Russie politics
La dimension politique du procès
expéditif
contre les 3 supporters russes
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 17 juin 2016
Les trois
supporters russes, Morozov, Gorbatchev
et Erunov, viennent d'être condamnés à
Marseille dans le cadre de la procédure
expéditive de comparution immédiate à
des peines de prison ferme de 12, 18 et
24 mois sur le fondement d'une vidéo où
ils n'apparaissent pas tous les trois et
où ils n'ont pas un comportement
violent. Mais le Procureur de Marseille,
Brice Robin est fier d'avoir fait un
exemple. Il eût été préférable de rendre
la justice.
En général, en
procédure pénale, on enquête in rem,
c'est-à-dire que l'on a des faits et
l'on cherche qui est responsable. Ici,
l'enquête (si elle a eût lieu) fût menée
in personam, c'est-à-dire que
l'on a des gens et il faut trouver
quelque chose. Je ne reviendrai pas sur
le contexte (voir ici nos articles
ici,
ici et
ici) dans le détail, la fouille de
l'hôtel de supporters russes à la
recherche d'armes, la fouille du bus
toujours à la recherche désespérée
d'arme et de drogue toujours sans rien
trouver, mais la mise en garde à vue de
tout le monde, femmes et chauffeurs
compris, des libérations, des expulsions
et finalement, on trouve trois têtes de
turc.
Revenons sur les
aspects juridiques de la procédure
menée. N'ayant pas eu accès au dossier,
je ne pourrai me baser que sur les
éléments divulgués.
La procédure
utilisée est celle de la
comparution immédiate. C'est une
procédure accélérée, sans enquête
préliminaire qui est utilisée lorsque le
procureur estime que tout est prêt pour
juger les personnes arrêtées. Plusieurs
éléments vont retenir notre attention.
Tout d'abord, les
éléments de preuve doivent être
suffisants.
Or, selon la très
respectable agence d'information
Reuters:
Interpellés mardi à Mandelieu
(Alpes-Maritimes), ces trois hommes
apparaissent sur des vidéos tournées le
jour des altercations qui ont fait 35
blessés dans le centre de Marseille,
mais on ne voit aucun d'entre eux porter
des coups.
L'évidence des
preuves laisse perplexe. Continuons. La
vidéo Youtube qui sert de preuve a été
diffusée dans le tribunal et
BFM remarque que, en réalité, non
pas les trois, mais seulement deux des
inculpés y figurent:
Contrairement aux
deux autres, il (Morozov) n'apparaît pas
sur une vidéo filmée par un hooligan
russe lors des violences
De mieux en mieux.
La vidéo révèle ce que nous savions déjà
tous: les supporters russes étaient à
Marseille pour supporter leur équipe.
Maintenant,
regardons les chefs d'inculpation, à
savoir les fondements juridiques par
lesquels ils furent inculpés. Il s'agit
de "participation à un groupement
formé en vue de la préparation d'actes
de violence" et "violence avec
usage ou menace d'une arme dans le cadre
d'une manifestation sportive".
Rappelons que pour
le chef d'inculpation concernant l'usage
d'une arme, non seulement aucune arme
n'a été trouvée sur eux, mais sur la
vidéo ils ne sont pas violents. Quant à
prouver la volonté de réunion en vue de
mener des actions violentes, il faut un
minimum d'enquête pour être crédible.
Evidemment,
l'affaire prend une dimension
diplomatique. Car s'il est normal de
condamner des gens responsables d'avoir
commis des méfaits, "faire des
exemples", n'a rien avoir avec la
justice. Or le procureur de Marseille de
déclarer:
Le procureur de la République de
Marseille, Brice Robin, a estimé que ces
condamnations étaient un « message
fort à l’encontre des fauteurs de
trouble qui confondent la violence et
le sport »,
dans le cadre de l’Euro
2016.
Il faut dire que le
procureur se sent mal à l'aise, car
c'est un homme d'expérience près de la
retraite. Alors il commence déclarer
tout et n'importe quoi à la presse. Par
exemple:
Ces sanctions tombent au lendemain de tensions
diplomatiques entre
la France et la Russie provoquées par
l'arrestation de ces supporters. Le coup
de filet a pourtant été réalisé grâce à
des renseignements de la police russe, a
assuré le procureur de la République,
Brice Robin.
C'est en effet
tout à fait logique. Vous donnez des
informations permettant l'arrestation de
dangereux personnages et lorsqu'ils sont
arrêtés, vous convoquez l'ambassadeur.
Sans commentaires.
L'autre effet
collatéral de ce procès politique des
supporters russes est la dégradation
vertigineuse de l'image de la justice
française dans les cercles russes
pro-européens. Même le très libéral
Conseil des droits de l'homme ne
comprend comment on peut condamner à de
la prison ferme pour aussi longtemps des
gens sans enquête ou instruction
préparatoire et avec si peu de droits à
la défense. Car la question de la
qualité de la défense se pose.
Dans le cadre de la
procédure de comparution immédiate, ce
sont les accusés qui doivent demander un
avocat s'ils en veulent un, qui prendra
alors immédiatement connaissance du
dossier. Et ils peuvent également
demander un report de séance dans les
deux semaines pour avoir le temps de
préparer leur défense. Vue la rapidité
exemplaire avec laquelle la justice
française a mis ces hommes en prison,
l'on peut douter qu'ils aient bénéficié
de toutes les informations leur
permettant d'organiser une défense
efficace. Mais de toute manière, ils ne
pourront pas se plaindre devant la Cour
européenne des droits de l'homme car la
Convention est suspendue et l'art. 6
(droit à un procès équitable) ne peut
être invoqué.
En revanche, ils
auront tout intérêt à faire appel de la
décision. Tout d'abord parce que la
peine ne pourra être supérieure, à moins
que ce procureur très zélé et bien
brieffé ne fasse une sorte de chantage
"de couloire", en menaçant de déposer
également un appel pour demander une
peine plus forte. Ensuite, parce que
l'appel implique un véritable procès,
avec les risques de médiatisation que
cela implique pour la justice française,
qui n'a pas intérêt à étaler dans les
collonnes de presse sa dépendance au
politique.
En recourant à ces
méthodes, la France a passé une ligne
rouge. Comme cela lui apparaît en pleine
face, il n'est pas possible de préserver
l'intégrité de son système judiciaire
lorsque l'on abandonne sa souveraineté.
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