DONi.Press
Zaïtsevo, l’Armée ukrainienne
fait du tir au pigeon sur des civils
Laurent Brayard
Dimanche 14 février 2016
Samedi dans l’après-midi, en compagnie
d’Andreï de l’association humanitaire
russo-donbassienne B Mecte
(Ensemble) nous fonçons vers le nord de
Donetsk. La voiture est emplie de
dizaines de paquets de couches pour bébé
et de petits chauffages d’appoint
électrique. Notre objectif est de nous
rendre dans la bourgade de Zaïtsevo qui
se trouve directement sur la ligne de
front. Il reste 1 200 des 4 000
habitants d’avant la guerre qui sont
sous la menace des forces ukrainiennes.
A part la Croix rouge qui est allée sur
les lieux une fois, directement sur le
front, personne, pas même les fameux
observateurs de l’OSCE ne se sont rendus
sur place. Alors que nous approchons, le
téléphone sonne : « les Ukrainiens
bombardent le village, faire attention à
l’approche ». Andreï s’inquiète
pour nous, nous plaisantons et nous
poursuivons le chemin.
Nous arrivons près d’un bâtiment,
c’est une sorte de quartier-général pour
déposer l’aide humanitaire pour tout le
village. Une école se trouvait à côté,
elle a été frappée par un obus
ukrainien, tout l’ensemble a pris feu,
les enfants ne peuvent plus étudier. Ils
sont plus de 200 dans le village, de 0 à
16 ans. Nous déchargeons les colis,
lorsque le téléphone sonne à nouveau. Le
canon tonne, mitrailleuses, mortiers,
armes automatiques, les Ukrainiens
tirent à quelques centaines de mètres de
nous. Les habitants sont terrés dans
leurs maisons, ils ne viendront pas
comme prévu recevoir cette aide
providentielle. André décide de laisser
une partie de l’aide sur place qui sera
distribuée par deux femmes du village
aux familles. Mais pour ne pas les
mettre en danger, nous partons
distribuer l’aide aux personnes qui
vivent dans les endroits les plus
chauds.
Le décor est cauchemardesque, un
enchevêtrement de tranchées occupées par
les défenseurs de la République, de
positions et de maisons où habitent les
civils. Ces derniers sortent des maisons
à notre rencontre, les soldats courent,
un officier sermonne l’un d’eux qui a
oublié son gilet pare-balles. Très vite
nous arrivons dans une maison, une
grand-mère de 80 ans m’interpelle, je
prends une semonce de dix minutes, elle
pense que je suis un observateur de
l’OSCE, crie son désespoir, deux ans de
guerre, son souvenir des Allemands et
des mêmes exactions, son mari âgé et
couché, sa maison bombardée, les balles
de snipers ukrainiens un peu partout
dans les murs et les fenêtres. C’est un
village agricole et ouvrier, une femme
de 65 ans qui vit avec sa fille et ses
petits-enfants commence à pleurer. Les
Ukrainiens ne cesseront de tirer ici et
là, les habitants sont terrorisés mais
refusent de partir, ce sont leurs
fermes, leur terre, leur pays, c’est
toujours la même histoire. Certains
essayent toujours de faire leur jardin,
passablement parsemé de balles et
d’éclats de toutes sortes. Dans le bas
du village, une femme nous montre sa «
collection » : balles de tout calibre,
éclats d’obus, débris de grenades…
Dans la première famille, trois enfants,
la dernière n’a pas plus de trois ans,
une petite trombine, elle gambade dans
le salon en rigolant, pourtant dehors
les tirs continuent. Sa grand-mère
pleure, je donne une somme de 2 500
roubles qui vient de Rakhima et Marcel,
deux donateurs qui à Tachkent en
Ouzbékistan ont fait le tour de leurs
amis pour réunir ce trésor. J’explique
qui ils sont, qu’ils sont Russes, qu’ils
m’écrivent souvent, qu’ils suivent le
Donbass. La femme pleure, elle ne reçoit
à la retraite que 1 900 roubles, c’est
donc un don énorme pour elle. Elle se
répand en paroles de générosité pour
eux, leur souhaitant bonheur et santé,
la scène est surréaliste. De simples
gens, honnêtes et sans moyen réel,
donnant à d’autres gens dans le malheur
et dont tous les biens sont sous la
menace constante d’une destruction, ce
ne sont jamais les plus riches les plus
généreux. Le moment est important pour
moi, voilà longtemps que j’attendais
l’occasion de parler des donateurs plus
intimement, sans eux, rien ne serait
possible.
Dans la dernière maison, nous sommes à
500 mètres des lignes ukrainiennes, nous
saluons sur le chemin des soldats
enterrés ou descendant ou remontant un
chemin creux salutaire qui nous protège
relativement des tirs et nous cache à la
vue des Ukrainiens. Un homme nous
accueille, ils ont deux enfants, l’un
est presque un nouveau-né, le second ne
doit pas avoir quatre ans. La situation
de la maison fait qu’elle se trouve sous
le feu des Ukrainiens qui occupent
toutes les crêtes. En plus de la
distribution d’Andreï, je donnerais à
cette famille 5 000 roubles, il s’agit
de l’argent de mon groupe de donateurs.
J’apprends en effet que le mari a perdu
son emploi de chauffeur, justement à
cause de la guerre. Tous les jours les
Ukrainiens tirent au petit jour,
cherchent à détruite les bus qui partent
du lieu pour emmener les travailleurs.
Le cirque se poursuit parfois le jour et
toujours à la tombée de la nuit. Pour
avoir une chance de rentrer sans être
bloqué par les tirs, il doit rentrer
dans la fin de l’après-midi, au grand
maximum.
Pour vivre, ils n’ont que la solidarité
d’associations comme B Mecte et
le courage d’hommes comme Andreï. Les
gens nous remercient, ils nous invitent
même à venir passer plusieurs nuits : «
en face, les Ukrainiens savent
lorsque des étrangers arrivent, ils se
calmeront peut-être de peur d’être
observés par l’OSCE ou quelques
journalistes. Vous savez la fille d’Oksana,
cette grand-mère que nous avons vu plus
haut, habite à 1,5 kilomètres, les
Ukrainiens l’empêchent de traverser la
ligne par méchanceté. Dès qu’ils voient
quelqu’un, surtout le matin et le soir,
ils tirent, vous avez vu dans ma cuisine
la balle de sniper fiché dans le mur et
les fenêtres, voilà des mois que cela
dure. Ils savent bien qu’il y a des
civils, c’est intentionnellement qu’ils
tirent sur nous, ils voudraient nous
faire fuir, mais nous ne partirons pas,
nous sommes fatigués, nous voudrions les
chasser, ils ne respectent rien, encore
moins le cessez-le-feu, ce sont des
nazis en face, de l’un de ces bataillons
antiterroristes. En fait de terroristes,
vous avez ma tête ? Des personnes âgées
et des enfants, lorsque vous êtes
arrivés, une enfant de neuf ans venait
d’être évacuée suite à une blessure due
à un tir de mortiers des Ukrainiens,
dites-leur, et revenez nous voir,
personne ne vient jamais ici ».
Laurent
Brayard pour
DONi.Press
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