Trump et la Russie :
l'ennemi de
mes ennemis est mon ami ?
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 20 juillet 2018
Les zigzags
politiques du président américain
obligent à s'interroger sur sa
stratégie: soit il n'en a strictement
aucune et tout est commandé par
l'instant et l'instinct, soit elle est
particulièrement complexe. La première
hypothèse est défendue par ses
détracteurs et finalement n'apporte pas
grand-chose. Tentons donc de comprendre
cet étrange pas de danse que Trump joue
tant avec des forces politiques aussi
hostiles que fortes, que des alliés
assez dubitatifs. Comprendre cet intérêt
qu'il porte à la Russie, intérêt qui
peut venir de la focalisation de ses
ennemis.
Le dernier
évènement ayant provoqué un nouveau pas
de côté fut évidemment le sommet
d'Helsinki: la rencontre entre les
présidents américain et russe a relancé
la vague d'hystérie, à laquelle le
système idéologique globaliste nous
habitue dès qu'il s'estime en danger
potentiel (voir nos textes sur
l'avant sommet et le
sommet lui-même). Ce qui commence à
être assez souvent et laisse entendre
une certaine paranoïa de fin de règne.
Quoi qu'il en soit, affaibli le canard
bouge encore, et ce cher système
idéologique bien vivant se met à mordre
tout ce qui dépasse du rang. En
l'occurrence, la Russie.
En plus du
rapport
Mueller qui doit tomber cet automne,
de l'incrimination pour ingérence de
militaires russes à trois jours de la
rencontre des présidents, une jeune
activiste politique, Maria Butina, qui
n'a pas réussi à faire carrière en
province russe, a été arrêtée et
présentée comme le lien tant attendu
entre le soft power russe et
l'ingérence dans les élections, dont
l'influence sur les résultats reste très
putative.
La question
de l'ingérence, mais surtout de
l'influence sur les résultats des
élections, est fondamentale pour les
Etats-Unis, dans les deux camps. D'un
côté, il est plus agréable de faire
reporter le poids de son échec sur les
épaules d'un "ennemi sur mesure", que de
se remettre en question, que de
reconnaître qu'il est le résultat
naturel des dérives du système dit
démocratique dans lequel nous vivons et
qui ne supporte plus aucune nuance, sans
même parler de remise en cause de ses
excès antidémocratiques et liberticides.
Trump est le
signe de la rupture entre une élite
vaporeuse et une voix populaire ancrée
dans la réalité quotidienne:
On rappelle
notamment que l’électorat populaire
serait en révolte contre la
mondialisation sauvage, l’immigration
massive et la décomposition des repères
collectifs. C’est juste. Mais il faut
ajouter une explication trop rarement
mentionnée : l’exaspération du commun
des mortels devant la tyrannie du
politiquement correct.
Pour sa part,
Trump ne peut de toute manière
reconnaître l'influence d'une ingérence
russe, car sa légitimité lui vient de
son soutien populaire, non de son
soutien extérieur. Ce combat est donc
central pour la politique intérieure
américaine.
Pour
comprendre les déclarations en zigzag de
Trump, il faut se souvenir que son but
n'est pas défendre les intérêts russes,
c'est à la Russie à le faire, son but
est de lutter contre le système de la
globalisation. La Russie peut être un
allié, elle est en tout cas un
instrument qu'il brandit et repose en
fonction des besoins de son combat. A la
Russie de décider dans quelle mesure
cela recouvre ses propres intérêts
stratégiques et de varier sa
participation au jeu.
Ainsi, ses
allers-retours sur la question de
l'ingérence. Il tente de ménager la
chèvre et le chou, se retournant vers
l'un ou l'autre en fonction des embûches
du chemin et elles sont plus que
nombreuses.
Lors du
sommet d'Helsinki, il dénie
l'influence de la Russie sur les
résultats électoraux - ce qu'il
maintient toujours, c'est la ligne rouge
de sa légitimité. Il dénie aussi
rapidement l'ingérence en elle-même,
mais déclare en même temps faire
confiance à ses services. Tout en
remettant en cause leurs conclusions.
A son retour,
il est accusé de trahison, le risque
politique est énorme, même si les
élections de mi-terme s'annoncent très
bonnes pour lui. Sa réaction est alors
double. D'une part, il se lance dans des
explications improbables sur une
incompréhension de ses paroles et d'une
double négation avalée:
Mais
parallèlement, il continue sur sa voie
et lance une invitation officielle pour
Vladimir Poutine à Washington en
automne:
Pourquoi
Trump s'attache-t-il autant à la Russie?
Parce qu'elle est redevenue un acteur
international avec lequel il faut
compter? Oui - aussi. Mais surtout parce
que ses adversaires, à Trump, en ont
fait un symbole et que le seul moyen de
lutter contre un système idéologique est
de lutter contre ses symboles. Pour les
globalistes, qu'ils soient à Washington,
à Londres, à Bruxelles, à Berlin ou à
Paris, la Russie est le mal, car si elle
accepte la globalisation économique,
elle refuse toujours la globalisation
politique qui la sous-tend.
En soutenant
la position souverainiste de la Russie,
devenue symbole du refus de cette
globalisation politique, Trump fragilise
le système globaliste dans sa totalité,
ces deux facettes de la globalisation
étant indissociables. Même si la Russie
reste ancrée dans une politique
pro-globaliste économique.
Ce sont
finalement les ennemis de Trump qui font
de la Russie l'un des principaux
instruments que le président américain
manie avec tant de fougue. Ironie du
sort.
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