Réseau Voltaire
Pourquoi ne cesse-t-on pas de s'en
prendre à la Russie ?
Karl Müller
Dimanche 23 décembre 2013
Il suffit de suivre un minimum ce que
nous disent les grands médias pour « comprendre »
que, même s’il n’est plus soviétique et
s’il ne se réclame plus de la dictature
du prolétariat, l’ours russe reste
toujours presque aussi méchant et
dangereux qu’aux temps de l’Urss. Est-ce
le reflet de la réalité ou une image
qu’on tente d’ancrer dans nos esprits ?
Dans l’article que nous reproduisons
aujourd’hui, Karl Müller se interroge
sur le pourquoi de cette campagne.
Certains
prétendent que la situation
internationale s’est détendue au
cours des mois passés. On a évité
une guerre entre les Etats-Unis et
leurs alliés et la Syrie. Il y a eu
également un accord passé avec
l’Iran. D’ailleurs, les Etats-Unis,
qui ont mené au cours des
20 dernières années avec « l’Occident »
une série de guerres allant à
l’encontre du droit international,
seraient entre-temps si affaiblis
qu’ils ne seraient plus en mesure
de mener d’autres guerres
importantes. En outre, les alliés
des Etats-Unis, en premier lieu les
autres Etats membres de l’OTAN, qui
pour la plupart sont également
membres de l’Union européenne,
ne seraient pas capables de
s’engager dans des guerres sans les
Etats-Unis.
On perd facilement de vue que
Washington a déplacé ses visées
agressives vers les contrées du
Pacifique et que les Etats membres
de l’Union européenne (sous la
direction de l’Allemagne ?) – sous
le couvert de l’affaire de la NSA –
devront jouer le rôle de suppléants
des Etats-Unis au Proche-Orient et
en Afrique.
Les nombreux rapports concernant
la situation « tendue »
en Asie, actuellement entre la Chine
et le Japon, jouent des rôles
différents. D’une part, ils peuvent
servir de propagande contre la Chine
et d’autre part ils vont constituer
une sorte de sonnette d’alarme pour
« prouver » aux Européens
l’importance de la présence
états-unienne dans le Pacifique mais
aussi, c’est leur objectif ultime,
la préparation d’une guerre contre
la Chine.
On ne parle pas, du moins
publiquement, de la politique
de l’Union européenne, notamment de
l’Allemagne, vis-à-vis de l’Europe
de l’Est et de la Russie. Et ce
alors que les Etats de l’OTAN et
l’Union européenne se sont fixés
comme objectif – depuis 1990-1991,
c’est-à-dire depuis la disparition
du Pacte de Varsovie et de
l’Union soviétique et malgré leurs
promesses au gouvernement soviétique
de l’époque – de « s’approprier »
l’Est à partir de l’Ouest en
incorporant toujours plus d’Etats de
l’Europe de l’Est à l’alliance
atlantique ainsi qu’à l’Union
européenne pour affaiblir la Russie
et l’asservir petit à petit.
On trouve la preuve de toutes ces
manœuvres dans le livre Le grand
échiquier. L’Amérique et le reste du
monde, paru en 1997 et dont
l’auteur est Zbigniev Brzezinski,
conseiller personnel de divers
présidents états-uniens.
Dans les années 1990, il semblait
que tout se passait comme prévu avec
le président russe Boris Eltsine. La
Russie s’enfonçait progressivement
dans un chaos, qui s’étendait sur
tous les aspects de la vie du pays,
et se trouvait au bord de
la banqueroute, aussi bien sur le
plan politique et économique que sur
le plan social. Dans son livre La
stratégie de choc. L’émergence du
capitalisme de catastrophe, paru
en 2007, Naomi Klein a démontré avec
force détails comment on a cherché à
soumettre l’économie russe pour
mettre le pays au pas, notamment
pour s’emparer de ses matières
premières, au moyen de « conseils »
états-uniens et de la fausse théorie
des bienfaits d’un capitalisme
débridé, contrôlé par les intérêts
financiers de Etats-Unis.
La guerre de l’OTAN contre la
Yougoslavie en 1999 marqua un
tournant. Il devint alors impossible
de ne plus percevoir le fait que la
conception états-unienne « d’un
nouvel ordre mondial » avait
tous les traits de l’impérialisme
dont le but était de soumettre le
monde à « l’unique puissance
mondiale ».
En 2000, et avec l’arrivée d’un
nouveau président, le nouveau
gouvernement russe s’efforça de
changer de cap en desserrant
l’emprise états-unienne sur
l’économie et les richesses de
la Russie, mais aussi sur la société
et la politique du pays – un projet
très délicat et difficile du fait
des nombreuses difficultés qui se
présentaient.
Comparé à la situation de l’an
2000, les progrès réalisés par la
Russie jusqu’en 2010 sont
remarquables : le produit social
a doublé, le commerce extérieur a
quadruplé, les dettes envers
l’étranger sont réduites à un
sixième de leur valeur initiale,
les salaires ont augmenté de
2,5 fois en décomptant l’inflation,
les rentes ont augmenté de 3 fois,
le taux de pauvreté a diminué de
plus de moitié, le chômage est passé
de 10% à 7%, le nombre de naissances
a augmenté de 40%, les décès
ont diminué de 10%, les décès de
nourrissons ont baissé de 30%,
la durée de vie a augmenté de 5 ans,
les actes criminels ont diminué
de 10%, les assassinats ont baissé
de 50% et les suicides de 40%,
les intoxications alcooliques
ont chuté de plus de 60%.
L’« Occident » ne s’est
pas empressé d’y apporter une aide.
Bien au contraire, les moyens
utilisés pour tenter de désagréger
la Russie devinrent moins voyants
mais d’autant plus perfides. Et qui
osait contester ouvertement à ces
tentatives en prônant des
contremesures, comme c’est le cas du
gouvernement russe depuis de
nombreuses années, était très mal vu
en Occident.
Les principaux médias occidentaux
ont joué et jouent encore un rôle de
plus en plus douteux dans cette
campagne menée contre la Russie.
Alors que la politique de l’Union
européenne, et particulièrement de
l’Allemagne, glisse sur deux voies
parallèles, du fait des nécessités
économiques, et tente de conjuguer
la rhétorique antirusse avec des
relations économiques payantes,
il n’en va pas de même des médias
auxquels « on a lâché les rênes ».
Contrairement à ce qu’ils font
dans le cas de la Chine, pays que
l’on courtise en raison de ses
performances économiques (et de
l’ampleur de son marché), les médias
occidentaux divulguent, uniquement
et en permanence, des propos
négatifs au sujet de la Russie.
Cette campagne atteint une intensité
telle que le consommateur de médias
non averti ne peut que penser du mal
de ce pays. Les aspects négatifs
couvrent tous les domaines de la vie
et ont pour but de faire ressurgir
la plupart des anciens préjugés
contre la Russie.
Et cela en dépit de l’action
continue du gouvernement russe qui,
au cours des 13 dernières années et
jusqu’à aujourd’hui, n’a eu de cesse
de proposer une coopération avec
tous les pays et au bénéfice de
toutes les parties.
Ce n’est pas par amour du peuple
ukrainien, mais en raison d’un
dessein géostratégique, que l’Union
européenne tente depuis plusieurs
années d’éloigner l’Ukraine de la
Russie pour la ramener vers l’UE
elle-même. Nous savons aujourd’hui
que la « révolution orange »
de 2004 fut en fait une opération de
ce qu’il est actuellement convenu
d’appeler « Smart Power »,
opération menée en coordination avec
l’Union européenne et contre la
Russie. Cette tentative de coup
d’Etat resta sans succès et
aujourd’hui les projets de l’Union
européenne n’ont toujours pas abouti
au résultat escompté. Donc, il
fallait s’y attendre, on s’empresse
maintenant de cacher ce nouvel échec
en prétendant que Moscou exerce sur
Kiev des menaces et un chantage.
On se garde bien d’évoquer le
fait que le gouvernement russe avait
avancé une proposition d’accord qui
aurait profité tant à l’Ukraine qu’à
l’Union européenne et à la Russie,
proposition qui fut rejetée par
l’Union européenne.
Par ailleurs, le président russe
Vladimir Poutine, s’est entretenu
pendant 35 minutes avec le pape
François à Rome. Contrairement aux
affirmations des principaux médias,
les organes du Vatican ont estimé
que l’entretien s’était déroulé dans
une atmosphère « cordiale ».
Le président russe n’a pas rendu
visite au pape en tant que dirigeant
religieux de l’église orthodoxe
russe mais en sa qualité de chef
d’Etat. Il est vrai qu’en tant que
tel il a toujours souligné
l’importance des valeurs pour
promouvoir un progrès dans le
développement de son pays, mais
aussi dans le domaine de la
politique internationale.
Contrairement à l’Occident, où
l’on met l’accent sur un modèle de
politique utilitariste et
matérialiste, le gouvernement russe
semble s’appuyer sur une conception
orientée sur les fondements de
l’église chrétienne, c’est-à-dire en
mettant l’homme et le monde au
centre de son action. Où trouve-t-on
encore cela en Occident ? Quel
gouvernement occidental se réclame
encore de cette conception au profit
de la famille, de la religion et de
la nation pour le grand bien des
peuples et du progrès ? Qui, en
Occident, se préoccupe du fait que,
sans liens stables avec « l’autre »,
l’épanouissement de la personnalité
se délite dans la superficialité et
l’indifférence lorsqu’il y a absence
de soutien et perte d’identité ?
On peut supposer que le pape et le
président russe se sont parfaitement
compris dans le diagnostic
concernant l’état d’esprit de
l’Occident et ses fausses théories
ainsi que sur la voie à suivre pour
surmonter ces erreurs.
Nous n’allons pas prétendre qu’en
Russie les familles soient intactes,
que les gens vivent selon les
préceptes de la religion et que la
nation offre à la population tout le
soutien nécessaire. Mais dans la
mesure où l’on reconnaît qu’il reste
encore un long chemin à parcourir,
on reste bienveillant en tendant une
main secourable, dans la mesure où
c’est souhaité. Quant à ceux
qui veulent détruire la famille, la
religion et la nation, ils feront
exactement le contraire.
On doit être toutefois conscient
du fait que ce n’est pas de cette
manière d’agir qui apportera
davantage de paix au monde. Bien au
contraire, la politique de
délitement provoque des conflits.
Serions-nous prêts à en payer le
prix ? Est-ce la volonté des
peuples ?
Nous avions pu constater à quel
point les esprits se sont échauffés
en Allemagne lors d’une réunion, le
23 novembre à Leipzig, dont le thème
était « Pour l’avenir de la
famille – va-t-on supprimer les
peuples d’Europe ? ». Un groupe
de manifestants violents s’en est
pris brutalement à cette conférence,
particulièrement aux participants
qui faisaient partie du Parlement
russe. Les forces de police
présentes ont laissé faire pendant
un bon bout de temps.
Il fut un temps où nous étions
accueillants et respectueux des
autres et des opinions divergentes.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Source
Horizons et débats (Suisse)
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