Russie politics
La Russie adopte aussi
sa
réglementation des fakes news
Karine Bechet-Golovko
Mardi 19 mars 2019
A la suite des
autres pays européens, la Russie vient
également d’adopter ce que l’on peut
appeler sa réglementation sur les Fakes
News, qui se compose d’un projet portant
définition de ces
informations inexactes et un projet
qui détermine les
sanctions applicables.
Cette réglementation ne soulève
pas moins de questions en Russie
qu’ailleurs, la possibilité d’une
appréciation objective de la véracité
d’une information étant la faiblesse
principale de tous ces mécanismes, dont
les motivations politiques ne peuvent
être évacuées. Nous avions déjà exprimé
de sérieux doutes sur le bien-fondé de
ce type de législation (voir
notre texte ici), mais voici une
présentation détaillée des dispositions
législatives russes. La Russie n'y a pas
coupé et a adopté sa réglementation sur
les informations inexactes. Le Président
V. Poutine vient de signer ce 18 mars
2019 la loi établissant une
responsabilité administrative pour la
diffusion d’informations inexactes ayant
une importance sociale spécifique. Le
projet de loi avait été déposé par deux
sénateurs, Andreï Klichas et Lioudmila
Bokova ainsi que par la député Irina
Roukavishnikova. Après avoir été
largement critiqué pour son imprécision
conceptuelle et la faiblesse de ses
amendes, le projet de loi a finalement
été adopté par la Douma (Chambre basse
du Parlement) le 7 mars 2019 à 327 voix
contre 79 et par le Conseil de la
Fédération (Chambre haute du Parlement)
le 13 mars 2019.
Pour l’essentiel,
cette réforme introduit dans la Loi
fédérale sur l’information, les
techniques d’information et la
protection de l’information du 27
juillet 2006 N°149-FZ la notion
d’information inexacte pouvant entraîner
une resposnabilité administrative à
l’article 15-3 : « une information
inexacte revêtant une importance
sociale, diffusée sous la forme d’un
message exact, qui entraîne le risque de
causer un dommage à la vie et/ou à la
santé des citoyens, à la propriété, un
risque de violation massive de l’ordre
public et/ou de la sécurité publique, un
risque de perturbation ou d’interruption
du fonctionnement des ouvrages vitaux,
des transports ou des infrastructures
sociales, des organisations de crédits,
des ouvrages énergétiques, de
l’industrie et des communications ».
Ainsi, dans les cas
concernant une diffusion dans un média
numérique, comme le complète le projet
de loi parallèle
N°606595-7 également adopté qui
l’accompagne, le Procureur général de
la Fédération de Russie, ou un de ses
adjoints, peut alors s’adresser à
l’Agence fédérale de régulation des
télécommunications (Roskomnadzor), dès
lors que le média numérique est
enregistré comme tel selon la
législation en vigueur. Roskomnadzor
porte immédiatement à la connaissance de
la rédaction du média numérique
l’obligation d’effacer le contenu
litigieux immédiatement et fixe la date
et l’heure de l’envoi à la rédaction de
cette notification.
Dès réception, la
rédaction du média numérique est dans
l’obligation d’effacer immédiatement le
contenu litigieux. Dans le cas
contraire, Roskomnadzor s’adresse au
fournisseur d’accès internet (FAI), afin
qu’il restreigne l’accès à cette
ressource. Le FAI est alors dans
l’obligation de restreindre
immédiatement l’accès à cette ressource
et il a 24h pour en informer l’édition
numérique.
La restauration de
l’accès au site se fait selon la
procédure commune déterminée par la loi
sur l’information (art. 15-3 al. 4-7).
Lorsque le contenu litigieux a été
effacé, l’édition numérique en informe
Roskomnadzor. Après vérification par
Roskomnadzor, cette Agence est obligée
d’en informer immédiatement la FAI, qui
doit restaurer l’accès au média
numérique. Ce régime toutefois, selon
l’al. 8 ajouté par la réforme en
question, ne concerne pas la diffusion
de ces informations inexactes par les
agrégateurs de contenus.
Les sanctions
prévues pour la diffusion de ces
informations inexactes sont des amendes,
dont le montant va varier en fonction de
la source. La diffusion de ces
informations dans les médias numériques
ou dans les réseaux numériques,
lorsqu’elles ne contiennent pas
d’éléments de nature pénale, entraîne
une amende de 30 000 à 100 000 roubles
pour les particuliers, de 60 000 à
200 000 roubles pour les personnes
investies d’une fonction publique et de
200 000 à 500 000 roubles pour les
personnes morales. En cas de récidive,
l’amende monte à 100 000 - 300 000
roubles pour les particuliers, 300 000 -
600 000 roubles pour les personnes
investies d’une fonction publique et à
500 000 – 1 million de roubles pour les
personnes morales. Lorsque la diffusion
de cette information a conduit à la mort
d’une personne, a porté atteinte à la
santé, a conduit à l’interruption du
fonctionnement d’un ouvrage civil,
l’amende est portée à 300 000 – 400 000
roubles pour un particulier, 600 000 –
900 000 roubles pour une personne
investie d’une fonction publique et 1
million – 1,5 million pour les personnes
morales. Les organes de la Procuratura
ont 24h pour informer les personnes
concernées de l’ouverture d’une affaire.
La
législation russe sur ces fameux « Fake
news » s’inspire de ce qui se fait en
Europe sur le sujet, chaque pays
réagissant à ce qui lui fait le plus
peur. En France, les grandes
déclarations sur les manipulations des
élections qui auraient lieu ces
dernières années ont conduit à
l’adoption
d’une loi en décembre 2018, en
partie restreinte par le
Conseil constitutionnel, insistant
sur l’importance du caractère manifeste
et des allégations et de l’altération de
la sincérité des élections autant que
sur la volonté d’obtenir ce résultat par
ces moyens. Rappelons, que la loi de
1881 sur la presse avait déjà été
modifiée en 2000 pour y introduire un
article 27 sanctionnant la diffusion de
fausses informations ainsi formulé :
« La publication,
la diffusion ou la reproduction, par
quelque moyen que ce soit, de nouvelles
fausses, de pièces fabriquées,
falsifiées ou mensongèrement attribuées
à des tiers lorsque, faite de mauvaise
foi, elle aura troublé la paix publique,
ou aura été susceptible de la troubler,
sera punie d'une amende de 45 000 euros.
Les mêmes faits seront punis de 135 000
euros d'amende, lorsque la publication,
la diffusion ou la reproduction faite de
mauvaise foi sera de nature à ébranler
la discipline ou le moral des armées ou
à entraver l'effort de guerre de la
Nation. ».
Certes, nous ne
sommes plus à l’époque de la protection
du moral de la Nation. Il s’agirait
plutôt de la protection du moral des
élus. Mais l'utilité de cette loi
française est largement discutable (voir
notre texte sur les raisons cachées).En
Allemagne, la loi baptisée NetzDG,
adoptée en octobre 2017, est entrée en
vigueur le 1er janvier 2018.
Le texte concerne principalement
les discours haineux sur Internet, y
compris donc la propagande terroriste,
insultes ou les appels à la violence,
sans qu’aucune période particulière ne
soit délimitée. Elle oblige, dans ce
cas, les réseaux sociaux à supprimer
dans les 24 heures les contenus
litigieux publiés sur leurs plateformes
- au risque d'encourir une amende
pouvant aller jusqu'à 50 millions
d'euros. Un délai supplémentaire peut
être accordé dans certains cas
spécifiques.
En Russie,
l’inquiétude est ailleurs. Par exemple,
lors d’accidents ayant entraîné la mort
de nombreuses personnes, beaucoup de
fausses informations alarmistes ou
provocatrices circulent très rapidement,
pouvant provoquer certains mouvements
sociaux. Le législateur précise par
ailleurs que le texte ne concerne pas
les infractions pénales déjà établies, à
savoir justement l’extrémisme, le
terrorisme ou l’appel à la violence
contre l’ordre constitutionnel, à la
haine raciale ou religieuse, afin de ne
pas théoriquement provoquer une
incertitude juridique avec des
dispositions légales déjà existantes.
Or, si théoriquement, la situation est
claire, dans la pratique, le cas russe
ne règle pas plus qu’en Europe, les
questions de fond que soulèvent ces
réglementations.
Sans même parler du
délai, déterminé comme « immédiat » qui
va poser des difficultés d’appréciation
en pratique, la notion même
d’information inexacte ne peut
objectivement être précisée. Et elle ne
l’est pas ici. En dehors des cas
évidents, mais la loi n’évoque pas le
caractère manifeste de l’inexactitude,
il y a donc place à toute la
subjectivité de l’appréciation et au
poids des circonstances. Cette fonction
sera d’autant plus délicate à remplir
par Roskomnadzor, qu’il devra également
évaluer l’importance sociale de
l’information erronée. En ce qui
concerne l’application des sanctions, la
volonté de diffuser une fausse
information n’est pas un critère établi
dans la loi, il reste à espérer qu’il
sera pris en compte lors de
l’établissement du montant de l’amende.
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