 2 000 euros par mois,
ils n’ont strictement rien obtenu.
Emmanuel Macron a
une fois encore appliqué son principe
cardinal : choyer les riches et
pressurer les pauvres (en essayant au
passage de les endormir à la façon d’un
charlatan de foire).
Fake news no
9 : Le mouvement des Gilets jaunes
n’aurait pas existé sans BFM
Emmanuel Macron,
Richard Ferrand (député LREM, président
de l’Assemblée nationale), Team Macron
– Quand ? :
26 décembre 2018
– Quoi ? :
L’édition du Canard enchaîné du
26 décembre rapporte des propos tenus
par Emmanuel Macron à une date et dans
un contexte non précisés (mais leur
teneur n’a pas fait l’objet d’un
démenti) : « Dès le départ,
BFM a été le principal organisateur des
manifestations. À certains moments, des
gilets jaunes y réclamaient ma
destitution ou appelaient à
l’insurrection, sans jamais être repris
par les présentateurs. Il y avait une
sorte de connivence malsaine. »
Le palmipède
reproduit ensuite des appréciations
similaires formulées par Richard Ferrand
: « Lorsqu’il y a 50, 100 ou 200
types qui se regroupent à Montmartre
avec un gilet jaune, vous avez
l’impression que toute la France est en
ébullition parce que cela passe en
continu sur BFM ! » La
Team Macron se met bien sûr au
diapason dans un tweet (le 29 décembre)
: « Sans la couverture
disproportionnée des chaînes d’infos, on
aurait pas eu les #giletsjaunes. Mais
pour eux BFM est l’ennemi… Allez
comprendre. »
L’assertion est de
poids : le mouvement des Gilets jaunes
n’aurait pas pu exister sans BFM-TV, ou
du moins il n’aurait pas pu décoller. Et
les manifestants sont si bêtes qu’au
lien d’exprimer de la gratitude, ils se
montrent mécontents du traitement que
leur réserve la chaîne d’info en
continu.
– En fait :
Où sont les études permettant d’affirmer
que BFM a permis le phénomène des Gilets
jaunes ? Inutile de les chercher, elles
n’existent pas. C’est du gros doigt
mouillé macroniste, de
l’auto-intoxication carabinée. Il s’agit
surtout d’une inversion de la cause (le
mouvement social) et de la conséquence
(son traitement médiatique) qu’aucun
élément rationnel n’accrédite. Emmanuel
Macron et sa cour produisent ainsi une
énième explication acrobatique pour
tenter d’occulter l’amère réalité (pour
eux) : la personne et la politique du
président font l’objet d’un rejet
authentique et profond dans le peuple
français.
Il est
particulièrement raide de la part du
pouvoir d’accuser BFM-TV alors que ce
média a promu massivement Monsieur
Pensez printemps avant (et après) son
élection et a grandement contribué à la
construction de sa présidentialité.
Et dans ce cas il s’agissait bien de
propagande médiatique éhontée car le «
phénomène Macron » n’a pas précédé sa
médiatisation, ce n’était pas un
mouvement parti de la base comme celui
des Gilets jaunes.
D’après Le
Canard enchaîné, le président
voudrait même punir BFM en avançant
FranceinfoTV et LCI dans l’ordre des
chaînes de la TNT… Ô ingratitude !
Céline Pigalle, directrice de la
rédaction de BFM-TV, n’a manifestement
pas l’habitude de se retrouver dans le
collimateur du pouvoir (cf.
Le Parisien) : « On nous critique
comme si nous étions la cause de la
colère. On n’a pas créé les Gilets
jaunes. On ne peut pas reprocher à un
messager la teneur de son message ».
À vrai dire, si, on le peut, quand le
message ou la façon de le présenter
n’est pas conforme à la réalité, mais on
ne peut reprocher au messager de rendre
amplement compte du plus grand mouvement
social depuis un demi-siècle en France.
Certains avaient
incriminé les nouveaux algorithmes de
Facebook d’avoir permis le développement
des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a
trouvé la véritable cause première (qui
ne saurait être la légitime colère du
peuple français) : « Dès le départ,
BFM a été le principal organisateur des
manifestations. » On se demande
pourquoi CNews, LCI et FranceinfoTV, qui
elles aussi ont multiplié les
records d’audience avec la
couverture du mouvement, ne semblent pas
concernées par la fureur jupitérienne.
Mais peut-être ne faut-il plus chercher
une quelconque logique dans les
élucubrations du forcené de l’Élysée.
Un peu plus d’un
mois après, la fine analyse d’Emmanuel
Macron avait évolué, voici les propos
que
Le Point a rapportés le 1er
février (attention, cet entretien est un
festival de conspirationnisme et de
déclarations à l’emporte-pièce) : «
Les gens qui sont surinvestis sur les
réseaux sont les deux extrêmes. Et
après, ce sont des gens qui achètent des
comptes, qui trollent. C’est Russia
Today [qui s’appelle RT depuis dix
ans], Spoutnik [sic], etc.
Regardez, à partir de décembre, les
mouvements sur Internet, ce n’est plus
BFM qui est en tête, c’est Russia Today.
» Ah, donc maintenant le penseur
complexe en chef déplore le fait que
l’impact de BFM diminue… Et cette
confusion mentale provient du cerveau
d’un fat qui réclame « une hiérarchie
des paroles » et une forte
verticalité de la « légitimité ».
Prière de rire.
Fake news no
10 : Des Gilets jaunes ont mis le
feu à des voitures devant les locaux du
Parisien
et des
Échos
– Qui ? :
Richard Ferrand, Hugues Renson (député
LREM, vice-président de l’Assemblée
nationale), Olivia Grégoire (députée
LREM), Cédric Villani (député LREM),
Jean François Mbaye (député LREM),
Anne-Christine Lang (députée LREM)
– Quand ? :
29 décembre 2018
– Quoi ? :
Dans la soirée, alors que se déroulait
l’acte VII du mouvement des Gilets
jaunes, huit voitures ont brûlé dans le
15e arrondissement de Paris
devant le siège du groupe Les Échos-Le
Parisien, propriété de LVMH,
c’est-à-dire de Bernard Arnault (1re
fortune française). Le bâtiment n’a pas
été atteint mais comme des Gilets jaunes
s’étaient rassemblés dans la journée
devant les sièges de BFM-TV, Europe 1,
France Télévisions et Radio France –
situés dans le même quartier – pour
protester contre le traitement
médiatique de la mobilisation, très
rapidement des personnalités politiques
et médiatiques les accusent de façon
plus ou moins explicite d’être à
l’origine de l’incendie.
Les tweets fusent,
particulièrement en provenance de la
Macronie.
Richard Ferrand, président de
l’Assemblée nationale et twitto indigné
: « S’attaquer à la presse
procède de la haine des libertés. À
quand des autodafés ? Condamnation
totale de ces actes criminels. »
Hugues Renson, vice-président du
Palais-Bourbon : « Aujourd’hui, ce
qui reste de radicalisés se sont
mobilisés, non pas pour des convictions,
mais pour s’en prendre à la presse de
notre pays […] Pitoyable,
médiocre et tellement significatif d’une
dérive visant à saper notre démocratie ».
Au moins quatre
députés LREM abondent dans le même sens.
Olivia Grégoire : « Soutien total
aux rédactions @LesEchos @le_Parisien
attaqués [sic] aujourd’hui
[…] Quelle triste journée encore à
Paris. Le drapeau européen du siège de
Radio France retiré par qq gilets jaunes
enragés. A quoi ça nous mène tous ? »
Cédric Villani : « Le Parisien
libéré, journal fondé par trois
résistants, est victime ce soir d’un
incendie après une journée émaillée de
slogans “journalistes collabos”. »
Jean François Mbaye (tweet effacé) :
« S’en prendre aux médias et à la
presse de notre pays, c’est bâillonner
notre propre liberté d’expression. »
Anne-Christine Lang (tweet effacé) :
« Je ne sais pas si ces gens se
rendent compte de ce qu’ils font. Tout
mon soutien au @le_Parisien et
condamnation totale de ces actes
inadmissibles. Il est grand temps que
cesse toute complaisance envers les
#Giletsjaunes ».
Bien sûr, le subtil
Jean Quatremer devait intervenir :
« Un mouvement de beaufs poujadistes
et factieux, comme je le répète depuis
un mois. On est au cœur maintenant ».
Tout comme
Raphaël Glucksmann, le « sauveur de
la gauche » gonflé à l’hélium médiatique
: « Après le blocage de la diffusion
de Ouest France, les voitures incendiées
devant les locaux du Parisien : qui
s’attaque à la liberté de la presse s’en
prend à la démocratie. Prendre les
journalistes pour cible est devenu une
(sale) habitude. Soutien total aux
rédactions visées. »
Bref, les Gilets
jaunes sont des criminels, des
terroristes, ils veulent faire taire,
voire brûler vive notre presse héroïque.
Les autodafés ne sont pas loin. Revoilà
le registre des séditieux d’ultradroite,
de la peste brune, etc. On s’interroge :
Bernard-Henri Lévy serait-il le
community manager de tous ces
comptes Twitter ?…
– En fait :
La réalité n’est pas à la hauteur du
récit concocté par les importants qui
gazouillent plus vite que leur
cyber-ombre. Une voiture en
stationnement devant le bâtiment qui
héberge le groupe Les Échos-Le Parisien
s’est enflammée vers 19 h à cause d’une
défaillance technique, son propriétaire
a essayé en vain d’éteindre l’incendie
lui-même avant de se mettre à l’abri. Le
feu s’est propagé à sept véhicules à
proximité. Il a été maîtrisé par les
pompiers vers 20 h. Les Gilets jaunes
n’ont donc strictement rien à voir avec
cet accident. Déception dans les rangs
macronistes et chez les éditocrates
fluophobes…
Les dominants se
sont octroyés un permis de calomnier et
de salir à volonté les Gilets jaunes,
une façon commode de vomir par métonymie
sur les « basses classes » – qu’ils
craignent – sans avoir à l’assumer. Ils
ne présentent jamais d’excuses et
publient même rarement des correctifs
après avoir propagé une fausse
information sur le mouvement. Richard
Ferrand, qui a
la fake news dans la peau, devrait
être banni de Twitter pendant quelques
mois le temps de traiter son addiction à
l’erreur et à l’outrance. Il pourrait
même faire lui-même la démarche auprès
du réseau social tel le joueur compulsif
demandant au casino de ne plus
l’accepter.
Fake news no
11 : L’Italie finance les casseurs
qui agissent lors des manifestations des
Gilets jaunes
– Qui ? :
Marlène Schiappa (secrétaire d’État
chargée de l’Égalité entre les femmes et
les hommes)
– Quand ? :
10 janvier 2019
– Quoi ? :
Après avoir dit sur
BFM-TV le 8 janvier que la cagnotte
de soutien à Christophe Dettinger était
« honteuse » et exprimé le
souhait de savoir « qui finance, qui
soutient, qui est complice de ces
violences graves » (cf.
cet autre extrait), Marlène Schiappa
est interrogée à ce sujet par Nicolas
Demorand et Léa Salamé dans le « Grand
entretien » sur
France Inter.
Alors que la
plateforme Leetchi a fermé sur pression
politique la cagnotte moins de 48 heures
après son lancement – la récolte
atteignait 130 000 euros –, la
secrétaire d’État chargée de l’Égalité
entre les femmes et les hommes
renouvelle sa demande que l’identité des
donateurs soit révélée aux autorités : « Qui a donné ? Et, par exemple, le
fait de savoir si oui ou non, il y a des
puissances étrangères qui financent les
casseurs et les violences urbaines dans
Paris, c’est intéressant, notamment eu
égard aux positions de certains
responsables italiens. »
Elle fait ici
allusion au soutien public que les deux
vice-Premiers ministres italiens, Luigi
Di Maio, dirigeant du Mouvement 5
Étoiles, et Matteo Salvini, leader de la
Ligue, ont exprimé à l’égard des Gilets
jaunes.
– En fait :
Marlène Schiappa n’a pas le début du
commencement de la moindre preuve
concernant une participation de Rome à
la cagnotte mais se permet néanmoins de
faire de lourdes insinuations. C’est une
attitude typiquement conspirationniste.
Moins on a d’éléments factuels à
avancer, plus il faut que les
sous-entendus soient fracassants. On
remarque que cela ne semble pas déranger
Nicolas Demorand et Léa Salamé, qui
n’ont demandé à Mme Schiappa aucun
éclaircissement. Le complotisme autorisé
n’a pas de comptes à rendre et il est
dispensé de rationalité.
Suggérer que
l’Italie pourrait financer « les
casseurs et les violences urbaines dans
Paris » en contribuant à une
cagnotte en ligne destinée à payer les
frais de justice de Christophe Dettinger
est à la fois outrecuidant et
inconséquent au moment où le pouvoir
français appuie ouvertement une
tentative de coup d’État au Venezuela.
Le deux poids, deux mesures et
l’hypocrisie sont plus que des pratiques
occasionnelles pour la Macronie, il
s’agit d’un credo.
À propos de
Christophe Dettinger, rappelons ces
paroles mémorables de l’ancien disciple
de Paul Ricœur (source)
: « Le boxeur, la vidéo qu’il fait
avant de se rendre, il a été briefé par
un avocat d’extrême gauche. Ça se voit !
Le type, il n’a pas les mots d’un Gitan.
Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan. » Les bonnes âmes médiatiques n’y ont
vu aucune trace de conspirationnisme ou
de racisme.
Fake news no
12 : Les forces de l’ordre ne sont
responsables d’aucun mort pendant le
mouvement des Gilets jaunes
– Qui ? :
Emmanuel Macron
– Quand ? :
28 janvier 2019
– Quoi ? :
Lors d’une conférence de presse au Caire
avec son homologue Abdel Fattah
Al-Sissi, Emmanuel Macron est interrogé
par un journaliste égyptien sur le
respect des droits humains en France par
temps de Gilets jaunes. Dans
sa réponse, le président déclare :
« je déplore que onze de nos
concitoyens français aient perdu la vie
durant cette crise. Je note qu’ils ont
tous perdu la vie, bien souvent en
raison de la bêtise humaine [on note
ici un gros effort d’empathie], mais
que aucun d’entre eux, aucun, n’a été la
victime des forces de l’ordre. Aucun
[notons les trois occurrences d’« aucun
»]. Je le dis bien parce que compte
tenu de la nature de cette crise, de ce
que la France vit depuis plusieurs
semaines, c’est inédit. Et je veux ici
rendre hommage au professionnalisme des
forces de l’ordre dans ce contexte. »
Pour prendre la
juste mesure de ce « professionnalisme
», consulter par exemple le site du
collectif contre les violences d’État
Désarmons-les ! et le compte Twitter
du journaliste
David Dufresne. On note d’ailleurs
qu’Emmanuel Macron, à cette occasion
comme à toutes les autres, n’a pas eu un
mot pour les centaines de blessés
graves, les mutilés à vie (vingt yeux et
cinq mains en moins…).
– En fait :
Le travail détaillé de
CheckNews sur le site de
Libération expose les circonstances
des différents accidents mortels qui ont
eu lieu au cours du mouvement des Gilets
jaunes. Le journaliste de cette utile
rubrique de fact-checking corrige
le président en montrant qu’il n’y a pas
que des citoyens français parmi les
victimes ; il mentionne un Belge mort
dans un accident de voiture mais se
trompe en attribuant la nationalité
française à une autre personne décédée,
celle-là même qui fait que la
déclaration du locataire de l’Élysée
contient une fausse nouvelle
particulièrement révoltante.
Marseille, rue des
Feuillants, près de la Canebière. Samedi
1er décembre, vers 17 h 30.
Zineb Redouane, une Algérienne de 80 ans
(avec le statut de résidente), est chez
elle, son appartement se situant au
quatrième étage. En bas de son immeuble,
les « forces de l’ordre » répriment
violemment une manifestation qui
rassemble Gilets jaunes, CGT et
Collectif du 5 novembre. Comme
d’habitude, le gaz lacrymogène est
répandu en abondance, à tel point que
Mme Redouane décide de fermer les volets
pour se protéger de la fumée. À peine
apparaît-elle à la fenêtre qu’elle
reçoit une grenade lacrymogène en plein
visage.
Le procureur de la
République de Marseille, Xavier
Tarabeux, confirmera plus tard (voir
l’article de
La Provence – classé dans la
rubrique « Faits divers-Justice »…) :
« On a retrouvé chez elle des plots de
grenades ». Contactée par
CheckNews, la préfecture déclarera
que « la grenade en cause est une
lacrymogène MP7, qui libère après
explosion sept capsules actives de 10
grammes de gaz ».
Voici ce que dit
Nadja, une voisine qui a été la première
à entrer dans l’appartement de Mme
Redouane (témoignage recueilli par
Libération) : « Quand je suis
arrivée, elle sortait de la salle de
bains une serviette en sang sur la
mâchoire. Elle criait : “Ils m’ont
visée, ils m’ont visée !” L’appartement
était rempli d’une fumée noire. Elle m’a
raconté que deux policiers en tenue se
trouvaient sur le trottoir d’en face de
la Canebière et lui ont tiré dessus. » Adla, une autre voisine venue voir
ce qui se passait, déclare pour sa part
: « Le sang coulait beaucoup, elle
était blessée au visage ».
Mme Redouane a pu
parler à deux de ses enfants au
téléphone, Milfet et Sami. Selon
la première, sa mère lui a dit :
« il m’a visée, un policier m’a visée ».
Et
le second confirme : « ma mère en
refermant les volets de sa fenêtre pour
éviter les fumées, a croisé le regard
d’un CRS positionné en face de son
immeuble. Celui-ci l’a immédiatement
mise en joue et a tiré une grenade avec
son fusil, il l’a atteinte en plein
visage. »
Mme Redouane sera
ensuite emmenée consciente à l’hôpital
par les pompiers. Le lendemain, il est
décidé qu’elle doit subir une
intervention chirurgicale à la mâchoire.
Elle décède après trois heures
d’opération. D’après le procureur de la
République de Marseille (cf.
Franceinfo), elle est morte «
d’un choc opératoire », c’est-à-dire
d’« un arrêt cardiaque sur la table
d’opération ».
Le pouvoir peut
bien invoqué son âge, une « santé
fragile », mais un facteur ne saurait
être relativisé ou écarté : l’opération
fatale a eu lieu uniquement parce que
Zineb Redouane a reçu une grenade
lacrymogène en plein visage. Et donc,
contrairement à ce qu’affirme avec
assurance Emmanuel Macron, les forces de
l’ordre sont bien responsables de la
mort d’une personne dans le cadre du
mouvement des Gilets jaunes. Les
différents maillons de la chaîne
hiérarchique en répondront-ils un jour ?
On pense notamment au ministre de
l’Intérieur, Christophe Castaner, qui
ment comme un arracheur d’yeux.
Il y a quelque
chose de pourri au royaume de
l’anti-conspirationisme officiel
Synthétisons les
délires macronistes à propos des Gilets
jaunes : il s’agit d’un mouvement de
factieux néonazis incendiaires dont le
mouvement est orchestré en sous-main par
Stephen (dit Steve) Bannon, Vladimir
Poutine et le gouvernement italien. La
pensée complexe, ça décoiffe. Précisons
de nouveau que notre examen n’est pas
exhaustif, nous n’avons pas traité par
exemple des immondes accusations
d’antisémitisme répandues sur l’ensemble
des Gilets jaunes à l’occasion de «
l’affaire Finkielkraut ».
Entendons-nous
bien. Il est indéniable que des infox et
des théories du complot ont circulé dans
certains cercles jaune fluo, mais encore
faudrait-il en établir clairement
l’ampleur et la gravité, et expliquer en
quoi cela devrait affecter tant soit peu
la légitimité des revendications
politiques, sociales et économiques du
mouvement. En effet, même si absolument
tous les Gilets jaunes étaient
conspirationnistes, on ne voit pas
quelle serait l’implication quant à la
contestation de la répartition très
inégalitaire des richesses, de
l’austérité à perte de vue ou de la
destruction des services publics.
Les médias
dominants ont maintes fois condamné les
Gilets jaunes pour les fausses
informations diffusées sur les réseaux
sociaux, ils en ont proposé des
compilations (quelques exemples :
BFM-TV,
France Inter,
Le Parisien,
TF1,
CNews,
RTL), en occultant presque
systématiquement leurs pendants
macronistes. Pourtant, si on prétend
s’intéresser avec honnêteté et rigueur
aux phénomènes des fake news et du
conspirationnisme – qui ne sont pas
récents –, il convient de se pencher
aussi et peut-être même en priorité à
l’abondante production du pouvoir.
Certes il n’est pas
raisonnable d’affirmer que la tuerie de
Strasbourg du 11 décembre est l’œuvre
des services de renseignement français,
mais est-il moins grave et irrationnel
d’asséner ad nauseam que Moscou
s’ingère partout, multiplie les
manipulations sournoises et représente
une terrible menace pour l’Occident ? De
même, les théories alternatives sur le
11 Septembre n’ont fait aucune victime,
on ne peut pas en dire autant de
l’assertion selon laquelle Saddam
Hussein possédait des armes de
destruction massive… On souhaiterait que
les chasseurs de « conspis » et autres
fact-checkeurs patentés fassent preuve
d’un plus grand discernement et surtout
s’abstiennent de pratiquer un deux
poids, deux mesures favorable aux
puissants.
Conspiracy Watch, le vaisseau amiral
de l’anti-conspirationnisme officiel en
France, a abondamment publié sur les
fake news et théories du complot
circulant parmi les Gilets jaunes (voir
l’analyse publiée ici de l’étude
menée avec la bien mal nommée Fondation
Jean-Jaurès), participant activement à
l’entreprise de dénigrement du
mouvement. Mais « L’Observatoire du
conspirationnisme » – le seul, le
bon, donc… – n’a consacré aucun article
aux douze cas d’origine macroniste que
nous avons examinés. Aucun. Il suffit de
voir ce que donne
une requête « gilets jaunes » dans
le moteur de recherche interne du site.
Manifestement les infox et le
complotisme indiffèrent Rudy Reichstadt
(le fondateur et principal auteur de
Conspiracy Watch) lorsqu’ils viennent du
pouvoir.
Les « oublis » de
ce soi-disant observatoire en disent
long sur l’état d’esprit de
l’initiative, dont l’arrière-pensée
politique prend de beaucoup le pas sur
les prétentions scientifiques. M.
Reichstadt bénéficie d’une promotion
institutionnelle et médiatique
considérable (cf. l’article du
Monde diplomatique qui lui est
consacré). Son combat étant fort utile à
l’establishment, une telle
officialisation n’est pas surprenante.
Il est par contre
regrettable qu’une partie du milieu
rationaliste français (défenseurs de la
méthode scientifique, zététiciens et
autres débunkers) ait adoubé Rudy
Reichstadt, par exemple en lui
permettant de figurer parmi les auteurs
d’un ouvrage collectif – coordonné
notamment par l’excellent Nicolas
Gauvrit – intitulé Des têtes bien
faites : défense de l’esprit critique
(PUF, 2019). Le sociologue Gérald
Bronner, qui a assuré la direction
scientifique de ce livre et se trouve
également parmi les contributeurs,
considère que Conspiracy Watch est «
indispensable » (sur sa
page Facebook, le 10 décembre 2018).
Indispensable à qui exactement ? est-on
tenté de demander.
On attend avec
impatience des études sur la
perméabilité de la petite et grande
bourgeoisies à certaines théories du
complot (en particulier sur la Russie),
la spécificité de leurs biais
intellectuels et la faible dilection des
« classes éduquées » à l’égard de la
démocratie. À ce sujet, on a pu
constater que les médias dominants se
sont abstenus de rendre compte d’une
étude importante exposée dans le
New York Times le 23 mai 2018 : «
Les centristes sont les plus hostiles à
la démocratie, pas les extrémistes »
(voir la traduction proposée par
Les Crises). Difficile de ne pas
reconnaître le macronisme sous les
traits de ce « centrisme totalitaire ».
La haine du peuple
et de la démocratie qui s’exprime dans
la réaction des élites au mouvement des
Gilets jaunes est symptomatique.
Celui-ci est aussi un utile révélateur,
il fait sortir du bois les principaux
adversaires des « basses classes » – ou
du moins leurs porte-parole –,
c’est-à-dire de la souveraineté
populaire. On perçoit mieux où se
situent les diverses troupes qui luttent
contre le progrès social et politique.
Le discours sur les fake news et le
conspirationnisme témoigne rarement d’un
réel souci de la vérité, c’est avant
tout une façon de discréditer et salir
les dominés pour neutraliser leur
colère, leurs aspirations. Nous pensons
l’avoir montré en mettant en évidence, à
travers l’examen de douze exemples,
l’occultation quasi totale des
turpitudes intellectuelles et morales du
pouvoir.
Pour sortir de la «
post-vérité », il faut commencer par en
finir avec le verbe trompeur des
possédants.
Laurent Dauré,
pour le site Les-Crises.fr
Le dossier politique
Le
dossier fake news
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