Algérie
Le Hirak est uni politiquement
Lahouari Addi
Jeudi 28 novembre 2019
Réponse à Youcef Benzetat
Youcef Benzatat a réagi à l’appel
cosigné par Djamel Zenati et moi-même,
estimant qu’il est ambigu, précisant par
ailleurs que son écrit est une
contribution à un débat qui doit être
ouvert et sans invectives. L’intention
est louable et elle est la bienvenue.
Chacun de nous a une perception du hirak
et il doit l’exposer. De ce point de
vue, il me semble que Benzetat attend
trop du hirak qui est un moment de
rupture politique, un moment dans le
long processus de construction de
l’Etat, processus mené jusqu’à ce jour,
pour des raisons historiques, sous le
contrôle de la hiérarchie militaire. Si
le hirak est si puissant, c’est parce
que la société algérienne a changé et
parce que les nouvelles générations
n’acceptent plus la façon dont l’Etat,
leur Etat est gouverné. Cette Algérie
postindépendance se permet de contester
le régime sans que l’unité nationale ne
soit en danger. Ce qui signifie que la
conscience nationale s’est raffermie.
Benzetat craint que le hirak ne soit pas
uni idéologiquement, ce qui est vrai. «
La seule convergence, écrit-il, est
l’exigence de la fin de la domination
militaire ». Il est cependant uni
politiquement autour du mot d’ordre de
la transition vers un pouvoir civil,
mais il ne peut pas être uni
idéologiquement puisqu’il est
l’expression de la diversité idéologique
de la société. C’est cela la force du
hirak et le fait que, dans les
manifestations, des islamistes barbus
soient à côté de jeunes femmes en jeans,
montre que la conscience collective ou
nationale est suffisamment forte pour
accepter les divergences idéologiques de
la société. De ce point de vue, le hirak
a mis fin à la fiction populiste du
peuple uni par la même idéologie. Les
manifestants montrent qu’ils
appartiennent à un même peuple, mais à
titre individuel, ils sont différents
idéologiquement.
Y. Benzetat exprime
deux inquiétudes dans son texte, l’une
relative à « la revendication amazigh
pervertie en nationalisme ethnique », et
l’autre en rapport avec « la
revendication religieuse porteuse d’un
projet théocratique ». Examinons ces
deux problèmes. A regarder les faits, et
sans optimisme béat, la revendication
amazigh n’est pas un nationalisme
ethnique orienté contre une autre
ethnie. Les berbéristes affirment qu’il
y a une seule ethnie majoritaire en
Algérie, et c’est l’ethnie berbère. Ils
demandent aux berbères arabophones de se
réapproprier la langue de leurs
ancêtres. Ceci est un nationalisme
ethnique à dimension nationale, voire
maghrébine, et il est inclusif et non
exclusif. Quand je polémique avec un
berbériste, il me dit : « Tu es un
berbère et tu renies la langue de tes
ancêtres ». Il ne me dit pas : « Tu es
un arabe et tu dois retourner en Arabie
». L’histoire officielle doit tenir
compte des imaginaires collectifs de la
culture politique pour donner aux
citoyens le sentiment de fierté du passé
aussi lointain soit-il. Quant à la
langue, dans la mesure où elle est
parlée par des nationaux, elle est une
langue de la nation. Il faut remarquer
que si ce débat n’est plus tabou, c’est
parce que, encore une fois, la
conscience nationale s’est raffermie et
peut accepter l’usage de deux langues
nationales.
Quant à l’autre
inquiétude relative au projet
théocratique, elle est exagérée parce
que là-aussi, la société a évolué et les
individus ont appris. Ce que les
Algériens ont appris, surtout la jeune
génération, c’est la différence
conceptuelle qu’il y a dans le Coran
entre ‘ibadates et mou’amalates. On est
bon musulman par les ‘badates et bon
citoyen par les mou’amalates. Al ‘ibadates,
c’est pour Dieu et pour assurer le salut
personnel dans l’au-delà, et al
mou’amalates c’est pour la société qui
demande un comportement public moral.
Cette perception a creusé son sillon, et
même les islamistes l’acceptent. Leur
discours est plus politique que
religieux. Les travaux académiques
parlent de post-islamisme en Tunisie, en
Egypte, en Arabie Saoudite, etc. En tous
les cas, un citoyen qui se dit laïc ne
peut pas demander à un islamiste de ne
pas être islamiste. Par contre, il peut
exiger de lui qu’il n’utilise pas la
violence, dont le monopole doit
appartenir à l’Etat, et de respecter la
liberté de conscience.
La société est
diverse ; elle est une articulation
d’intérêts économiques contradictoires
et de visions idéologiques antagoniques.
Vouloir faire disparaître ces
contradictions ou les nier dans le
schéma de pensée du parti unique est une
utopie dont l’Algérie a souffert par le
passé. Le meilleur moyen est de mettre
en place des institutions qui régulent
par le droit ces contradictions. Mais ce
droit doit être promulgué par une
Assemblée Nationale représentative des
différents courants idéologiques de la
société, et c’est ce que demande le
hirak qui ne veut plus que l’Etat-Major
choisisse le président et que la
sécurité militaire désigne les députés.
Dans ce sens, malgré ses divisions
idéologiques, le hirak réussira parce
qu’il est uni politiquement pour la
réalisation d’un objectif politique
commun à la société : le transfert du
pouvoir à des personnalités civiles qui
organiseront la transition. Le hirak est
porteur d’un projet d’Etat et non d’un
projet de société. Le projet de société,
c’est aux partis de l’après-transition
d’en faire l’offre aux électeurs lors
d’élections libres et transparentes. En
attendant, il faut convaincre l’Etat-Major
d’accepter la transition.
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