Russie politics
Russie : comment ont été recrutés les
manifestants
du 10 août par l'opposition
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 14 août 2019
Les dernières manifestations de
l'opposition à Moscou le 10 août ont
réuni une masse importante de personnes,
20 000 selon la police, 50 000 selon les
organisateurs. Un retournement de
situation assez surprenant après l'échec
relatif de la radicalisation opérée par
le groupe Navalny-Sobol, la nouvelle
figure devant attirer les caméras des
médias occidentaux indépendants,
indépendants puisque occidentaux et
soutenant l'opposition russe. Surprenant
? Pas tant que ça. Un journaliste de
News.ru s'est infiltré dans la mécanique
de recrutement des manifestants.
La dernière
manifestation à Moscou était prévue en
deux étapes : une autorisée sur l'avenue
Sakharov, qui devait être suivie d'une
autre baptisée "Promenade" pour ne pas
dire manifestation, non autorisée.
Ainsi, les journalistes et bobos de tous
les pays ont pu dire qu'il n'était plus
possible de se promener librement à
Moscou. Jouer sur les mots pour faire de
la propagande, ce n'est pas nouveau,
mais autant le rappeler.
Pourtant, après le
peu de monde présent à la deuxième
manifestation, trop radicale, il fallut
pour l'opposition renverser la vapeur.
Les chancelleries occidentales ont mis
le paquet,
comme nous l'avions déjà écrit ici,
comme partout les "zartistes" ont été
mis à contribution, tout comme les
médias étrangers diffusant en russe. Par
exemple, la Voix de l'Amérique, le 10
août appelait à manifester à Moscou,
puis a retiré sa publication, une fois
qu'elle n'était plus nécessaire (voir
ici, la page n'existe plus sur twitter).
Malgré tout cela,
il y eut une impression assez bizarre :
certes, il y avait du monde, mais l'on
avait vraiment l'impression, en écoutant
les manifestants interviewés, qu'ils ne
soutenaient personne en particulier,
qu'ils ne savaient pas vraiment pourquoi
ils étaient là. Rappelons que tout a
commencé après que les candidats de
l'opposition n'aient pas été autorisés à
participer aux élections de Moscou, donc
locales, puisqu'une partie de leurs
signatures étaient fausses ou attribuées
à des personnes décédées. Donc les
manifestants, électeurs potentiels dont
les droits auraient ainsi été, selon
eux, bafoués, devraient sortir dans la
rue pour soutenir leur candidat
écarté.
Les nombreuses
vidéos diffusées sur twitter semblent
démontrer le contraire : ici, les jeunes
ont un mal de chien à expliquer ce
qu'ils veulent ou même à prononcer le
nom d'un candidat d'opposition (vidéo),
ici une jeune femme explique que de
toute façon elle s'en moque, qu'elle n'a
pas de candidat, car elle veut
simplement partir en Europe (vidéo)
- donc elle manifeste. Logique.
Bref, toute une
foule qui ne sait pas pourquoi elle sort
? Surprenant quand même. En fait, non.
Un journaliste de
News.ru a remarqué la veille de la
manifestation une publication du réseau
social russe VKontakte, qui elle aussi a
disparu depuis évidemment, appelant les
gens à venir manifester à Moscou pour
donner un effet de masse contre légère
rétribution. Et l'on comprend beaucoup
mieux. Voici les grandes lignes pour nos
lecteurs non-russophones.
Tout commence avec
cette annonce diffusée par une certaine
Alexandra Petrova sur VKontakte : "Moscou
cherche une foule". Pour s'inscrire,
il faut laisser son nom, son prénom et
son numéro de téléphone. L'appel est
lancé à cette génération décalée de la
réalité, qui vit dans l'instant, dans le
fun. Et sortir manifester contre,
c'est justement fun. On joue aux
grands en restant petit. On est
"citoyen", "impliqué, on rebaptise de
"convictions" des slogans. C'est plus
simple ... et surtout c'est plus fun.
Alors on va jouer.
Le journaliste
Stepan Sychikov répond et une heure
après, la jeune femme indique qu'elle a
transmis sa candidature au superviseur
et s'il la confirme, alors il appellera
dans la soirée.
A 22h30 un jeune
homme, qui se présente sous le nom
d'Anton a téléphoné, pour confirmer la
candidature. Le rendez-vous est fixé à
13h30 le lendemain à Tchistye Prudy
(hyper centre de Moscou) et il précise
au journaliste que s'il a des amis, il
peut les faire venir aussi, il suffit de
prévenir en avance et de donner leurs
coordonnées.
L'important,
précise-t-il, est de créer un effet de
masse. Et de ne pas intervenir. Les
provocateurs, qui devront intervenir et
créer du désordre, c'est une branche à
part à laquelle nous n'appartenons pas."
Après vérification
par le journaliste, le numéro du
superviseur n'apparaît sur aucun réseau.
Le lendemain, jour de la manifestation,
le journaliste embusqué a été ajouté sur
le chat, afin de coordonner les rdv à
l'intérieur de ce groupe. Un
administrateur du groupe s'en est
chargé. Il fallait venir avec un
document d'identité et tous se réunir à
13h30 comme prévu, où un "brigadier" les
attendait.
Le brigadier
explique que le groupe doit revenir à
15h à l'endroit du rdv pour toucher son
paiement de 1000 roubles, à condition
d'avoir effectué un selfie et 10 photos
diffusées sur les réseaux sociaux.
Aux mineurs qui se
trouvaient dans ce groupe, le brigadier
a expliqué qu'ils ne risquaient rien,
justement puisqu'ils étaient mineurs. A
14h30, le groupe est allé à la
manifestation, où il fallait garder le
contact avec un certain Rouslan, qui
devait effectuer le paiement après
l'évènement. A 15h30, la page VKontakte
de la jeune fille appelant à un effet de
foule a été effacée du réseau social, sa
mission était accomplie.
Ceci est un
exemple, il y en a manifestement
d'autres. La création de groupes isolés,
sortant sur commande, sans vraiment
savoir pourquoi, c'est un des effets de
la massification des réseaux sociaux, de
ce culte débilisant de la connexion
permanente. Ces gens, isolés dans la
vraie vie, déstructurés, incapables de
s'assumer réellement comme animal
social, sont maintenus dans un état
d'infantilisme, largement aidé par la
défaite de l'école.
Ces mouvements ne
permettent évidemment pas de gagner des
élections, mais comme de toute manière
cette opposition politiquement
ultra-minoritaire ne les gagnerait pas,
sa mission est à la fois de casser les
mécanismes électoraux en les remplaçant
par des effets de rue, où n'importe qui
peut marcher (des mineurs, des
ressortissants d'un autre pays, etc.) et
non pas des électeurs, tout en
produisant un "produit fini" aux effets
visuels devant faire oublier le vide
politique. Cela convient parfaitement à
la "post-démocratie" globale, qui peut
faire tourner les images sur les chaînes
étrangères. Justifiant ainsi en circuit
fermé les déclarations des groupes
étrangers et de leurs inféodés.
Si le comment
cela a-t-il été possible est établi
(par le cumul d'une ingérence étrangère
et la création des conditions propices à
l'intérieur), reste toujours ouverte la
question du financement et des
organisateurs. Qui sont-ils ? D'où
viennent les fonds ?
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