Algérie
A quoi sert le
Sénat en Algérie ?
Lahouari Addi
Mardi 9 juin 2020
De nombreux pays
ont une Assemblée Nationale composée de
députés élus par la population et un
Sénat formé d’élus qui représentent des
collectivités locales. En France, les
sénateurs sont désignés par les élus
locaux des municipalités, des conseils
régionaux et autres corps
intermédiaires. Par ce mécanisme, la
France rurale est mieux représentée au
Sénat que la France urbaine. C’est un
moyen pour neutraliser les
revendications des classes moyennes et
populaires des villes. Aux Etats-Unis,
c’est la même logique territoriale qui
prévaut pour donner aux forces sociales
conservatrices un poids plus grand dans
l’institution. Les 50 Etats élisent deux
sénateurs chacun, quel que soit le
nombre d’habitants. C’est ainsi que le
Wyoming, Etat conservateur rural du
Midwest, qui compte 560 000 habitants, a
deux sénateurs, tout comme la Californie
qui compte près de 40 millions
d’habitants. Il est vrai que les Etats
peuplés comme la Californie ont un plus
grand nombre de représentants à la
Chambre. Mais aucune loi votée à la
Chambre ne peut être envoyée à la
présidence pour approbation si elle n’a
pas reçu le vote favorable du Sénat.
Ceci signifie que les représentants des
quelques centaines de milliers
d’électeurs d’Etats ruraux bloquent des
lois votées par les représentants des
millions de citoyens américains. Ce
système indique que l’Amérique
sur-représente les Etats ruraux
conservateurs au détriment des Etats où
les classes moyennes et populaires
urbaines sont majoritaires. Ceci est un
déficit démocratique flagrant.
Qu’en est-il en Algérie ? Le Sénat a été
mis en place sous la présidence de
Liamine Zéroual qui avait élaboré en
1996 un plan de sortie de crise
prévoyant des élections libres
auxquelles les islamistes prendraient
part. Pour limiter leur influence au cas
où ils gagneraient la majorité à
l’Assemblée Nationale, Zéroual avait
prévu la création d’un Sénat dont 2/3
des membres seraient élus par les APC et
les APW et 1/3 serait désigné par le
président. Il serait alors facile de
former une majorité de blocage au Sénat
qui s’opposerait éventuellement à des
lois provenant d’une Assemblée à
majorité islamiste. Pour Zéroual, le
Sénat faisait partie d’une stratégie
globale que les chefs du DRS, notamment
les généraux Tewfik Médiène et Smain
Lamari, avaient refusée. Ils ont obligé
Zéroual à partir pour le faire remplacer
par Bouteflika. L’ironie de l’histoire,
c’est que ce même Tewfik Médiène, a été
arrêté et condamné à la prison en 2019
pour avoir voulu rappeler Zéroual en
remplacement de Bouteflika après le
début du hirak.
Le Sénat a survécu à Zéroual dans un
environnement institutionnel où
l’Assemblée Nationale était docile et
n’était pas représentative. En effet,
toutes les élections législatives,
marquées par la fraude, ont donné la
victoire aux deux partis de
l’administration : le FLN et le RND. Une
Assemblée Nationale docile qui ne votait
que les projets de loi du pouvoir
exécutif rendait le Sénat inutile. Il
est peut-être utile pour le régime qui a
parfois besoin de recycler des
personnalités qui lui ont été fidèles.
Car une place au Sénat, outre le salaire
mensuel 15 fois supérieur au SMIG, et
autres avantages, donne accès au circuit
de redistribution de la rente. Quand un
sénateur demande une entrevue au Wali,
c’est pour lui demander un appartement,
un terrain, etc. Le Sénat n’existe pas
pour équilibrer des forces idéologiques
; c’est juste un mécanisme de prédation
et de redistribution de prébendes. Sous
Bouteflika, la candidature au Sénat se
monnayait en plusieurs milliards de
centimes. C’est ce que les journalistes
appellent les élections de la chkara.
Sans imagination, et sans autonomie,
Tebboune cherche à reconduire le système
de son prédécesseur, avec cette
différence que le prix du baril de
pétrole est à 30 dollars et non pas à
100 dollars.
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