Algérie
Le PAD aurait dû s’inspirer de
la réunion de Sant’Egidio
Lahouari Addi
Dimanche 2 février 2020
Entretien avec le
journaliste Hafit Zaouche paru dans le
quotidien La Cité du 2 février 2020
Question : - Que
dites-vous à ceux qui ont prédit l'échec
de la révolution du sourire après le
scrutin du 12 décembre ?
Réponse : Il y a
une déception chez beaucoup de personnes
qui croient que le régime ne changera
pas en manifestant deux fois par
semaine. Mais la révolution du sourire
n’a pas échoué puisque les
manifestations des vendredis continuent
à drainer des dizaines de milliers de
personnes. Si ce nombre n’avait pas été
aussi important, la police aurait
empêché les manifestations. C’est le
gouvernement qui a échoué à arrêter le
hirak et les manifestations
hebdomadaires ne vont pas s’arrêter par
miracle. Le régime né de l’indépendance
est épuisé idéologiquement ; il s’est
coupé des symboles de la guerre de
libération, et il s’est discrédité par
la corruption. Les Algériens ne
pardonneront jamais que les 1000
milliards de l’exportation des
hydrocarbures entre 2002 et 2014 aient
été gaspillés et n’ont pas servi au
développement. Le hirak est une étape de
l’histoire de la construction de l’Etat.
Depuis l’indépendance, l’Etat était
réduit au pouvoir exécutif sous le
contrôle de sa branche militaire. Le
hirak cherche à dépasser ce stade pour
aller vers un Etat centré sur la
souveraineté du pouvoir législatif qui
contrôle le pouvoir exécutif et qui
protège l’indépendance de la justice.
Q. Vous écrivez «
Si Tebboune veut gagner la confiance de
la population, il lui faut donner des
preuves qu'il est un président à part
entière exerçant les prérogatives que
lui donne la constitution. Il lui suffit
de faire un discours public à la
télévision dans lequel il déclare que
tout militaire âgé de plus de 65 ans est
désormais mis à la retraite, y compris
les membres de l'Etat-Major dont le
général Chengriha ». Peut-on comprendre
par-là que vous n’écartez pas le
dialogue avec Tebboune
?
R. Les Algériens
formulent une demande de transition vers
un régime où le pouvoir législatif est
souverain. Ce passage, à un moment ou à
un autre, doit être négocié avec ceux
qui aujourd’hui détiennent l’autorité
publique. L’une des forces du hirak est
son pacifisme. Il ne fait appel ni à la
violence ni à la grève qui pourrait
perturber l’économie. Il compte sur les
dirigeants pour revenir à la raison et
négocier la transition. Si l’Etat-Major
donne le feu vert à Tebboune pour
négocier la transition, il faudra
négocier avec lui.
Q. -Peut- on aller
à une nouvelle Algérie sans une période
de transition ?
R. La période de
transition est nécessaire. C’est le
passage d’un régime à un autre. Quelles
sont les modalités pratiques ? C’est au
hirak d’en décider. Il y a de nombreux
textes qui circulent et qui indiquent
comment la transition doit se dérouler.
Mais auparavant, il y a des conditions à
remplir, car ce qu’il faut éviter, c’est
la fausse transition qui reproduit le
même système. Le problème n’est pas un
changement de personnel politique ; le
problème est un changement de système,
c’est-à-dire que la prérogative
souveraine qui appartient aujourd’hui au
commandement militaire doit passer au
pouvoir législatif sorti des urnes.
Q. Pourquoi les
Algériens veulent une dawla madania
machi askaria (état civil non militaire)
?
R. La construction
de l’Etat a commencé par la mise en
place du pouvoir exécutif en 1962 sous
le contrôle des militaires. A l’époque,
c’était historiquement justifié. Il y
avait un risque de démembrement du pays.
L’armée a réussi à protéger l’unité
nationale. Cette étape est dépassée
puisque l’unité nationale n’est pas en
danger. Maintenant, il faut renforcer
l’Etat par un pouvoir législatif
souverain et un pouvoir judiciaire
indépendant. Pour limiter la corruption,
le système doit reposer sur la sanction
électorale. La génération de mon père
pensait que la colonne vertébrale d’un
Etat c’est l’armée ; mes enfants pensent
que c’est le pouvoir législatif
souverain et le pouvoir judiciaire
autonome. Le hirak, c’est la génération
des petits-enfants de Lotfi, Amirouche,
Ben Boulaid, etc.
Q. -Quels sont les
facteurs qui font la force du hirak ?
R. D’abord le
nombre. Si le régime n’arrive pas à
réprimer les manifestants, c’est parce
qu’ils sont nombreux. Ensuite, la
détermination qui s’exprime par les
slogans maranach habsine et yahna ya
ntouma. Enfin, son ancrage dans le passé
du mouvement national. Les portraits de
Abane, Zabana, Ali la Pointe… sont
brandis dans toutes les villes.
Q. Vous dites que
le Hirak devient un mouvement de
protestation structurel. Pouvez-vous
être plus explicite ?
R. Le hirak bouclera
un an dans trois semaines. Il va durer
dans le temps jusqu’à ce que les
dirigeants acceptent sa principale
revendication. Il rappelle le mouvement
citoyen de la Kabylie de 2001 qui avait
duré. Mais ce mouvement était limité à
une région qui a fini par se
démobiliser. Fort de cette expérience,
le hirak ira jusqu’au bout. Des
historiens disent que le 8 mais 1945 a
annoncé le 1er Novembre 54 ; je dirais
que 2001 a annoncé 2019.
Q. Récemment, vous
avez publié un article où vous avez
critiqué le texte adopté par le PAD le
25 janvier dernier. Pourquoi ?
R. Ce texte est
très insuffisant. Il énumère des
articles de la constitution sur la
liberté du culte, la liberté
d’expression, l’égalité entre hommes et
femmes, etc. Mais ces principes existent
dans la constitution qui n’est pas
respectée par le pouvoir exécutif. Le
problème est de proposer les modalités
pratiques et concrètes pour que
l’application de la constitution soit
effective. Il faut demander pourquoi en
Algérie le président n’a pas l’autorité
que lui donne la constitution. Pourquoi
un ministre n’est pas un vrai ministre ;
un député n’est pas un vrai député. Il
faut faire des propositions pour
supprimer le caractère bipolaire de
l’Etat (pouvoir réel/pouvoir formel).
Pour cela, il faut que le ministère de
la défense ne contrôle plus la
présidence. Il faut faire des
propositions concrètes dans ce sens. La
deuxième critique est l’absence du
courant islamiste à cette réunion. La
vocation du PAD est de poser les règles
du jeu qui doivent être respectées par
tous les partis qui participent à la
conquête du pouvoir par les élections.
Le PAD aurait dû s’inspirer de la
réunion de Sant’Egidio. La société
algérienne est divisée politiquement
comme toutes les sociétés humaines ; par
conséquent, les différents courants
idéologiques doivent se réunir autour
d’une table pour écrire les règles du
jeu. Le minimum est de s’entendre sur le
respect de l’alternance électorale, la
liberté d’expression et de la presse, et
l’autonomie syndicale. Il ne faut pas
que l’islamisme soit brandi comme un
épouvantail pour établir une démocratie
censitaire protégée par les militaires.
Il faut faire confiance à l’électorat
car sans cette confiance, il n’y a aura
pas de démocratie.
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