Algérie
Faut-il avoir peur
des islamistes ?
Lahouari Addi
Mercredi 26 février 2020
La visite du
commandant Bouregaa, Mustapha Bouchahchi
et Samir Belarbi à Ali Belhadj à son
domicile, ainsi que la rencontre entre
Sadek Hadjeres et Larbi Zitout, et
d’autres rencontres avec des militants
du mouvement Rachad, ont suscité des
interrogations et des débats sur les
réseaux sociaux. Certains internautes se
sont dits choqués que des démocrates
laïcs comme Moshsen Belabbès, Zoubida
Assoul et autres universitaires
acceptent de participer à des débats sur
la chaîne de télévision Al Magharibia
dirigée par un des enfants de Abbassi
Madani, ancien dirigeant du FIS dissout.
Ce débat a pourtant été tranché par le
hirak où islamistes et non islamistes se
côtoient tous les vendredis pour
demander une transition vers un régime
civil. La conscience collective du hirak
a compris que la société contient
plusieurs courants idéologiques qui ne
doivent pas s’exclure, même s’ils
doivent s’opposer pacifiquement sur le
terrain électoral pour laisser les
électeurs décider à qui confier la
majorité parlementaire pour une période
de 5 ans. Les rencontres entre
islamistes et non-islamistes, dans la
phase actuelle, sont nécessaires pour
écrire les règles de jeu de la
compétition pacifique pour le pouvoir.
On ne peut pas interdire à un islamiste
d’être un islamiste, mais on peut exiger
de lui qu’il signe un contrat où il
s’engage à ne pas utiliser la violence,
à ne pas décider qui est musulman et qui
ne l’est pas (interdiction du takfir), à
accepter que la croyance religieuse
n’est pas une affaire de l’Etat.
L’urgence est d’arriver à un consensus
qui stipule que l’Etat est un bien
public et que la religion un bien privé.
De plus en plus d’islamistes sont
ouverts à ce consensus qui vise à
établir les règles juridiques entre le
citoyen et l’Etat et non pas entre les
citoyens et Dieu. Ce qui lie le croyant
à Dieu, c’est la foi et non la règle
juridique. La raison est simple : Dieu
peut pardonner un péché, mais l’Etat ne
peut pas pardonner un délit.
L’autre argument avancé par ceux qui
sont hostiles à toute rencontre avec les
islamistes est qu’ils ont du sang sur
les mains. Il est vrai qu’au lendemain
de l’annulation des élections remportées
par le FIS, des islamistes ont pris les
armes et ont exercé une violence
militaire. Il s’est ensuite installé une
période de confusion où les Algériens se
posaient la question « qui tue qui ? ».
La question était légitime car dans tout
Etat la culpabilité est établie par des
juges à la suite d’un procès équitable.
Or durant cette période trouble,
c’étaient les communiqués de la police
qui désignaient le coupable. En la
matière, il ne s’agit pas d’être contre
ou pour les islamistes ; il s’agit
d’être pour le droit qui a des règles
qui désignent le coupable.
En conclusion, les islamistes sont un
courant d’opinion dans la société et il
n’est pas question de faire appel à
l’armée pour les exclure du champ
politique. Il faut les combattre
idéologiquement et pacifiquement, si on
ne partage pas leur vision de l’Etat, et
avoir confiance dans la société qui,
lors des élections, choisira la majorité
parlementaire. Deux perspectives se
présentent : demander aux militaires
d’éloigner par la violence les
islamistes du champ politique, ou
demander aux militaires de se retirer du
champ politique pour affronter
pacifiquement les islamistes sur le
terrain idéologique. Personnellement,
j’ai choisi la deuxième perspective.
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