Russie politics
Etats-Unis / Russie: un dialogue de
sourds
qui ne peut que se radicaliser
Karine Bechet-Golovko
Lundi 19 février 2018
Les relations entre
les Etats-Unis et la Russie continuent à
se dégrader, tant directement
(sanctions) que sur les "fronts
transversaux" que sont l'Ukraine et la
Syrie. D'un autre côté, il n'y a aucune
raison pour que la situation se
stabilise: le "globalisme américain" ne
peut tolérer l'existence d'une
résistance, si hésitante soit-elle au
risque de ne plus être global et la
Russie surfe toujours sur cette
hésitation , entre intégration
économique et revendication
souverainiste. L'évolution des
relations entre les Etats-Unis et la
Russie, la radicalisation du discours
américain, le calme contenu des
répliques russes, tout cela suit une
courbe ascendante de tension que rien ne
semble, à court terme, pouvoir remettre
en cause.
Les Etats-Unis ont
accusé 13 Russes d'ingérence dans les
processus électoraux, sans pour
autant que le procureur Muller ne puisse
affirmer un quelconque effet de cette
présupposée "ingérence" sur les
résultats électoraux de 2016. Le
secrétaire général de
l'OTAN accuse la Russie de relancer
la course aux armements - car elle a l'outrecouidance
de ne pas laisser son arsenal vieillir
et dépérir. L'Ukraine attaque en toute
impunité le bâtiment du
Centre culturel russe à Kiev pendant
que des enfants y sont, sans que la
police n'intervienne, laissant sur les
murs cette douce inscription "Mort à la
Russie", le tout sur fond d'adoption de
la loi de "d'intégration" du Donbass,
qui pose la Russie en ennemi et permet
la reprise du conflit armé dans des
proportions aujourd'hui impossibles. En
Syrie, le soutien de la coalition
américaine permet de maintenir à flot
les groupes terroristes agissant contre
l'unité du pays et sa pacification.
Ainsi, si l'état islamique a disparu,
les deux
plus gros groupes extrémistes
antérieurement appartenant à Al Qaïda
viennent d'annoncer leur regroupement,
pendant que les tensions entre les
acteurs locaux sont exacerbées par les
aides partielles et ciblées des
Etats-Unis appportées aux uns contre
les autres (Kurdes contre turcs), puis
aux autres contre les premiers afin de
déstabiliser la situation et de diviser.
Finalement, le Département d'Etat
envisage de nouvelles
sanctions contre les oligarques
russes et certaines personnalités
politiques, dont les fondements sont
flous - mais ils sont Russes.
La Russie, face à
cet interventionnisme débridé des
Etats-Unis, reste de marbre et semble se
barricader dans les limites de la
diplomatie et du droit. Ainsi, la
porte-parole du ministère des Affaires
étrangères russe, à juste titre,
déclare "absurde" les accusations
sans fondement des 13 russes. Le
président du
comité du Conseil de la Fédération
déclare que Porochenko est
responsable de l'action des
nationalistes contre le bâtiment russe
et
l'ambassade de Russie en Ukraine
demande aux Etats-Unis de ne pas
soutenir le nationalisme. Pour ce qui
concerne la Syrie, la
Russie demande aux Etats-Unis
" de ne pas jouer avec le feu",
rappelant qu'ils ont des preuves du
manque de volonté des américains de
combattre Al Nusra. Quant aux sanctions,
le ministère des Affaires étrangères
russe déclare que depuis 2014, il
y a déjà eu
50 vagues de sanctions US contre la
Russie, ce qui démontre suffisamment
leur inefficacité. La Russie s'est
habituée et a trouvé le moyen de
minimiser les effets négatifs. En
cas de nouvelles sanctions, la politique
menée jusque-là ne sera pas modifiée, et
si vraiment besion est - des mesures
plus fortes pourraient être prises. La
Russie déclare et demande. Pendant que
les Etats-Unis sont dans l'attaque.
Autrement dit,
cette politique légaliste et défensive
ne fonctionne pas à court et moyen terme
puisque les pressions augmentent et que
la situation se dégrade sur les fronts
transversaux. A long terme, certes,
cette politique peut, peut-être, se
révéler la bonne, car les Etats-Unis se
discréditent. Mais encore faut-il y
arriver à ce (très) long terme ... Et y
arriver sans trop de pertes. Ou sans
pertes irréversibles.
Les hésitations de
la Russie à réellement répondre, sans
même parler d'adopter une politique
offensive, sont parfaitement perçues par
l'Occident, qui y voit une possibilité
de continuer sans trop de risques réels
ses pressions.
Tout se passe comme
si la Russie n'assumait pas totalement
les conséquences du rattachement de la
Crimée en 2014, ou comme si elle n'avait
pu imaginer alors que l'Occident serait
"froissé" à ce point. Or, sans une
vision politique conséquente, les effets
positifs du rattachement et de
l'affirmation de la Russie à avoir des
intérêts stratégiques propres légitimes
se retournent contre elles, au lieu
d'être politiquement capitalisés. En
lançant le gant, il faut accepter le
duel et non pas s'habituer à la
contorsion.
En tentant de
repousser le combat dans les limites de
la légalité, la Russie espère éviter le
combat. C'est un pari dangereux qui
semble, vue la radicalisation, plutôt
donner un sentiment d'impunité aux
Etats-Unis qui perçoivent la Russie
comme un joueur finalement faible, qui
voudrait plus faire partie de ce système
que de le remettre en cause. Or, les
Etats-Unis ne sont pas prêts à intégrer
la Russie, un centre de pouvoir existe
déjà, et ils ne voient aucune raison
pour le partager sans se battre jusqu'au
bout, puisque c'est de leur prédominance
dont il s'agit.
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