Le Covid a-t-il tué la culture politique en
Russie aussi ?
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 17 septembre 2020
La rentrée
parlementaire en Russie, a priori,
était plutôt positive. Les
parlementaires sont revenus
physiquement dans l'hémicycle et, en
soi, voyant les fortes tentatives de
virtualiser, dans le sens très direct du
terme, les structures étatiques en
Russie sous couvert de coronavirus,
c'est déjà une victoire. Tout est
relatif. En revanche, le scandale qui a
accompagné cette séance plénière soulève
beaucoup de questions sur le niveau de
culture politique au Parlement : le
président de la Douma a renvoyé dans des
termes inadmissibles les députés âgés
derrière leurs écrans. Si Terechkova
était utile pour faire passer la
nullification des mandats présidentiels,
et tout son poids fut nécessaire,
maintenant son âge présente un danger.
Elle est un "patrimoine national", je
cite, donc manifestement sa place sera
bientôt au musée.
Ce qui s'est passé
hier à la Douma est tout simplement,
humainement, ignoble.
Institutionnellement, cela oblige à
s'interroger sur le niveau de culture
politique des personnes qui y siègent.
L'on peut évidemment toujours trouver
pire ailleurs, c'est peut-être rassurant
pour certains, mais ça ne change rien au
problème.
Le président de la
Douma, Volodine, qui nous avait habitué
pourtant à plus de carrure, s'est
conduit comme un petit chef local avec
son troupeau docile. Aucun respect dans
la manière de s'adresser aux élus du
peuple. Aucune réaction, ni de la part
des parlementaires, ni des journalistes,
qui retranscrivent l'affaire,
discrètement, sans aucune remarque. Tout
va bien Madame la Marquise. La seule à
avoir pris, au départ, les choses de
haut, est Valentina Terechkova, ce qui
lui a valu une gifle publique. Comme
vous pouvez le voir en détail dans la
vidéo.
Volodine a demandé
aux députés âgés de quitter l'hémicycle
et de n'y plus revenir. Les
recommandations de l'Agence fédérale de
la consommation, qui gère la crise
politico-économico-sociale du
coronavirus, étant supérieures à la
législation du travail et manifestement
à la Constitution. Ce qu'aucune réforme
ne peut éviter, sans volonté politique.
Valentina
Terechkova a pris la remarque à la
légère et depuis sa place a vaguement
répondu, "mais bien sûr". Ce qui a
provoqué l'ire de Volodine, les choses
sont on ne peut plus sérieuse, on ne
badine pas avec les distanciations
sociales. Manifestement, Terechkova, qui
à 83 ans et pleine d'énergie, en a vue
d'autres, n'avait pas saisi l'enjeu de
la situation : on ne plaisante pas
avec le Covid, puisque l'on ne plaisante
pas avec le sacré.
"Valentina
Vladimirovna, pas de "mais oui", si si.
Nous sommes obligés de vous protéger,
vous êtes
notre "patrimoine national".
Collègues, vous êtes d'accord ?"
La question était
rhétorique. Le soutien a docilement été
apporté, sans broncher, sans
interrogation, les interrogations ne
sont plus à l'ordre du jour dans nos
sociétés écrasées.
Et Volodine
insiste, explique à Tchilingarov et
Terechkova de se plier aux exigences et
de quitter la salle après avoir entendu
les discours des chefs de fraction. Il
leur intime de suivre l'exemple de
l'Occident, où il n'ya a pas parmi les
députés de première femme dans l'espace,
ni d'explorateur polaire.
"Bon, vous
écoutez les discours des chefs de
fraction et après - dans votre bureau et
de là-bas, vous prendrez part à la
discussion des questions. Si vous voyez
quelque chose qui ne marche pas, vous
descendez, vous corrigez et pour le
reste, faites confiance à ceux qui
prennent soin de vous."
Quand il fallait
faire passer, et ce n'était pas gagné,
la nullification des mandats
présidentiels pour V. Poutine, il a bien
fallu mettre en jeu tout le poids
politique de Terechkova, là elle n'était
pas trop vieille pour qu'on "prenne
soin" d'elle. Maintenant que le travail
est fait, on peut la ranger, elle et ses
camarades d'une époque que l'élite
actuelle, à la différence de la
population, veut à tout prix enterrer,
dans le placard des "trésors de
l'histoire".
Cette sortie de
Volodine contre Terechkova est d'une
violence assez surprenante. Surtout
qu'assis à côté de lui, deux
vice-présidents de la Douma, Ivan
Melnikov (PC), qui souriait bêtement,
manifestement espérant qu'on l'oublie,
et Alexeï Gardeev (Russie Unie) sont
au-dessus du seuil fatidique des 65 ans,
l'un avec 70 ans et l'autre ayant
atteint les 65. Sans même parler des
fameux chefs de fractions, avec
Ziouganov à 76 ans et Jirinovsky à 74
ans, qui critiquait vertement la réunion
physique de la Douma. Mais il est vrai
que lui est devenu très utile à la vague
destructrice, ce qui est une habitude
chez lui.
Je ne
parlerai ni de la Présidence au pays, ni
du bloc souverainiste du Gouvernement. A
ce rythme-là, certains d'entre eux
pourront aussi trouver leur place dans
le musée des trésors nationaux, qu'il
faut préserver et qui devront faire
confiance à ceux qui prennent soin d'eux
...
Cette prise à part
directe était non seulement violente,
mais inutile. Il aurait pu leur être
demandé, discrètement, avant la séance,
de passer à distance après la séance
plénière. Alors que là, ce fut une
humiliation publique. C'est une honte.
Une honte qui montre tout le respect
finalement porté aux parlementaires,
devenus des exécuteurs dociles, des
représentants de leur parti et non pas
des représentants du peuple.
C'est un triste
spectacle qui s'est joué sous nos yeux
hier. Manifestement, le coronavirus
s'est profondément infiltré. Dans le
corps de l'Etat. Le seul vaccin contre
cela est la culture politique - et il ne
se produit pas sur oukase.
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