Russie politics -
Billet du lundi
Les monuments, la
Nation et la barbarie
Karine Bechet-Golovko
Lundi 29 juin 2020
Les attaques
ciblées contre les monuments et symboles
historiques constituent une forme de
lutte politique, visant à déstabiliser
une société en touchant ses fondements.
C'est une lutte politique, car si
l'action est sociale, il s'agit avant
tout d'une lutte pour le pouvoir.
Le temps est passé de regarder avec
tolérance ces "expressions artistiques",
de les excuser par une vision faussée de
la liberté, de cacher sa faiblesse
derrière une fausse sagesse, un sourire
forcé accroché en défense, expliquant
"ils ne faisaient que plaisanter".
Lorsque l'on détériore les églises, on
ne plaisante pas; lorsque l'on détériore
les statues des hommes et des femmes qui
ont fait l'histoire d'un pays, on ne
plaisante pas; lorsque l'on porte
atteinte aux symboles qui unifient une
Nation, on ne plaisante pas. On
cherche à détruire le passé, on cherche
à mettre en place par la force (le
pouvoir se renverse toujours par la
force) un nouveau consensus social. On
veut prendre le pouvoir. Les sanctions
doivent être exemplaires. Si l'Etat ne
veut pas être renversé, pour faire place
au chaos. Si le pouvoir en place ne veut
pas offrir sa tête sur un plateau
d'argent, s'il ne veut pas que la
société se fasse dévorer ou qu'elle se
défende elle-même et finisse par de
défaire d'un poids-faible devenu
inutile. Si l'on ne veut pas renier des
siècles de civilisation au nom d'une
pseudo-liberté qui n'est que de la
barbarie. Chaque pays a ses symboles, ses grands
hommes, son discours historique. Le
consensus qui se forme avec le temps
autour d'eux permet à la société d'être
homogène malgré sa diversité et donc de
pouvoir vivre ensemble, avec les mêmes
repères, allant dans la même direction,
permettant à la société de se constituer
en Nation.
Les dirigeants
de nos pays sont aujourd'hui en grande
difficulté. D'une part, certains
d'entre aux, comme en France, se doivent
d'être progressistes (ils ont été
mis en place pour cela) et donc de
soutenir les mouvements de repentance
globale, la réécriture du discours
national, le pouvoir d'une minorité
téléguidée sur la majorité. D'autre
part, s'ils vont trop loin, ils savent
très bien qu'ils seront envoyés aux
égouts de l'histoire, avec le bébé et
l'eau du bain, que la société tombera
dans le chaos, un chaos qui n'aura rien
de contrôlable et qui les emportera avec
le monde qu'ils représentent. Et qu'ils
ont détruit de leurs propres mains.
D'autres
dirigeants cherchent à maintenir le
consensus social existant autour des
symboles fondateurs du pays qu'ils
dirigent, c'est notamment le cas des
Etats-Unis et de la Russie. Pour cela,
l'atteinte portée à ces symboles est
condamnée et sanctionnée.
Aux Etats-Unis,
sous couvert d'anti-racisme, le
racisme anti-blanc est porté à
son maximum. L'on en arrive à entendre
le maire de New York annoncer qu'il fera
enlever la statue du 26e président des
Etats-Unis, Theodore Roosevelt, de son
emplacement central à Manhattan, car la
personne est jugée incompatible avec la
nouvelle vague réécrivant l'histoire
américaine. Ces preuves de faiblesse ne
font qu'entretenir la folie destructrice
ambiante et des manifestants ont tenté
de faire tomber la statue de l'ancien
président Andrew Jackson en franchissant
le périmètre de sécurité de la Maison
Blanche, président accusé de soutenir
l'esclavage.
Le président
Donald Trump, qui s'est souvent
prononcé contre le démontage des statues
historiques, a finalement adopté un
texte portant la responsabilité
pénale des personnes vandalisant ou
détériorant les monuments fédéraux à 10
ans de prison, sur le fondement
du Veterans' Memorial Protection Act.
Ces affaires doivent devenir
prioritaires pour le Département de la
Justice. Par ailleurs, les programmes
fédéraux de financement seront revus à
la baisse pour les juridictions et les
agences fédérales d'exécution des
décisions de justice permettant la
désacralisation des monuments
historiques fédéraux.
En Russie,
en raison du coronavirus, le
Régiment Immortel n'a pas eu
lieu et a été remplacé par une version
numérique. En soi, cette
virtualisation de ce qui doit être une
communion physique entre des millions de
personnes partageant la même histoire
est un non-sens. Mais en plus, elle
fut l'occasion d'une tentative de
discréditation, que le numérique a
permis. Puisqu'il n'est pas nécessaire
d'être physiquement présent au milieu de
centaines de milliers d'autres
personnes, il n'est pas nécessaire au
minimum d'être courageux et des
portraits de nazis, essentiellement
Himmler et Hitler, mais l'on y a aussi
trouvé Müller ou Vlassov, ont été émis
en ligne. Certains d'entre eux ont
été interpellés par le
Comité d'enquête de la Fédération de
Russie, d'autres se situant à
l'étranger, notamment en Estonie et en
Ukraine, pays bien connus pour leur
résurgence néonazie, ne sont pas encore
accessibles. Une affaire est ouverte
contre eux pour réhabilitation du
nazisme.
Il est fondamental
que ces actes ne soient pas pardonnés,
que leurs auteurs soient condamnés à des
peines réelles de prison. Certains
d'entre eux ont déjà un passé
extrémiste, ont participé à des
manifestations de l'opposition radicale,
l'on y voit même du criminel. Bref,
lorsqu'ils déclarent avoir simplement
voulu faire "une
plaisanterie", ce n'est pas
convaincant. Trop organisé pour cela,
avec des ramifications extérieures,
l'implication des milieux
"progressistes" russes, tout y est.
Et surtout la
cible écarte la possibilité même du
hasard : la victoire de la Seconde
Guerre mondiale, de la Grande guerre
patriotique, faite par tout un peuple,
la victoire de tout un peuple, fier de
son passé. Et donc ensemble pour
l'avenir. C'est exactement ce qu'il faut
briser. Et la tentation est
d'autant plus grande que l'on voit
monter une certaine réticence dans
certains milieux de pouvoir face à la
période soviétique : certes la Victoire
est un acte fondateur de la Nation
russe, mais ... sans l'URSS ce serait
encore mieux. Ainsi, le Mausolée de
Lénine est discrètement voilé lors des
parades du 9 mai, même lors de la
dernière du 24 juin, qui pourtant
marquent la victoire de l'URSS. Pas
uniquement des hommes et des femmes qui
se sont battus, mais bien du pays, de
l'URSS, de toute la structure mise en
place qui a permis, avec le peuple
soviétique, cette victoire.
Puisque cette
brèche est ouverte, certaines forces
veulent tenter de l'exploiter. Mais, la
brèche, heureusement, ne s'ouvre pas, la
réaction des forces étatiques est
directe, le soutien populaire est sans
appel. L'excuse de la plaisanterie ne
passe pas. Selon les résultats d'un
sondage concernant cette affaire des
portraits nazis diffusés, pour 40% il
s'agit d'une atteinte portée à la
mémoire et aux exploits des soldats
soviétiques, pour 27% une provocation,
pour 22% un sacrilège, pour 16% il s'est
agi de bafouer les participants et les
vétérans.
Ces mouvements
tendant à discréditer l'histoire
nationale ne sont pas à prendre à la
légère. Ce n'est pas un combat pour la
"Justice", c'est banalement un combat
pour le pouvoir. Même si pour cela,
il faut tout détruire, des siècles de
civilisation. Même s'il faut engluer les
sociétés et les hommes dans la barbarie.
Tout n'est pas permis au nom de la
liberté, sinon c'est le chaos.
Chaque société établit des règles,
qu'elle se doit de défendre, et à
l'intérieur desquels se déroulent les
combats pour la "Vérité", "l'Equité" -
et toutes les grandeurs incontournables
qui doivent justifier les prises de
pouvoir.
Ces mouvements
utilisent les pulsions les plus basses
pour déstabiliser les sociétés. Ces
mouvements sont en ce sens anti-civilisationnels.
Comme l'écrivait Freud, "la
civilisation est construite sur le
renoncement aux pulsions". Nous
assistons aujourd'hui à leur
glorification. Et comme disait Castaner
en substance, cela justifie même de ne
pas appliquer le droit. C'est donc bien
l'ère de la barbarie qui nous est
proposée.
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le dossier
Monde
Les dernières mises à jour
|