Russie politics
La Russie et le Conseil de l'Europe :
le mythe de la "justice" européenne
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 23 janvier 2019
La décision de la
Russie de ne pas s'abaisser à revenir
dans l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe (APCE), en l'absence
d'une restauration pleine et entière de
ses droits, provoque de nombreux remous.
Symboliquement, la question est plus que
sensible : comment la Russie, ce pays
- éternellement - en "transition
démocratique" ose-t-il remettre en cause
cette tutelle, sans laquelle évidemment
il ne peut que s'effondrer ? Car en
plus de l'APCE, quasiment inconnue du
grand public, il existe la très
médiatisée Cour européenne des droits de
l'homme, qui oeuvre à la transmission
des "valeurs européennes occidentales"
vers cette Europe de l'Est, décidément
infréquentable. Comme l'a affirmé le
Secrétaire général du Conseil de
l'Europe, M. Jagland, ce serait terrible
pour les citoyens russes ... Si l'on
oublie la communication un instant, ces
"pauvres citoyens" s'en redraient-ils
seulement compte ? Pas certain si l'on
regarde froidement les données : la
justice de droit commun en Russie a
pris, en 2017, plus de 26 millions de
décisions, quand la CEDH a pris 1 156
arrêts ... Nous sommes dans un rapport
de 0,000044. Point de salut
en dehors du Conseil de l'Europe,
tel est le message lancé en désespoir de
cause par M.
Jagland à la Russie, suite au danger
qui se précise d'une sortie de ce pays
d'une institution qui, en période de
russophobie assumée, perdrait alors
toute raison d'être. Notre cher
Secrétaire général relève à la fois
l'inefficacité des sanctions adoptées
contre la Russie, puisque la Crimée est
toujours russe pour le plus grand
bonheur des Criméens, et les difficultés
budgétaires consécutives au paiement
partiel effectué par la Russie, ne
finançant pas une institution dans
laquelle elle n'a pas voix. Mais, ne
pouvant trop insister sur les aspects
trivialement matériels, ça ne se fait
pas, il s'inquiète surtout ... pour les
Russes, qui sont bien évidemment les
premières victimes de la politique de la
Russie :
With regard to the
ongoing non-payment of budget
contributions by Russia, Mr Jagland
noted that the Assembly’s decision to
deprive the Russian delegation of the
right to vote had
not led to the
return of Crimea to Ukraine or improved
the human rights situation in Russia.
Instead, it had created a crisis within
the Organisation. He urged the Assembly
and the Committee of Ministers to sit
down and work concretely on clarifying
the rules and the distribution of power
between the two organs, in a way that
will strengthen the authority of the
Organisation, based on equal rights and
equal obligations.
Mr Jagland referred
to a letter sent to him by 59 leading
human rights defenders in Russia, in
which they called for a compromise
solution to avoid the departure of
Russia from the Council of Europe. The
letter warned that such an outcome
would hurt the Russian people most,
because it would deprive them of
protection under the Convention system.
The Secretary General concluded by
saying that in the Council of Europe’s
70th anniversary year, a compromise
solution to the Russia crisis would be a
great gift for Europe.
Dans la logique de
Jagland, si la Russie sort du Conseil de
l'Europe dans son ensemble, les droits
des citoyens russes seront moins bien
protégés, puisqu'ils ne bénéficieront
plus du recours salvateur devant la
CEDH, après s'être adressés aux
juridictions nationales.
Si l'on compare les
chiffres, il semble évident que ce tout
petit monde vit réellement dans un monde
parallèle, qui n'a que peu de liens avec
la réalité. Prenons les données
statistiques de 2017, pour les
juridictions de droit commun (hors
justice commerciale) en Russie en
première instance et pour la
CEDH.
En matière
pénale, en 2017, 916 266
nouvelles affaires ont été enregistrées
et les juridictions de première instance
ont pris 914 982 décisions.
En matières civile
et administrative, l'on compte 18
823 620 nouvelles affaires et 18
806 371 décisions prises.
En ce qui concerne
les infractions administratives,
les chiffres atteignent 6 527 472 de
nouvelles affaires et 6 494 725 d'affaires
traitées.
Ce qui fait un
total de 26 267 358 nouvelles affaires
et 26 216 078 décisions prises par les
juridictions russes de première instance
en 2017.
Maintenant,
comparons avec la CEDH, pour la
même année de 2017.
Pour tous les 47
Etats membres du Conseil de
l'Europe, l'on compte en tout et pour
tout en 2017, 63 350 nouvelles
requêtes attribuées à des formations
judiciaires. 70 356 requêtes ont été
rayées du rôle ou déclarées irrecevables
et 61% des dossiers sont clos au stade
de l'examen de la conformité de la
requête. Et seulement 15 595 ont
donné lieu à un arrêt. Pour les
47 pays membres du Conseil de l'Europe.
En ce qui concerne
la Russie. Un peu de plus de 7 000
requêtes en 2017 ... Contre plus de
26 millions devant les juridictions
nationales ...
En 2017, la CEDH a
pris 1 156 arrêts concernant la
Russie. Les juridictions nationales, sur
la même période et sans compter les
affaires commerciales, ont adopté plus
de 26 millions de décisions. Le
rapport est de 0,000044. Peut-on
sérieusement penser que les citoyens
russes verront leurs droits moins bien
protégés au quotidien si la Russie
quitte le Conseil de l'Europe ?
Difficile à croire. C'est comme
conseiller à quelqu'un qui a des
difficultés financières de jouer au
loto.
La CEDH a apporté à
la Russie tout ce qu'elle pouvait
apporter et il y a eu effectivement des
influences positives, notamment en ce
qui concerne la matière pénale. Mais
maintenant, cette institution est entrée
dans une autre phase, politisée et
idéologique, qui n'a rien à voir avec la
garantie des droits des citoyens au
quotidien. Il s'agit de soutenir les
opposants, les minorités, l'immigration,
de déstructurer les mécanismes d'étaticité,
de lutter contre la religion
(chrétienne) et la famille
(traditionnelle). Bref, il s'agit de
changer l'homme et la société.
Mais sans la
Russie, le Conseil de l'Europe est
condamné à court terme et Jagland le
sait parfaitement. Les Etats ont existé
avant les institutions européennes,
diverses et variées, ils existeront
après. Le Conseil de l'Europe ne
survivrait pas à une sortie de la
Russie.
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le
dossier Russie
Les dernières mises à jour
|