Algérie
Vendredi 55: 'ilmanya
versus laïkiya
Lahouari Addi
Samedi 7 mars 2020
Ce vendredi 55 les
manifestants ont chanté un slogan qui
refuse la controverse islamiste/laïc:
"la islamioune, la 'ilmanioune, nahnou
hirakioune". Le hirak montre plus de
maturité dans la stratégie politique que
certains démocrates auto-proclamés qui
reprochent à Karim Tabou d'avoir un
respect pour l'appel à la prière. La
croyance religieuse n'a jamais posé
nulle part problème à la démocratie et
au respect des droits humains. C'est sa
politisation, dans un sens ou dans un
autre, qui pose problème.
Ce sur quoi je
voudrais attirer l'attention, c'est que
les manifestants n'ont pas utilisé le
mot "laïkia" mais 'ilmanya. Les
Algériens n'aiment pas le mot laïcité,
préférant le mot 'ilmanya parce que la
mémoire collective retient que la
laïcité a été une machine de guerre
idéologique de la Troisième république
contre le nationalisme qui se reconnait
dans l'islam. Même le courant de Ferhat
Abbas demandait le respect de l'islam.
L'histoire de l'Algérie a changé le
contenu sémantique du mot laïcité qui
veut dire anti-islam pour les Algériens.
Dans le langage algérien, laïki est une
insulte, traïtre à l'islam, traïtre à la
patrie. Alors que le débat sur la 'ilmanya
est accepté même par les islamistes,
celui sur la laïkya est refusé, bien que
les deux concepts ont la même
signification.
La laïcité est la
façon dont la France a séparé le
religieux du politique; elle est la
sécularisation à la française. Les
Etats-Unis, la Grande Bretagne,
l'Allemagne...se sont sécularisés selon
leurs histoires respectives. Imaginons
qu'on mettre sur les billets du dinar "tawakalna
'ala Allah". C'est pourtant ce qui est
écrit sur le billet vert américain: In
God We Trust. On dira la sécularisation
à l'américaine n'est pas un modèle à
suivre; celle d'un autre pays non plus.
Chaque pays invente son modèle de
séparation du politique et du religieux.
Et au passage, la laïcité française
n'est pas hostile à la religion. La
laïcité est un projet positif et non
négatif. Elle protège la liberté de
conscience des citoyens qu'ils soient
religieux ou non.
Mais la France coloniale n'a pas
respecté la laïcité en Algérie. Elle
finançait le culte musulman officiel
pour le dresser contre les
nationalistes. Abdelhamid Ben Badis
demandait au pouvoir colonial de
respecter la laïcité, ce qui lui aurait
permis de créer les écoles religieuses
du mouvement réformiste. Par conséquent,
il faut historiciser les concepts que
nous utilisons. Ce ne sont pas les
concepts qui font l'histoire; ce sont
les hommes qui la font. Quand Zabana et
Amirouche meurent en prononçant la
formule Allah ou Akbar, cette formule a
une dimension symbolique plus que
religieuse. En respectant al adhan,
Karim Tabou suit l'exemple de Zabana et
de Amirouche.et nous dit qu'un modèle
musulman sécularisé est possible, et il
sera algérien. . ,
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