Algérie
Le système de
pouvoir en Algérie,
ses différentes
phases et ses contraintes
Lahouari Addi
Mardi 21 avril 2020
L’affaire du
général Wassini Bouazza peut être
interprétée, sinon expliquée, par
l’analyse systémique qui postule que si
un acteur enfreint les règles du
système, celui-ci l’éjecte. C’est la
dialectique du système et de l’acteur
qui régule les rapports entre les
responsables et entre les appareils de
pouvoir en Algérie au centre desquels il
y a l’Etat-Major. Ce dernier est le cœur
du système et rappelle, par son
autorité, le sénat romain composé de
Grands Electeurs. Le système a sa propre
rationalité, et surtout une histoire qui
lui a fait connaître plusieurs phases.
Il tire sa cohérence de son principe
constitutif : la primauté du militaire
sur le civil. Même s’il était en
gestation durant la guerre de
libération, sa naissance effective date
du coup d’Etat de juin 1965 qui a envoyé
en prison le premier président de
l’Algérie indépendante Ahmed Ben Bella.
Il avait refusé de renoncer au pouvoir
réel que son ministre de la défense, le
colonel Houari Boumédiène, lui
disputait. Ce dernier est le fondateur
du système actuel qui veut que la
légitimité politique soit détenue par
l’armée qui coopte des civils à qui elle
confie la direction de l’administration
gouvernementale.
Naissance et développement d’un système
: 1965-1979
Le système actuel que le hirak veut
démanteler a pris forme avec le coup
d’Etat de 1965 qui a consacré Boumédiène
comme chef politique et militaire à
l’autorité incontestée dans l’armée. La
référence politique de celui-ci était la
légitimité historique de l’ALN qu’il
avait monopolisée pour asseoir son
influence. Il se méfiait pourtant des
officiers issus de l’ALN dont il avait
écarté un grand nombre après la
tentative de coup d’Etat en 1967 du
colonel Tahar Zbiri hostile à la
promotion au grade de commandant des
officiers déserteurs de l’armée
française. A l’inverse, Boumédiène y
était favorable, voyant en eux des
techniciens sans légitimité politique
qui ne risquaient pas d’entrer en
compétition avec lui ou remettre en
cause son autorité. Après la défaite de
Zbiri, qui s’était enfui à l’étranger,
Boumédiène a récupéré sa fonction de
chef d’Etat-Major, en plus de ses
fonctions de ministre de la défense, de
chef d’Etat, de chef de gouvernement et
de président du conseil de la
révolution, dépositaire de la
souveraineté nationale. A ce titre, il
déléguait son autorité au responsable du
parti unique qu’il désignait. En
quelques années, Boumédiène avait
construit un système centralisé,
structuré autour de sa personne et de
son charisme.
Il avait cependant huilé ce système avec
l’idéologie populiste qu’il incarnait à
lui seul, ne permettant à personne de
parler au nom du peuple. Il considérait
qu’il avait une mission historique - le
développement du pays - qui justifiait
la concentration des pouvoirs entre ses
mains, interdisant par ailleurs
l’exercice de la politique en dehors du
cadre du parti unique. L’idéologie
populiste et la Sécurité Militaire
dissuadaient tout débat d’idées,
refoulant toute expression politique de
l’espace public. La nationalisation des
matières premières détenues par des
compagnies étrangères, la révolution
agraire, l’industrialisation, la
scolarisation massive et la gratuité des
soins ont forgé l’image d’un Boumédiène
symbole de la dignité nationale et de la
justice sociale. Il ne voulait pas être
un président élu ; il voulait être le
prince juste qui dirige au nom des
martyrs. N’est-il pas mort une année
après avoir été élu à la magistrature
suprême ? Pour lui, l’Etat est une
administration au service du peuple sous
la surveillance et le contrôle de
l’armée. Il méprisait le droit
constitutionnel qu’il considérait comme
une invention de la bourgeoisie pour
protéger et justifier ses intérêts.
Après sa mort intervenue en décembre
1978, le système lui survivra sans
l’espérance utopique qui exalte les
masses et sans le charisme qui donne aux
foules le sentiment qu’elles sont
représentées au sommet de l’Etat.
La phase des conflits entre les
présidents et la hiérarchie militaire :
1979-1999
En janvier 1979, la désignation du
successeur de Boumédiène s’est faite en
dehors du parti et de la constitution.
Une dizaine de colonels, réunis en
conclave dans une école militaire, ont
tranché la question à l’ordre du jour.
En son absence, le colonel Chadli
Bendjedid avait été choisi comme chef
d’Etat par défaut sur le critère peu
élogieux de l’officier le plus ancien
dans le grade le plus élevé. Le choix de
Chadli, officier timide et effacé,
indiquait que le système ne voulait pas
d’un leader de la dimension de son
fondateur. De là est apparue la
séparation entre le pouvoir formel du
président et de ses ministres d’une
part, et le pouvoir réel qui les nomme
et les pourvoit en autorité d’autre
part. En devenant président civil, le
colonel Chadli perdait la parcelle de
pouvoir réel que détiennent ses pairs en
tenue. Pour compenser cette perte, il
nomme le colonel Larbi Belkheir, devenu
plus tard général, au poste névralgique
de directeur de la présidence. En
Janvier 1992, Belkheir l’a trahi en
rejoignant le clan des généraux qui
avaient exigé la démission du président
pour avoir envisagé de cohabiter avec un
premier ministre islamiste après la
victoire du FIS aux élections
législatives de décembre 1991. Ironie du
sort, les généraux les plus déterminés à
s’opposer à Chadli, un officier de
l’ALN, sont ceux issus de l’armée
française. Au début des années 1990 et
plus tard, ils avaient pris le contrôle
du commandement militaire en occupant
des postes élevés : K. Nezzar, ministre
de la défense, M. Lamari, chef d’Etat-Major,
F. Chérif, chef des opérations
terrestres etc. Ils ne disposaient
cependant pas de la légitimité
historique pour prétendre au poste de
chef de l’Etat.
Chadli sera remplacé par M. Boudiaf qui
a une légitimité historique que les
généraux ont opposée à la légitimité
électorale dont se réclamaient les
islamistes. Boudiaf accepte l’offre de
diriger l’Etat dont il estime être un
des pères en sa qualité de co-fondateur
du FLN. Il n’était cependant pas le père
du système né après son exil et dont il
ne maîtrisait pas la logique de
fonctionnement. Il le paiera de sa vie
pour avoir voulu modifier le système
sans l’accord des acteurs principaux
qu’il voulait écarter. Le
révolutionnaire sera assassiné par un
jeune soldat de l’armée qu’il a
contribué à créer. Après un intérim
assuré par Ali Kafi, les généraux
désignent un des leurs, le général
Liamine Zéroual, pour occuper les
fonctions de chef d’Etat. Connaissant
les rapports de forces à l’intérieur de
la hiérarchie, Zéroual a essayé de
mettre la main sur les services de
sécurité en proposant un de ses fidèles
pour succéder au général Tewfik Médiène,
chef du redoutable DRS. Le successeur
pressenti mourra dans un accident de la
route dans le vaste Sahara où peu de
voitures circulent. Pour se protéger et
dissuader la hiérarchie militaire de
limiter ses prérogatives
constitutionnelles, le président Zéroual
nomme auprès de lui un de ses fidèles,
le général Betchine. Malgré la
combativité de ce dernier, réputé être
violent, le président a dû jeter
l’éponge face aux coups répétés des
généraux Tewfik et Smain, opposés à ses
contacts avec les responsables du FIS.
Prenant la mesure de son incapacité à
imposer son plan de sortie de crise,
Zéroual démissionne au milieu d’une
période trouble où des centaines de
villageois étaient assassinés aux portes
d’Alger. La deuxième phase du système,
commencée en 1979, marquée par les
conflits entre les généraux et la
présidence, s’achèvera en 1999, avec
deux chefs d’Etat poussés à la démission
(Chadli et Zéroual) et un troisième
assassiné (Boudiaf).
Le triomphe du pouvoir réel : 1999-2019
La troisième phase (1999-2019) s’ouvre
avec la désignation de Bouteflika,
choisi pour sa prétendue connaissance
des relations internationales à une
période où l’Algérie était isolée
diplomatiquement. Lui faisant croire
qu’il sera le chef incontesté et non un
quart de président, les militaires l’ont
amadoué pour mieux domestiquer
définitivement la présidence. Malgré la
propagande des officines, l’excentrique
Bouteflika n’avait aucun pouvoir, si ce
n’est celui d’enrichir sa clientèle et
détourner l’argent public. Le budget de
l’Etat était excédentaire d’année en
année en raison de l’augmentation
continue des prix du pétrole, ce qui
permettait des transactions de marchés
publics aux sommes colossales. Les amis
du président et les protégés des
généraux prélevaient des commissions à
hauteur de millions de dollars. Le frère
de Bouteflika, ayant le titre officiel
de conseiller à la présidence, était un
personnage courtisé par des individus
avides d’ascension sociale rapide. Il
était mis en avant par la presse qui le
présentait comme le deuxième personnage
politique le plus important, alors qu’en
fait, il n’appartenait qu’à la
périphérie du système. Avec Bouteflika,
le système s’était rodé et avait atteint
sa vitesse de croisière avec une
efficacité optimale, grâce à une
richesse monétaire factice efficace pour
diminuer la contestation sociale. Les
militaires avaient assis leur autorité
et pouvaient se permettre de renouveler
les mandats d’un président plus sensible
à son ego qu’à la situation du pays. En
septembre 2018, alors que le choléra
sévissait dans la banlieue d’Alger, la
télévision montrait Bouteflika prendre
l’avion pour la Suisse où il allait
régulièrement se soigner.
La victoire militaire sur les
islamistes, consacrée par l’accord
DRS-AIS en 1999, et la vertigineuse
hausse du prix du pétrole après 2001
avaient renforcé le système, le mettant
à l’abri de l’adversité provenant soit
des islamistes, soit des protestations
sociales, soit des rivalités entre les
différents appareils de sécurité. Mais
en 2013 éclate au grand jour le conflit
entre l’EM et le DRS suite à l’attaque
de Tiguentourine qui a ébranlé le
système en menaçant la principale source
en devises du pays. L’Etat-Major a
reproché au DRS son incapacité à
protéger des installations économiques
stratégiques alors qu’il dispose d’un
personnel en grand nombre et de finances
illimitées. L’attaque terroriste a donné
l’occasion pour mettre fin à la
puissance politique du DRS et de son
chef le général Tewfik Médiène. Celui-ci
avait acquis en effet un poids politique
considérable au point de s’autonomiser
des autres généraux à la faveur de la
lutte anti-islamiste des années 1990.
Entre 1995 et 2015, une grande partie du
pouvoir réel était entre les mains de
Tewfik Médiène et des généraux qui
l’entouraient. Ils exerçaient une
autorité sur la société, sur l’Etat et
aussi sur les militaires qui craignaient
d’être soupçonnés de sympathies
islamistes. Aucune promotion au grade
supérieur ne se faisait sans le feu vert
du DRS. Des colonels et des commandants
d’unités opérationnelles étaient à la
merci d’un rapport rédigé par un
lieutenant du DRS officiellement sous
leurs ordres. Par ailleurs, opérant
parmi les civils, notamment les
entrepreneurs et les walis, les
officiers du DRS occupaient une position
stratégique dans le circuit de
redistribution et de prédation de la
rente. Tandis que la famille d’un
colonel d’unité opérationnelle vit dans
un appartement exigu à Mostaganem ou
Guelma, le capitaine du DRS a plusieurs
commerces, deux appartements et un
terrain en banlieue d’une grande ville.
Sentant le mécontentement des officiers
de la troupe, l’Etat-Major a saisi
l’occasion de la crise de Tiguentourine
pour séparer les trois départements du
DRS en les dotant de directions
autonomes les unes des autres. Le
premier est la Direction Centrale de la
Sécurité de l’Armée (DCSA) chargée de
protéger les casernes des infiltrations
politiques et idéologiques. Elle veille
aussi à faire respecter l’autorité de l’Etat-Major
par tout le personnel militaire. La DCSA
rédige des rapports à l’intention de la
hiérarchie sur le comportement de
militaires contrevenant aux instructions
de l’EM. Une arrestation par ce service
conduit toujours au Tribunal Militaire.
C’est l’organe de sécurité le plus
puissant au-dessus de tous les autres
appareils de l’Etat. Le deuxième
département est la Direction de la
Documentation et des Services Extérieurs
(DDSE) qui est l’organe classique
d’espionnage et de contre-espionnage.
Elle surveille les ambassades et les
agissements des services étrangers qui
porteraient atteinte aux intérêts du
pays. La DDSE ne s’intéresse aux
nationaux que s’ils sont impliqués dans
des affaires d’espionnage au profit de
pays étrangers. Le troisième département
est la Direction Centrale de Sécurité
Intérieure (DCSI) qui a la mission
d’encadrer « la société civile » : les
partis, la presse, les syndicats, etc.
Ce service est une police politique qui
défend les intérêts du système et non du
pays. Sa principale mission est
d’étouffer par la ruse ou par la
répression toute opinion politique qui
mettrait en danger le système. Il
emploie de faux islamistes, de faux
syndicalistes, de faux démocrates, de
faux berbéristes, de faux communistes…
rémunérés pour affaiblir l’opposition et
l’empêcher de s’unir sur des projets
communs. Ce service est illégitime par
sa mission principale et illégale par
ses pratiques arbitraires contraires à
la constitution.
L’originalité du démembrement du DRS en
2015 a consisté à placer la DCSI sous la
tutelle de la présidence. Son
responsable, jusqu’en mars 2019, le
général Bachir Tartag, a dû enlever la
tenue militaire pour enfiler celle d’un
haut-responsable civil ayant un bureau à
la présidence. Est-ce que c’est
Bouteflika qui a décidé de ces réformes
comme le prétendait la presse ?
Probablement non, parce que son état de
santé ne lui permettait pas d’opérer des
changements aussi importants dans les
appareils de sécurité. La domiciliation
de la DCSI à la présidence n’est pas un
changement spectaculaire en soi dans la
mesure où la présidence a toujours
dépendu dans les faits du MDN. Celui-ci
envoie les instructions à celle-ci qui
les répercute aux ministères concernés,
et aussi au FLN et au RND en cas de
présentation d’un projet de loi à
l’Assemblée Nationale. Le système
fonctionne en circuit fermé sous la
forme d’un iceberg où la partie
invisible émet à la partie visible les
impulsions qui la font bouger. L’iceberg
s’était stabilisé après la réforme du
DRS et s’apprêtait à renouveler le
mandat du président pour la 5èm fois
malgré sa maladie. Certains avaient des
doutes sur cette option, se demandant si
Bouteflika était encore en mesure de
diriger le pays. Ils ne se rendaient pas
compte que le système fonctionne sans
président depuis la mort de Boumédiène.
Le souhait du système a cependant été
contrarié par la rue qui ne voulait pas
d’un chef d’Etat amorphe qui apparaît
inanimé sur une chaise roulante, prenant
l’avion régulièrement pour aller se
soigner dans les hôpitaux européens.
Le hirak contre le système : 2019- 20 ??
Le 16 février 2019, à Khenchela, ville
moyenne de l’est du pays, un portrait
géant de Bouteflika a été arraché et
piétiné par une foule exaspérée. La
scène a fait le buzz sur les réseaux
sociaux en quelques heures. Le vendredi
suivant, le 22 février, toutes les
villes ont suivi Khenchela pour exiger
l’annulation du 5èm mandat. Le hirak
était né, bousculant le système dont les
acteurs ne s’attendaient pas à une
protestation populaire aussi massive.
Pendant un moment, l’Etat-Major a
soupçonné les anciens éléments du DRS
d’être derrière le mouvement populaire
dans un esprit de revanche. Affolé, le
chef d’Etat-Major, le général Gaid Salah
qui a les défauts du militaire sans les
qualités du soldat, a procédé dans
l’urgence à des mises à la retraite et à
des arrestations dans tous les services
de sécurité, remplaçant les uns par les
autres dans la précipitation. L’EM avait
pour la première fois un adversaire
politique redoutable qui l’a tenu en
échec, surtout que cet adversaire
n’était pas hostile à l’armée en tant
qu’institution. Le hirak a même privé le
système de la dimension nationaliste en
se réappropriant les figures des héros
de la guerre d’indépendance. Par
ailleurs, le slogan chaab-djeich khawa-khawa
rendait difficile de demander à la
troupe de rétablir l’ordre public dans
la rue car il y avait risque de
fraternisation avec les manifestants.
Acculé, le système a fait des
concessions en annulant le 5èm mandat et
en obligeant Bouteflika à démissionner.
Par deux fois, l’élection présidentielle
a été reportée. La puissance du hirak a
poussé le système à sacrifier sa façade
civile, mais les manifestants criaient «
trop peu, trop tard ». Ils voulaient la
fin du système comme l’affirment les
slogans « les généraux à la poubelle »
et « madania machi ‘askaria ».
L’arrestation d’anciens premiers
ministres, de ministres et d’hommes
d’affaires corrompus n’a pas mis fin au
hirak ; au contraire, il était galvanisé
par ces arrestations et demandait une
transition du pouvoir militaire vers le
pouvoir civil. Il exigeait la primauté
du civil sur le militaire et la
dépolitisation du grade de général.
Surpris par l’audace d’une telle
revendication, le chef d’Etat-Major
affirmait accepter le principe d’une
transition à condition qu’elle soit
menée par un président élu dans le
respect de la constitution.
La stratégie adoptée reposait sur
l’élection d’un nouveau président pour
plus tard reprendre la main sur les
événements. Il fallait cependant choisir
un président qui ne tente pas de
s’appuyer sur le hirak pour dominer le
système. Abdelmajid Tebboune était le
candidat idéal pour avoir servi
fidèlement l’administration de poste de
wali à celui éphémère de premier
ministre. Pour le système, il présente
l’avantage de ne pas posséder de
personnalité charismatique qui le
rendrait autonome de la hiérarchie
militaire. A peine élu, il affirme que
son objectif est de réaliser les
revendications du hirak, ce qui signifie
introduire des changements sans modifier
le système. Dans un de ses premiers
discours, il dresse un bilan sombre de
la période de Bouteflika comme s’il
n’avait jamais fait partie de son
gouvernement. Le bouc-émissaire était
Bouteflika et sa bande (el 3issaba) qui
aurait ruiné le pays. Les généraux
n’auraient aucune responsabilité dans ce
gâchis, même si une partie d’entre eux
est en fuite à l’étranger et une autre
partie en prison. Le système s’est
débarrassé de quelques acteurs
encombrants et cherche à donner à
Tebboune l’image d’un responsable
intègre auquel les institutions de
l’Etat, y compris les appareils de
sécurité, prêtent allégeance dans le
cadre de ses prérogatives
constitutionnelles. Le général Gaid
Salah, qui l’a désigné à ce poste, a
choisi de mourir une dizaine de jours
après son élection pour ne pas lui faire
de l’ombre et pour lui éviter la
situation embarrassante que son
vice-ministre est politiquement
supérieur à lui. Le système ne réfléchit
pas mais c’est un automate intelligent.
Il fallait que Tebboune n’ait pas de
supérieur hiérarchique en dehors du
peuple. Les généraux sont impopulaires,
mais il faut que le président soit
populaire. Cette perspective a été
contrariée momentanément par la pandémie
du Covid-19, durablement par la chute du
prix du baril de pétrole et
conjoncturellement par le général
Wassini Bouazza.
Désigné en avril 2019 à la tête de la
DCSI pour affaiblir le hirak à tout
prix, le général W. Bouazza a montré
plus d’ambition personnelle que
d’intelligence. Protégé par la général
Gaid Salah durant l’année 2019, il était
le hardliner pressé de mettre fin à la
protestation par la répression. En
incarnant la ligne dure, il s’était
imposé à ses collègues à l’ombre de Gaid
Salah. Le système était-il en train de
reproduire un autre Rab Dzair craint par
les opposants et par ses pairs ? Après
l’élection présidentielle du 12
décembre, le général Bouazza a refusé de
se mettre formellement sous l’autorité
du président Tebboune. Il a commis la
même erreur que celle du général M.
Lamari qui, en sa qualité de chef d’Etat-Major,
s’était montré condescendant vis-à-vis
du président dans une interview accordée
à l’hebdomadaire français Le Point en
2004. Les généraux sont politiquement
supérieurs au président, mais la logique
du système leur interdit de le
reconnaître publiquement. Le général
Bouazza montrait par ses actes peu de
respect à Tebboune, affichant une
arrogance débordante. Ayant succédé au
général Tartag à la tête de la DCSI, il
aurait dû enlever l’uniforme militaire,
installer son bureau à la présidence et
se montrer publiquement. En
s’affranchissant de ces règles, il n’a
pas respecté les directives de l’EM sur
les prérogatives des différents services
de sécurité. Il ne voulait pas être le
chef d’une DCSI qui contrôle uniquement
les partis artificiels, les faux
journalistes et les milliers
d’indicateurs et de doubabs des réseaux
sociaux. Il intervenait dans des
domaines qui sortaient de ses
prérogatives et empiétait sur celles des
généraux Benali et Medjahed qui
contrôlent et surveillent la présidence
sous l’autorité de l’EM. Il donnait des
instructions directement au ministre de
la justice et au DGSN sans passer par la
présidence. Il affaiblissait la
cohérence d’un système qui cherchait à
se reconstruire pour survivre. Le
système a fini par l’éjecter pour avoir
gêné son adaptation au nouvel
environnement créé par le hirak. Tout
acteur, quelle que soit sa position dans
le système, est écarté s’il ne respecte
pas sa rationalité et ses contraintes.
Les exemples ne manquent pas : K. Nezzar,
M. Lamari, T. Médiène…
Pour des raisons liées à son histoire,
l’Algérie indépendante a mis en place un
système de pouvoir incompatible avec le
principe de la souveraineté populaire
qui s’exprime par des élections libres.
Au cœur de ce système, la hiérarchie
militaire refuse que le pays se donne un
chef d’Etat, qu’il soit issu des partis,
des syndicats, de l’université ou même
des rangs de l’armée, fort de la
légitimité populaire. Elle veut que le
personnel qui dirige l’Etat soit choisi
par les appareils de sécurité et non par
le corps électoral. C’est ce système que
le hirak veut démanteler. Le pourra-t-il
? Ce que l’histoire fait, l’histoire le
défait.
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