Algérie
Etes-vous sérieux M. le président ?
Lahouari Addi
Lundi 11 mai 2020
C'est la question que se sont
posé beaucoup de personnes quand
elles ont reçu l'avant-projet de
constitution. La constitution est un
texte qui régit la participation des
citoyens au champ de l'Etat et qui
limite les prérogatives du pouvoir
exécutif à ses missions
constitutionnelles. Elle établit la
séparation des pouvoirs et protège
les libertés publiques et
individuelles des citoyens. Le
premier droit civique de ces
derniers est de critiquer le pouvoir
exécutif quand il sort de ses
prérogatives. Comment alors
présenter un projet de constitution
à débattre "démocratiquement" alors
que Tabou, Drareni et des centaines
de hirakistes sont en prison pour
avoir exercé leurs droits civiques?
Etes-vous sérieux M. le président?
Dans sa volonté de résoudre la crise
par une modification de la loi
fondamentale, le régime algérien
est-il sincère? Veut-il vraiment
résoudre la crise et pacifier ses
rapports avec la société ou veut-il
juste reconstruire la base légale de
l'arbitraire afin d'utiliser la
justice pour se défendre contre la
société? Il est à craindre que pour
le général Chengriha et pour
Tebboune, la constitution est un
instrument juridique qui sert à
protéger le régime contre
l'opposition. Cette posture découle
de ce que, pour les dirigeants,
l'Etat leur appartient. Il est mis
sous tutelle de l'armée qui coopte
une élite pour diriger les services
gouvernementaux. Les dirigeants
considèrent les Algériens comme des
voisins encombrants avec qui ils
doivent s'entendre sur un texte qui
énonce les règles de bon voisinage.
"Voilà ce que vous pouvez faire en
tant que voisins, et ce que vous ne
pouvez pas faire, sinon, c'est
illégal", disent-ils aux Algériens.
On a posé un jour la question à
Solon, philosophe grec de
l'Antiquité: "Quelle est la
meilleure constitution?". Il a
répondu: "Pour quel temps et pour
quel peuple?". Pour le peuple
algérien aujourd'hui, la meilleure
constitution est celle qui mettrait
fin à la dualité pouvoir
réel/pouvoir formel et qui empêche
la hiérarchie militaire de désigner
le président. Elle est celle qui
interdit une organisation comme la
DCSI que le ministère de la défense
charge de contrôler le champ
politique et de fabriquer des élites
artificielle. L'existence de la DCSI
est illégitime et ses pratiques
illégales. L'avant-projet rendu
public par la présidence est loin
des attentes du hirak qui demande
une "dawla madania, machi askaria"?
Le hirak a-t-il demandé la création
de la fonction d'un Vice-Président?
Les Algériens demandent un vrai
président et le régime leur propose
un président et un demi-président.
Etes-vous sérieux M. le président?
Où sont les articles qui interdisent
aux militaires d'interférer dans la
vie politique? Où sont les articles
qui mettent la gendarmerie nationale
sous l'autorité directe du ministère
de l'intérieur? Où sont les articles
qui enlèvent au ministère de la
défense la fonction de protéger, et
donc de contrôler, la présidence? Où
sont les articles qui autorisent les
policiers à avoir des syndicats pour
que la police nationale défende
uniquement l'ordre public et non le
régime? Où sont les articles qui
donnent le droit aux députés de
créer des commissions qui
supervisent les services de sécurité
de l'armée et de la police?
Monsieur le président, une
constitution n'est pas un code de
bon voisinage entre les gouvernants
et les gouvernés. C'est un texte qui
codifie l'exercice de la
souveraineté populaire incarnée dans
les institutions de l'Etat. Cet
avant-projet est anachronique et
date de 1965. L'Algérie a besoin
d'une constitution de 2020. A chaque
temps sa constitution, c'est ce que
dit le philosophe grec Solon.
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