Russie politics
CPI: en refusant sa juridiction, la
Russie donne acte
de sa vision d'un monde multipolaire
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 17 novembre 2016
La Russie qui était un des pays
fondateurs de la Cour pénale
internationale, sans pour autant être
allée jusqu'à ratifier le Traité de
Rome, se retire totalement de cette
institution. Deux raisons principales
sont avancées: sa politisation et son
inefficacité. L'une découlant de l'autre
et de la vision unipolaire soutendue.
La sortie de la Russie de la CPI
Le 16 novembre, sur proposition du
Ministère de la justice, avec l'accord
de la Procuratura, du Ministère des
affaires étrangères, de la Cour suprême
et du Comité d'enquête, le
Président russe a signé l'acte
demandant au Ministère des affaires
étrangères de signifier au Secrétaire
général de l'ONU la décision de la
Russie de ne pas être partie à la Cour
Pénale Internationale.
Selon
les mots du porte-parole du Kremlin:
"C'est
la position d'un pays qui est guidé par
ses intérêts nationaux".
Ces
paroles interviennent après la
publication le 14 novembre du
rapport annuel de la CPI. Rapport
dans lequel, en ce qui concerne
l'Ukraine, elle occupe une position
totalement partiale, que l'on peut
sembler tirer non pas d'une enquête
objective, mais d'une synthèse des
articles du Monde. Une loi d'annexion de
la Crimée mise entre guillemet comme
pour une citation alors que la
formulation ne correspond pas à
l'appellation officielle, pas un mot sur
les crimes commis par les bataillons
punitifs, rien sur Odessa, ni les
snippers du Maidan, etc. Rien, de
simples incidents. Et il ne peut s'agir
bien sûr d'une guerre civile, mais
évidemment d'une guerre entre l'Ukraine
et la Russie dans laquelle l'Ukraine est
victime. La position sur l'Ossétie n'est
pas plus objective.
La
Russie remet donc en cause et
la politisation et l'efficacité de
cet organe. Et ces critiques ne sont pas
nouvelles:
Fin
janvier 2016, la porte-parole du
ministère des Affaires étrangères de la
Russie Maria Zakharova avait annoncé que
dans le futur la Russie pourrait revoir
son attitude envers la Cour Pénale
Internationale. En effet, l’État russe a
été déçu par sa décision d’ouvrir une
enquête à l’encontre des Ossètes de Sud
et des militaires russes en Géorgie,
tout en passant sous silence des crimes
commis par les troupes
géorgiennes. « Dans de telles
circonstances, on ne peut
guère parler de la crédibilité de la
Cour pénale internationale », argue le
ministère. La
Russie reproche également à la Cour
Pénale Internationale d’être onéreuse et
peu efficace, parce qu’en quatorze ans
d’activité, elle « a seulement prononcé
quatre verdicts, en dépensant malgré
cela plus d’un milliard de dollars ».
Le
Statut de Rome, acte fondateur de la
CPI, est le résultat de la Conférence de
Rome du 17 juillet 1998. Le 13 septembre
2000, la
Russie a signé ce traité, mais en
raison du conflit en Tchétchénie, elle
ne l'a pas alors ratifié. Elle attendait
aussi que le terme d'agression soit
juridiquement encadré, afin de
comprendre l'étendue de ses obligations
juridiques. Lorsque le traité de Rome
est entré en vigueur en 2002, la Russie
a attendu pour voir comment fonctionnait
cette institution, dont la juridiction
pouvait avoir des conséquences
importantes tant en matière juridique
nationale, que de politique intérieure.
Finalement, le temps est passé et la
Russie ne l'a pas ratifié. Et elle n'est
pas la seule à avoir eu des doutes
lorsque l'on regarde cette
carte:
La
Russie n'est pas le premier pays à faire
marche arrière, l'Afrique se réveille et
de nombreux pays remettent en cause
cette justice internationale vécue comme
une ingérance. La Gambie, l'Afrique du
Sud, le Burundi l'ont déjà décidé en
octobre. Les grandes puissances comme
les Etats Unis, la Chine ou l'Inde n'en
font pas partie. Quelle place pour la
Russie dans cette institution? Aucune.
L'image droit de l'hommiste propagée de
cette CPI est portée à bout de bras par
les pays membres de l'UE, qui y sont
états-parties. Mais ce sont des pays qui
interviennent dans le cadre des
opérations de l'ONU, opérations qui ne
sont pas soumises à la juridiction de la
CPI sur demande des Etats Unis. Ce sont
également des pays dont la souveraineté
est en cause et qui se sont mis sous le
parapluie américain et de l'OTAN. Ils
n'ont pas peur de la politisation de la
CPI, puisqu'elle est un des instruments
du bloc auquel ils appartiennent.
La
justice internationale peut-elle être
non politique?
La
question de la politisation de la CPI
est étroitement liée à celle de la
nature politique de la justice pénale
internationale en soi. Justice présentée
comme celle des vainqueurs sur les
vaincus. Justice inégale, puisque
certains Etats sont en position
d'accusateur qui les lave de tout
soupçon et d'autres sont en position
d'accusé et déjà reconnu coupables. Le
simple fait d'apparaître devant une cour
internationale de nature pénale est
reconnaissance de culpabilité sur la
scène internationale. Comme nous l'avons
vu encore récemment avec le TPI pour
l'ex-Yougoslavie.
La CPI
devait revenir sur cette politisation en
créant une assemblée générale où tous
les Etats sont sur un pied d'égalité et
décident de la conduite à suivre. La
théorie est belle, la réalité très
différente. Car à la CPI comme ailleurs,
tous les pays n'ont pas le même poids,
certains sont plus égaux que d'autres.
Les mécanismes politiques ne restent
pas aux portes des institutions, ils
sont portés par les hommes qui y
siègent. Et la CPI se trouve coincée
dans un paradoxe dont elle ne peut
sortir: être un élément de la politique
internationale ou devenir insignifiante.
Elle doit traiter des crimes les plus
graves (génocides, crimes de guerres,
crimes contre l'humanité), des crimes
retentissants, qui ne peuvent rester en
marge de la politique internationale,
surtout à l'époque de
l'interventionnisme à tout crin.
L'on
peut compter, au minimum, trois niveaux
de politisation de la CPI:
- La CPI est
censée être objective, car son rôle
se résume à poursuivre juridiquement
des "criminels" et c'est tout. Mais
le problème est de savoir quels
criminels et quels crimes vont
retenir l'attention de la CPI,
comment seront-ils choisis et quels
crimes et criminels resteront
systématiquement dans l'ombre. C'est
ce choix - la Russie lui reproche de
n'avoir rendu que 4 jugements - qui
donne cette impression de justice à
dimension variable, dont parle même
le président de cette institution.
- Théorie
cosmopolitique: F.
Megret, chercheur à la McGill
University, souligne le caractère
missionaire de l'institution. La CPI
est liée à l'idée d'un Etat global,
fondé sur un panel de valeurs,
largement inspirés des droits de
l'homme. Conception qui entre dans
le cadre du processus de "desétatisation"
et de globalisation que nous voyons
à l'oeuvre à différents niveaux,
processus qui utilise le droit comme
une des armes de réforme des
sociétés. Cela pourrait faire
sourire si l'on n'avait sous les
yeux le cri du coeur lancé par le Président
de cette Cour:
«la
Cour traverse un sale temps. On ne peut
pas nier que c'est un moment difficile,
mais je suis optimiste, je crois aux
vertus d'un dialogue constructif au sein
de cette assemblée». Dénonçant lui-même
une «justice à géométrie variable», le
président de l'Assemblée a émis la
volonté de «réformer la gouvernance
mondiale».
- Le Conseil de
sécurité de
l'ONU a pouvoir de saisir la
CPI, notamment lorsque le pays
concerné n'est pas parti. Ce fut par
exemple le cas du Soudan en 2005. La
question du financement de
l'enquête contre Kadhafi a également
été soulevée. Rappelons, que ni la
Chine, ni la Russie, ni les Etats
Unis n'ont ratifié la Statut de Rome
fondateur de la CPI, mais ils
peuvent utiliser le Conseil de
sécurité pour saisir la CPI,
influencer sur sa politique et ses
enquêtes. Le retour de la Russie sur
la scène internationale bloque de
facto ce mécanisme, car elle
peut opposer son véto, par exemple
lorsque les Etats Unis voulaient que
la CPI enquête sur Assad et ses
crimes, sans un mot sur les
atrocités commises par les
terroristes et les "opposants
modérés".
Il est
difficile de considérer cette CPI comme
une juridiction, vue le caractère
extrêmement sélectif de son activité et
le niveau de ses rapports annuels. Son
caratère intrinsèquement politique,
contre lequel elle ne peut rien faire:
la CPI est un élément de la
gouvernance mondiale, qui implique une
vision unifiée du Monde et un centre de
commandement unique. C'est cette
vision du monde qui est impossible si
l'on reconnaît la souveraineté comme
élément constitutif de l'Etat, si l'on
défend la vision d'un monde
multi-polaire. En sortant de la CPI, la
Russie ne fait qu'entériner un fait
établi.
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