Algérie
Le régime algérien
est-il une dictature militaire ?
Lahouari Addi
Dimanche 1er décembre 2019
La dictature
militaire est un régime où le pouvoir
est exercé au nom de l’armée qui, dans
les exemples de l’Amérique Latine,
défend une classe sociale privilégiée.
Dans le gouvernement, les principaux
ministères sont dirigés par des
officiers supérieurs en tenue. Régime
autoritaire, l’Algérie n’est pas une
dictature militaire dans le sens décrit
ci-dessus. A l’indépendance, la
hiérarchie militaire a confisqué le
pouvoir au nom du peuple, affirmant
qu’elle est issue du FLN historique et
qu’elle a la mission de réaliser son
programme. Le colonel Houari Boumédiène
qui, en devenant ministre de la défense
et ensuite Chef de gouvernement, a
enlevé la tenue militaire pour prétendre
être un militant du FLN. Il avait lancé
une politique économique et sociale qui
lui avait valu le soutien d’une grande
partie de la population :
nationalisation des hydrocarbures,
industrialisation, réforme agraire,
médecine gratuite, etc. Quelques années
après, ce projet n’a pas tenu ses
promesses, menant le pays vers des
difficultés financières et vers
l’appauvrissement de la société. Il y a
été mis fin avec la réforme
constitutionnelle qui a suivi les
manifestations d’Octobre 1988.
Théoriquement, un nouveau régime devait
naître, avec comme conséquence le
retrait des officiers supérieurs du
comité central du FLN. Mais la
hiérarchie militaire n’a pas pour autant
renoncé à être source de pouvoir à la
place de l’électorat. C’est pour sauver
la nation (contre l’électorat ?) que la
hiérarchie militaire a annulé les
élections en janvier 1992. Le paradoxe
du régime est qu’il prétend parler au
nom du peuple contre le peuple. Tous les
discours de Gaid Salah depuis mars 2019
reproduisent chaque semaine ce paradoxe.
Le régime n’a pas
la cohérence de la dictature militaire
où l’armée arrête les opposants et
réprime les manifestations. Pour
s’assurer la fidélité des magistrats,
Gaid Salah n’a fusillé aucun juge comme
cela se fait dans les dictatures
militaires ; il a par contre a décidé
d’augmenter les traitements des
magistrats, utilisant ainsi le budget de
l’Etat pour les corrompre, alors que,
théoriquement, ils doivent rendre la
justice au nom du peuple. Si demain, les
juges prennent conscience et refusent de
condamner arbitrairement les
manifestants, les policiers cesseront
d’arrêter les citoyens et Gaid Salah
sera obligé de partir pour laisser l’Etat-Major
négocier une transition pacifique avec
le hirak.
En Algérie, la
hiérarchie militaire utilise la justice
et la police pour réprimer. Autrement
dit, la hiérarchie militaire soumet à sa
volonté des institutions de l’Etat pour
s’imposer comme source de pouvoir. Sans
la police et la justice, l’Etat-Major
n’aurait aucun moyen d’exister
politiquement. C’est ce qu’ont compris
les manifestants qui scandent les
vendredis « les généraux à la poubelle
et l’Algérie teddi l’istiqlal ». Ils
veulent dire que les institutions de
l’Etat (présidence, assemblée nationale,
ministères, justice, police) sont
colonisées par la hiérarchie militaire
qui nomme les civils à la tête de ces
institutions. Ils veulent dire que
l’Etat n’est pas indépendant. Face au
hirak, qui a montré une maturité
politique indéniable, le régime est
faible parce qu’il repose sur une
fiction à laquelle plus personne ne
croit. L’Algérie n’est pas une dictature
militaire ; c’est un régime populiste
autoritaire qui a épuisé sa dynamique
politique et qui n’a plus de pertinence
historique. C’est un fruit mûr qui
préfère pourrir dans l’arbre et tomber
sur le sol avec fracas.
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