Algérie
Liberté de presse et autoritarisme
politique
Lahouari Addi
Mercredi 9 septembre 2020
Le procès de Khaled Drareni est
révélateur de la nature d'un régime qui
a peur de la liberté de la presse.
Maître Bouchachi avait raison de
déclarer à l'audience que "ce tribunal
rend la justice au nom du système et non
au nom du peuple". Au nom du peuple! est
l'expression qui structure et donne une
cohérence à tous les articles de la
constitution qui régit les rapports
d'autorité dans un Etat de droit.
L'essence de la constitution est de
protéger l'autonomie des acteurs de la
société: l'autonomie de la presse,
l'autonomie de la justice, l'autonomie
des syndicats, l'autonomie des partis,
l'autonomie de l'électorat, etc. Cette
autonomie signifie la mise en place de
limites institutionnelles qui empêchent
que l'autorité publique soit détournée à
des fins privées et soit exercée en
dehors des intérêts de la société. Si
les journalistes comme Khaled Drareni
étaient libres d'écrire, et ils sont
nombreux, il n'y aurait pas eu d'affaire
Khalifa, ni affaire Chakib Khelil, ni de
deuxième mandat de Bouteflika, ni
l'affaire Ouassini Bouazza, ni l'affaire
de l'adjudant-chef milliardaire Guermit
Bounouira, etc., etc. La corruption
n'aurait pas disparu, mais au moins elle
serait exceptionnelle et non générale
comme c'est le cas aujourd'hui. En
refusant la liberté de la presse, le
régime détruit l'Etat et porte de lourds
préjudices à la société. Il n'accepte
pas la critique salvatrice, correctrice
et n'accepte pas que la vérité soit
clamée publiquement au sujet de la
situation économique et sociale. Le
régime algérien n'a pas le courage des
dictateurs qui interdisent la liberté de
la presse, mais il conçoit celle-ci
comme la liberté des journalistes à
défendre le régime contre l'opposition.
Ceux qui sortent de cette feuille de
route seront poursuivis pour "atteinte à
l'unité nationale". C'est sous ce motif
que Khaled Drareni a été inculpé sans
que le procureur de la république ne se
pose des questions sur cette accusation.
L'autre motif d'inculpation est
"incitation à attroupement non armé". Et
alors pourquoi seulement Drareni est à
la barre et non pas les centaines de
milliers de hirakistes qui
"s'attroupaient" les vendredis? Les deux
motifs d'inculpation ne tiennent pas la
route et n'ont aucun lien avec l'intérêt
du pays. Le régime veut faire de Drareni
une épée de Damoclès sur la tête de tous
les journalistes. Son message aux
journalistes est le suivant: je n'ai pas
le courage d'assumer la censure de la
presse, mais si vous ne vous
auto-censurez pas, vous serez poursuivis
pour "incitation à la violence, atteinte
à la sûreté de l'Etat, intelligence avec
l'étranger, etc." par une administration
judiciaire qui est la négation de
l'autonomie de la justice. La
condamnation à la prison de Khaled
Drareni est la preuve matérielle que le
régime ne veut pas changer, et qu'il est
même en train de se radicaliser pour
survivre. Le problème est que sans la
liberté de la presse, il n'y a pas de
moralisation de l'Etat et de la vie
publique. La décision qui sera prise le
10 août par le tribunal qui juge Drareni
indiquera dans quelle direction les
décideurs veulent aller.
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