Algérie -
Entretien
"Le régime algérien n’a plus de
ressource idéologique"
Lahouari Addi
Mardi 20 octobre 2020
Les
Algérien.ne.s sont appelé.e.s à
participer au référendum sur la révision
de la Constitution. Addi Lahouari,
professeur émérite de sociologie à
Sciences Po Lyon décrypte ce projet de
réforme constitutionnelle.
Le Matin
d'Algérie : Le texte réformant la
Constitution a été approuvé par le
parlement le 10 septembre dernier. De
quoi s’agit-il ?
Lahouari Addi :
Il s’agit d’une réforme de la
constitution en réponse au hirak -
mouvement de contestation populaire qui
a débuté en février 2019 - qui veut un
changement de régime. Le projet a été
adopté par une Assemblée Nationale dont
les dirigeants des deux partis
majoritaires dans cette Assemblée sont
en prison. Par ailleurs, les procès en
cours ont révélé que de nombreux députés
et sénateurs ont payé pour être élus sur
les listes du Front de Libération
Nationale (FLN) et du Rassemblement
national démocratique (RND). Par
conséquent, les élus des partis de
l’administration n’ont aucune légitimité
à se prononcer sur une réforme de la
constitution.
Au lieu de
dissoudre les deux chambres et de
procéder à de nouvelles élections
législatives, le président a préféré
opérer des réformes avec les
représentants issus de scrutins
truqués.
Quelles sont les
nouveautés proposées par cette réforme
constitutionnelle ? Qu’est-ce qui change
fondamentalement ?
Lahouari Addi :
Ce qui est nouveau, c’est que le
président va avoir des pouvoirs étendus
pour répondre à l’éventualité où un
parti de l’opposition légale remporte
les élections législatives. Dans ce cas,
le président nommera un premier ministre
issu de l’opposition. C’est de là que
vient la différence introduite par la
constitution entre premier ministre et
chef de gouvernement. Ce sera un premier
ministre s’il appartient à un parti
différent de celui du président; ce sera
un chef de gouvernement dans le cas
contraire. Cela signifie que le
commandement militaire accepte désormais
l’idée que le gouvernement soit
éventuellement dirigé par d’autres
partis que le FLN et le RND. Mais le
parti vainqueur ne remettra pas en cause
la règle non écrite constitutive du
régime algérien : le commandement
militaire est source du pouvoir en lieu
et place de l’électorat.
Quel est l’enjeu
principal pour le chef de l'Etat ?
Lahouari Addi :
Ce ne sera pas un enjeu pour le
président. Depuis Houari Boumediène, le
président en Algérie n’a aucune autorité
réelle sur l’Etat. Il est à El Mouradia
– la Présidence - juste pour appliquer
la politique décidée par le commandement
militaire. Comme le dit l’historien
Mohamed Harbi, « les Etats ont une
armée, et l’armée algérienne a un Etat
». C’est ce qui explique que la nouvelle
constitution donne de plus grands
pouvoirs au président. En fait, cela
permettra au commandement militaire de
garder sous son contrôle les ministères
souverains comme l’intérieur, la
défense, l’économie et les affaires
étrangères en cas de victoire électorale
aux législatives d’un parti de
l’opposition légale. Mais le système est
construit de telle manière qu’aucun
parti légal n’est autorisé à remettre en
question le rôle du commandement
militaire comme source du pouvoir. Le
régime ne veut prendre aucun risque. Le
parti vainqueur aux élections aura les
ministères de l’éducation nationale, de
l’enseignement supérieur, de la pêche,
du commerce, des habous, du sport,
etc.
Pourtant la
nouvelle constitution confirme le
président comme chef suprême des armées
et même ministre de la défense. Il a
donc un pouvoir.
Lahouari Addi
: Le fait même que le président soit
officiellement le ministre de la Défense
prouve que le commandement militaire ne
veut pas d’un membre du gouvernement
ministre de la Défense. Cela
signifierait sur le papier que le
ministre de la Défense obéit au
président. Le système ne peut pas se
permettre la nomination d’un ministre de
la Défense ayant une plus grande
autorité politique que le président. A
l’exception du colonel Houari Boumediène
et du général Khaled Nezzar, il n’y a
jamais eu de ministre de la Défense en
Algérie. Et dans les deux cas, il y a eu
coups d’Etat. La structure des rapports
d’autorité dans le champ de l’Etat ne
peut pas accepter un ministre de la
défense. Le ministre de la Défense et le
président seraient en compétition
ouverte, publique, et cela le régime ne
peut pas se le permettre.
Ce projet sera
soumis à un référendum le 1er novembre.
Pourquoi cette date ? Quel est l’enjeu
de cette consultation populaire ?
Lahouari Addi :
Le régime veut dire qu’il est dans
la continuité du 1er Novembre 1954 qui
est une date fondatrice de l’Algérie
nouvelle. Le régime compte compenser son
déficit de légitimité politique en usant
et abusant de la légitimité historique.
Le projet a été
vivement critiqué. Quels sont les points
essentiels remis en questions ?
Lahouari Addi :
Il a été critiqué parce qu’il n’apporte
pas le changement que veut une majorité
de la population. Une majorité de la
population veut un changement de régime
et non un changement dans le régime. Le
hirak demande une transition politique
qui mette fin au rôle politique du
commandement militaire dans l’Etat.
C’est pour cela que les animateurs du
hirak n’ont pas été associés à la
confection du projet de constitution. Au
contraire, ils ont été envoyés en
prison. Il a été fait appel à des
universitaires qui ont présenté un
projet qui a été modifié par la
présidence.
Le mouvement de
contestation populaire, le hirak est
constitutionnalisé dans le préambule de
la réforme. Quel est le but visé de
cette démarche ?
Lahouari Addi
: Les textes qui fondent la
légitimité du régime ne correspondent
pas à la réalité sur le terrain. Toutes
les constitutions depuis 1964 disent que
le pouvoir appartient au peuple, alors
que dans la réalité les élections sont
truquées. Donc parler du hirak dans le
préambule de la constitution et
emprisonner des militants du hirak
relève d’une logique propre à tous les
pouvoirs autoritaires. Tous les pouvoirs
sont cyniques et machiavéliques. Ce
n’est pas propre à l’Algérie.
La nouvelle
Constitution entend renforcer les droits
et libertés des citoyen.ne.s alors que
la politique répressive du gouvernement
à l’égard des manifestant.e.s et des
journalistes redouble de férocité.
Comment expliquer cette contradiction
entre les intentions déclarées et
écrites et les faits ?
Lahouari Addi : Il
y a une loi en science politique qui
veut que ceux qui ont le pouvoir feront
tout pour le garder. Regardez ce qui se
passe aux Etats-Unis avec Trump. Il a
déclaré que même s’il perd les
élections, il ne quittera pas la Maison
Blanche. Donc l’Algérie n’est pas une
exception. Le champ politique est régulé
par le rapport de forces entre ceux qui
cherchent à garder le pouvoir et ceux
qui cherchent à les faire partir.
L’issue dépendra des ressources qu’ont
les uns et les autres. Les deux seules
ressources qu’a le régime en Algérie,
c’est la violence d’Etat exercée à
travers l’administration judiciaire et
la rente pétrolière. Le hirak a pour lui
le nombre et le désir de la majorité à
vouloir changer de régime. Le régime
algérien n’a plus de ressource
idéologique qui lui donnerait la
légitimité, et c’est ce qui explique
qu’il aura recours de plus en plus à la
violence d’Etat.
Propos
recueillis par Nadia Agsous
Lahouari Addi
est professeur émérite de sociologie à
Sciences Po Lyon. Son dernier ouvrage
est «La crise du discours religieux
musulman. Le nécessaire passage de
Platon à Kant», éditions Frantz Fanon,
Alger.
Le sommaire de Lahouari Addi
Le dossier
Algérie
Les dernières mises à jour
|