Algérie
Le régime algérien et les occasions
ratées
Lahouari Addi
Vendredi 1er mai 202
Depuis l'indépendance, le régime
algérien rate à chaque fois
l'occasion historique d'évoluer
pacifiquement vers la
démocratisation par la mise en oeuvre de réformes qui permettent
aux élites choisies par la
population à travers le scrutin
libre de diriger l'Etat. La première
occasion a été le décès de Houari
Boumédiène, dont la succession a été
décidée par une dizaine de colonels
réunis en secret dans une école
militaire dans la banlieue d'Alger.
Le parti unique, comme Tartarin de
Tarascon du célèbre roman, s'est
mobilisé sur ordre des colonels pour
affirmer que son candidat est le
colonel Chadli Bendjeidi. Ce dernier
était à l'époque chef de la 2èm
Région Militaire, officiellement
choisi à l'unanimité par les
militants du FLN. A l'époque, le
brave Chadli Bendjedid, sachant
qu'il n'avait pas l'envergure de
diriger l'Etat, a été réticent à
accepter la fonction. Les Oranais
qui le connaissent disent que c'est
un homme affable, patriote, mais ni
politique ni machiavélique. Il a été
incapable de réformer le système qui
l'avait choisi et qu'il ne dominait
pas comme son prédécesseur. Il a été
surpris par le soulèvement à
l'échelle nationale d'Octobre 1988
auquel il avait mis fin par un
discours dans lequel il avait promis
d'introduire des réformes
importantes. S'appuyant sur une
équipe de réformateurs qui n'avait
pas de relais dans l'armée, il a mis
fin au système du parti unique sans
avoir épuré la hiérarchie militaire
de ses éléments hostiles à la
démocratie. L'expérience a duré
trois ans et a mené vers un conflit
sanglant qui marquera à jamais
l'histoire de l'Algérie
indépendante. Avec Chadli, le régime
a raté une occasion de pacifier le
champ politique et
institutionnaliser l'autorité en
l'ancrant dans la légitimité
électorale.
L'autre occasion ratée a été celle
de Zéroual qui était favorable au
contrat de Rome et qui, sous la
menace de ceux qui l'avaient désigné
chef d'Etat, a dû le désavouer. Il a
été obligé de démissionner en 1998
parce que les généraux n'acceptaient
pas ses discussions avec les leaders
islamistes qu'il avait sortis de
prison pour les mettre en résidence
surveillée. Il espérait trouver un
accord avec eux pour mettre fin aux
atrocités qui endeuillaient
quotidiennement le pays. Il a été
remplacé par Bouteflika qui n'a à
aucun moment exprimé la volonté de
rompre avec le système hérité de
l'indépendance. Il était comme ses
deux prédécesseurs limité
intellectuellement, même s'il
maîtrisait mieux qu'eux l'arabe
classique et le français, mais il
n'avait pas leurs qualités. Il n'a
pas en effet leur sincérité; il n'a
ni le bon sens de Chadli ni le nif
(l'orgueil) de Zéroual. Pour
réformer un Etat, il faut aimer son
pays et et être attaché à son
peuple. Bouteflika n'a ni l'une ni
l'autre qualité. Chadli et Zéroual
n'ont pas été de grands dirigeants,
mais au moins ils avaient la fibre
patriotique. S'ils avaient eu le
machiavélisme de Boumédiène,
nécessaire pour s'imposer à la
hiérarchie militaire, le pays aurait
été dans une moins mauvaise
situation.
L'autre occasion que rate le régime
est le hirak qui est un mouvement
historique de refondation de l'Etat.
Des élites jeunes, compétentes, à la
fibre patriotique, se sont révélées
depuis le 22 février 2019. Au lieu
de les reconnaître et de discuter
avec eux la perspective de la
transition démocratique, le régime
les harcèle et les emprisonne. Leur
place n'est pas dans les prisons,
elle est à l'Assemblée Nationale et
au Sénat. Pire encore, à la faveur
de la pandémie du Covid-19, le
régime persiste à ignorer le hirak,
faisant adopter des lois scélérates
par une assemblée nationale dominée
par le FLN et le RND dont les
dirigeants sont en prison! C'est
ubuesque.
La pandémie, qui doit mobiliser tout
le monde pour la faire reculer, est
la dernière des occasions ratées par
le régime pour se réconcilier avec
la population. Il utilise la
pandémie pour arrêter et harceler de
jeunes animateurs du hirak, croyant
ainsi le décapiter. Il est pourtant
illusoire de croire que le hirak
s'arrêtera après l'arrestation de
quelques centaines de jeunes. Le
hirak reprendra en été ou en
septembre parce qu'il ne réunit pas
une centaine ou même un millier de
jeunes. Il est l'expression du désir
de la société de faire légitimer
l'autorité de l'Etat par les
élections et non par la cooptation
des militaires. Au lieu de dissuader
le hirak de reprendre en prenant des
mesures comme la libération de tous
les détenus d'opinion et la mise à
la retraite des généraux âgés de
plus de 65 ans et ceux impliqués
dans des affaires de corruption, le
régime fait du bricolage, rappelle
les anciennes figures écartées il y
a quelques années et s'enferme dans
une logique qui enfoncera le pays
dans la crise structurelle qu'il
connaît depuis des années. Mabrad ma
houk mabrad dit un proverbe
populaire. A l'obstination du régime
répondra la détermination du hirak.
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