Algérie
Le sociologue Addi Lhouari
dézingue «l’Etranger» Kamel Daoud
Mercredi 22 janvier 2020
Par Hakim
Megati
Le célèbre
sociologue Addi Lhouari, vient de réagir
vigoureusement au long article de
l’écrivain journaliste Kamel Daoud
publié dans l’hebdomadaire français Le
Point, dans lequel il annonçait presque
la défaite du Hirak voire sa mort.
Une conclusion
«provisoire» qui ne semble pas être du
goût de son compatriote Addi Lhouari qui
y voit une sorte d’erreur d’appréciation
de la part du jeune écrivain à succès
dont il a par ailleurs loué la
causticité des chroniques dans Le
Quotidien d’Oran.
«L’œuvre de
Camus n’a-t-elle pas trop marqué la
destinée de Kamel Daoud qui était
l’homme révolté à Oran et qui est
désormais perçu comme l’Etranger par les
siens ?», cogne le sociologue après
avoir décortiqué les arguments de Kamel
Daoud développés dans le Point.
Pour Addi Lhouari,
malgré ses écrits pas très
catholiques sur l’Algérie, Kamel Daoud a
pu conserver un lectorat et un public
qui lui est resté fidèle : «jusqu’à
ce qu’une dernière goutte fasse déborder
le vase. »
Et cette goutte a
été d’après lui le dernier article dans
lequel il décrétait de manière presque
péremptoire que le Hirak était une «révolution
perdue».
Commentaire acidulé
d’Addi Lhouari : «Le problème de
Kamel Daoud est qu’il n’a pas perçu
qu’une critique de sa société et de ses
composantes idéologiques n’est pas reçue
de la même manière en Algérie et à
l’étranger. Tous les pays tiennent à
cette sorte de fierté qui limite
l’autocritique à l’intérieur des
frontières nationales. En France, il y a
un mot en anglais qui désigne la
critique de la France à partir de
l’étranger ou par des étrangers : le
French Bashing. C’est ce qui se passe
chez les Algériens qui n’acceptent pas
l’Algerian Bashing. Surtout que Kamel
Daoud touche souvent à des questions
sensibles liées au passé colonial. Qu’il
le veuille ou non, il est devenu un
trophée postcolonial exhibé par la
droite européenne avec une volonté
d’affirmer que les indépendances ont été
un échec», écrit Addi Lahouari.
Pis encore, il le
compare au polémiste et raciste
chroniqueur français, Eric Zemmour qui
insinue sur les plateaux de
télévision, que l’Algérie «aurait mieux
fait de demeurer une colonie française».
Ce qui
amène le sociologue a la conclusion que
pour de «nombreux» algériens,
Daoud est perçu comme un «romancier
qui a choisi son camp dans une guerre
idéologique où le passé colonial se mêle
aux enjeux hégémoniques du présent et de
la géopolitique».
Zemmour-Daoud, même
combat !
Désigné comme un «hirakiste
aigri», Lhouari reprend des
morceaux de la contribution de Kamel
Daoud dans laquelle il critique la
contestation, l’accusant d’être «un
mouvement radical urbain limité aux
marches de la Grande Poste d’Alger».
Il lui reproche
également d’avoir sous-estimé la
«solidité du régime qui s’est re-légitimé
avec le scrutin du 12 décembre en
s’appuyant sur le monde rural».
Une posture qui a
poussé Addi Lhouari a voir dans la
démarche de Kamel Daoud «toute
proportion gardée, le syndrome de
Messali Hadj qui, pendant des années a
formé des générations de militants à
l’idée de l’indépendance, et qui les
lâchera lorsqu’ils passent à l’action».
Et au
sociologue de déconstruire les arguments
de l’écrivain : «Premièrement,
l’absence des marches hebdomadaires dans
les petites villes et villages ne
signifie pas que le monde rural soutient
le régime. Cette absence tient à des
facteurs politiques objectifs. Les
régimes autoritaires contrôlent mieux
les villages du fait de la densité de la
population et du poids des notables qui
surveillent les propos et faits et
gestes de chacun. Les régimes
autoritaires au Maghreb ont plus de
ressources politiques dans les campagnes
que dans les villes, avec l’exception
notoire de la Kabylie unie contre le
régime par la revendication de la langue
amazigh. C’est ce que le politologue
Rémy Leveau a montré pour le Maroc dans
son livre intitulé « Le fellah marocain,
défenseur du trône ». La maîtrise
politique de l’espace rural est plus
aisée que celle de l’espace urbain où la
protestation rassemble des dizaines de
milliers de personnes à Alger, Oran,
Constantine... L’atout du hirak est le
nombre, et les foules incontrôlables
sont à Bab el Oued et El Hamri et non à
Masra ou Yellel. Cela ne veut pas dire
que les habitants de ces deux bourgades
de l’Ouest ne sont pas en phase avec
leurs cousins d’El Hamri et de Mdine
Jdida qui par milliers défilent tous les
vendredis à Oran. Il est plus facile
pour les autorités de réprimer à Masra
qu’à Mosta».
Transition
faite, Lhouari pense contrairement à
Daoud que le scrutin du 12 décembre,
«n’est pas une victoire politique du
régime» mais bien son «échec».
Le sociologue lance
au final une violente charge contre le
journaliste l’accusant par son texte, de
«justifier» par anticipation la
répression.
«(…) Lorsqu’un
romancier cesse d’être une conscience,
il s’enlise dans les dédales de
l’idéologie. Mais plus grave encore, en
affirmant que le Hirak a échoué et que
le régime a remporté sur lui une
victoire, Kamel Daoud aura justifié à
l’avance la répression qui risque de
s’abattre sur «cette minorité qui occupe
illégitimement les marches de la Grande
Poste d’Alger».
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