Thérésa May fait monter la campagne
anti-russe
d'un degré supplémentaire
Karine Bechet-Golovko
Mardi 13 mars 2018
L'empoisonnement à
Londres le 5 mars de l'ancien agent
russe travaillant depuis pour le MI6,
Serguei Skripal, dont nous avions parlé
ici, ne cesse de prendre de
l'ampleur. Thérésa May vient de déclarer
hier que la substance utilisée vient de
Russie, ce qui prouve certainement
la responsabilité de l'Etat russe.
Ce qu'elle va considérer comme un acte
d'agression contre la Grande-Bretagne,
si la Russie ne fournit pas des
explications convaincantes d'ici ce
soir, mardi. Pour autant, nous ne sommes
pas à l'époque des héros, et la
Grande-Bretagne se trouve bien
embarrassée avec cette pseudo
déclaration de guerre. La double
absurdité de cette sortie politique,
concernant le fondement et les
implications, oblige à s'interroger sur
son but réel. A jouer à se faire peur,
on finit par avoir peur.
La Russie est
responsable, car le produit est de
fabrication russe.
En grande pompe
devant le Parlement britannique, Thérésa
May a fait hier soir une déclaration
fracassante: la Russie est
certainement responsable de
l'empoisonnement de l'agent russe
retourné par le MI6 vivant désormais à
Londre, S. Skripal. Voici le
réquisitoire à charge contre la Russie,
avant même que l'enquête n'ait abouti.
L'on apprend ainsi
que S. Skripal a été empoisonné par un
produit spécialement développé en URSS à
la fin de la guerre froide, le Novichok.
Ce produit étant spécifique à la Russie,
la Russie est responsable. T. May ne
sait pas si les dirigeants russes ont
pris eux-même la décision ou s'ils ont
perdu le contrôle sur le produit, mais
ça ne change rien. Puisque la Russie est
un danger, voir le Donbass, ses
nombreuses ingérences, etc., ça ne
change rien la Russie est coupable. Une
argumentation totalement hystérique,
tout
y est passé:
Elle a rappelé que
l'empoisonnement s'inscrivait « dans un
contexte bien établi d'agression menée
par l'Etat Russe », mentionnant le
conflit au Donbass, l' «annexion
illégale de la Crimée », les violations
« répétées » de l'espace aérien de
plusieurs pays européens, des campagnes
de cyberespionnage, ainsi que l'«
attaque barbare» contre Alexandre
Litvinenko, ancien agent secret russe
empoisonné au Polonium-210 et mort à
Londres en 2006.
Évoquant les
sanctions prises contre des
ressortissants russes après l'affaire
Litvinenko, qui « restent en place »
elle s'est dite « prête à prendre des
mesures plus importantes ». Elle a
notamment mentionné la présence de
troupes britanniques stationnées en
Estonie dans le cadre d'un déploiement
de l'Otan.
La
démonstration est incroyable. Ainsi,
désormais, c'est la provenance de l'arme
qui va déterminer de la responsabilité,
et non pas la personne qui l'a employée,
ses motifs, etc.
Si la
Maison-Blanche est plus réservée
quant aux accusations contre la Russie,
même s'ils soutiennent la
Grande-Bretagne dans son enquête, le
Secrétaire d'Etat américain,
Tillerson, lui, est entré dans le
combat:
les Etats-Unis font
« toute confiance à l’enquête
britannique selon laquelle la Russie est
probablement responsable de l’attaque »
(...) « Nous sommes d’accord sur le fait
que les responsables, à la fois ceux qui
ont commis le crime et ceux qui l’ont
ordonné, doivent en subir les sérieuses
conséquences appropriées », a-t-il
ajouté, après un entretien téléphonique
avec son homologue britannique Boris
Johnson.
Désigner le
responsable avant la fin de l'enquête
est certes plus simple. Cela aide
certainement les enquêteurs à aller dans
le bon sens.
Une déclaration
de guerre bien encombrante
La Russie a donc
jusqu'à mardi soir pour fournir des
explications à l'Organisation de lutte
contre les armes chimiques quant au
Novichok. Le
Conseil de la Fédération a déjà
répondu que non seulement la Russie a
détruit ses stocks de substances
chimiques de type Novichok, mais qu'elle
n'en produit plus, conformément à ses
obligations internationales. En
revanche, ce produit peut être produit
dans les laboratoires privés par des
spécialistes, s'ils ont l'équipement
suffisant.
Le responsable
ayant été désigné par T.
May, avec le soutien incontournable
des Etats-Unis, il faut bien en tirer
les conséquences:
En l'absence de
réponse crédible, nous en conclurons que
cette action constitue un usage illégal
de la force par l'Etat russe contre le
Royaume-Uni. Et je reviendrai alors
devant la chambre (des Communes) et
présenterai l'éventail des mesures que
nous prendrons en représailles
Un acte d'agression
commis par un Etat étranger sur le
territoire national, jusqu'au siècle
dernier, pouvait entraîner une guerre.
Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, l'on
tient les apparences, l'on fait de
grandes déclarations devant les
parlementaires, l'on joue à se faire
peur et l'on a peur de tirer les
conséquences des énormités que l'on
sort.
Logiquement, il
devrait y avoir au minimum une rupture
des relations diplomatiques, voir une
réaction militaire: les troupes
britanniques sont bien en Estonie pour
quelque chose, non? Oui, mais pas pour
ça. Elles y sont aussi pour le décor,
elles y sont surtout pour l'Estonie et
les Pays Baltes. Elles ne vont
certainement pas se lancer à l'assaut
des terres russes pour servir les
intérêts américains.
Nous ne
sommes pas à l'époque des héros, nous
sommes à l'époque des commerçants, avec
leur système de valeurs. Autant que l'on
puisse appeler ça ainsi. T. May
fait une déclaration retentissante ...
mais très encombrante. Le business se
fout de la guerre, sauf économique.
Alors il y pense. A celle-ci. Mesquine
et mercantile. A son image.
Comment punir la
Russie?
Sans même
s'interroger sur l'utilisation par des
services russes de substances dont les
traces mènent directement à la Russie
pour éliminer un individu qui a déjà
vendu tout ce qu'il pouvait vendre,
alors que non seulement il ne présente
plus aucun danger pour la sécurité
nationale russe, mais qu'il aurait
été beaucoup plus facile de le faire
disparaître, par exemple, lorsqu'il
était en prison en Russie, ou dans un
accident de voiture à Londres, T. May
conduit la Grande-Bretagne dans une
impasse: maintenant il faut garder la
face et réagir. Fortement. A la mesure
de l'accusation. Et ici, l'on sent plus
qu'une hésitation. Le monde post-moderne
se met en route. Après la déclaration de
la bonne conscience drapée dans tout ce
qui lui reste de dignité, les annonces
font sourire.
La
presse anglo-saxonne est en pleine
effervescence.
Le recours
aux armes? Les
commerçants ne font pas la guerre, ils
la font faire, comme en Syrie, en Irak
ou en Ukraine. Trop dangereux. On peut
même mourir à la guerre.
Une
cyber-attaque peut-être?
Dixit le
Times. Dirigée vers le site du
Kremlin (What else?), la diffusion
massive de fake news, bref des mesures
de grande envergure. A la mesure de
l'accusation portée ...
Le
Championnat du monde de foot? Le
boycotter entraînerait des sanctions de
la part de la FIFA, mais s'il y a une
raison... La Grande-Bretagne hésite
encore. Elle dit aux supporters de faire
attention en Russie. Imaginez la
situation: vous déclarez qu'un pays
commet des actes d'agression directe sur
votre sol et vous dites simplement aux
supporters de faire attention. Terrible
comme ennemi, c'est sûr! Cela montre le
caractère totalement artificiel de la
soi-disant menace russe. En attendant,
il est possible de ne pas y envoyer d
'officiels. Ce qui finalement n'a aucun
impact, sauf virtuel.
Prendre des
sanctions? Ah, oui, ça avec
plaisir. De toutes sortes. Qu'y a-t-il
de pire, de plus douloureux, pour des
commerçants que de toucher au fric? Et
ils veulent taper, là où ça fait mal.
Pour punir la Russie, ils n'imaginent
donc rien de pires que ces mesures.
Puisque c'est aussi ce qui leur fait le
plus peur - la perte potentielle de la
domination du marché avec la remontée de
la Russie. Le summum de la vengeance.
Des comptes d'apothicaire. Pitoyable.
Expulser des
diplomates? Possible, cela avait
d'ailleurs été la réponse avec
l'empoisonnement de Litvinenko en 2006.
Mais T. May a déclaré que la réponse
sera plus forte. Il est donc possible de
conjuguer cette mesure avec d'autres, ou
bien d'aller à la rupture des relations
diplomatiques. Ce qui serait surprenant
du côté de la Grande-Bretagne, car ce
monde pour exister a besoin d'être
reconnu, il a besoin que tous les
acteurs importants soient en situation
de perpétuelle communication comme un
drogué a besoin de sa dose. Sinon, il
perd le contrôle.
La
presse britannique envisage aussi,
en deuxième position sur dix, de
se débarrasser de concurrents et de
déclarer RT et autres médias russes
indésirables. Autant faire d'une
pierre deux coups, même si la presse n'a
rien à voir avec l'empoisonnement d'un
espion britannique à Londres. Au moins,
cela est censé permettre de lisser et
d'uniformiser le discours. Nous sommes
toujours dans le mythe du contrôle total
de l'espace d'expression ce que Macron
envisage aussi avec ce projet de loi
contre les fakes.
Geler les
avoirs des oligarques russes
ayant des actifs en Grande-Bretagne et
ne pouvant expliquer la provenance des
fonds? Bonne réaction de commerçants et
qui s'occupe des autres commerçants. Un
monde merveilleux, qui en plus aura pour
effet direct de renforcer le patriotisme
économique en Russie, justement dans
cette tranche de la société qui évalue
l'idée nationale en dollars.
Augmenter la
présence de l'OTAN aux frontières russes?
Bien sûr, cela permet de soutenir le
lobby de l'industrie militaire et
d'instrumentaliser les Pays Baltes. Rien
à voir non plus avec l'empoisonnement,
mais peu importe, la géopolitique se
passe de détails. Pour autant, quel est,
sur le plan militaire, l'intérêt de ces
mesures? Aucune. Cela permet simplement
de renforcer l'OTAN et indirectement les
Etats-Unis.
Désigner la
Russie comme un pays sponsor du
terrorisme? C'est à mourir de
rire, surtout le jour où l'on annonce
avoir retrouvé des armes françaises
entre les mains des terroristes de la
Ghouta, où justement les Etats-Unis
menacent de bombarder si la Syrie et la
Russie ne laissent pas leurs
terroristes tranquilles. D'une manière
générale, cela relance la question de
l'utilisation des terroristes par les
Etats occidentaux, appelés forces
pro-démocratiques, pour faire le travail
qu'un Etat civilisé ne peut exécuter
sans se discréditer.
Couper la
Russie de Swift, encore une forme de
sanction. Là ce serait, dans ce
monde moderne intégré, considéré par la
Russie comme une déclaration de guerre.
Il y a peu de chances pour que
l'Occident prenne un tel risque, les
économies et la finance sont trop
interconnectées. Même si la Russie est
en situation plus faible, elle a une
capacité de nuisance qui n'est pas
négligeable, ce que l'impact
des sanctions sur l'Occident a déjà
montré:
Enfin, toucher
le président Poutine et son entourage,
en publiant des informations, pas
toujours ouvertes, concernant leurs
biens. Il est vrai qu'il y a une
campagne électorale en cours, ce qui
pourrait évidemment être interprété
comme de l'ingérence, mais bon ...
L'ingérence est un outil de gouvernance
utilisé par les pays occidentaux depuis
longtemps (voir
notre texte ici).
Bref, rien de
nouveau, simplement un cran
supplémentaire
Autrement dit, rien
de nouveau. Une déclaration fracassante
dont on ne sait pas très bien quoi faire
et dont le décalage entre l'accusation
portée et les mesures envisagées
démontre s'il en est encore besoin le
caractère totalement virtuel de cette
gouvernance globalisée. Donc la guerre
aussi doit être virtualisée, comme la
politique, comme la gouvernance, comme
les dirigeants - bientôt comme les
Etats. On attaque dans le cyberespace,
on fait des déclarations, on défend
finalement le Système global et on se
fait la guerre physiquement mais sur des
territoires interposés, pour éviter tout
conflit militaire direct. Nous sommes
des pays civilisés, les ennemis font
couler le sang innocent, nous faisons
couler le sang des ennemis - qui n'ont
que ce qu'ils méritent. L'hypocrisie de
la bonne conscience repue, pour des
populations qui, dans l'ensemble, n'en
demandent pas plus de toute manière:
être du côté du Bien et s'occuper de ses
affaires.
L'on attaque
surtout économiquement, car le but est
bien de garder une grosse part du gâteau
(les sanctions). Ensuite on utilise le
militaire, autrefois bras armé de l'Etat
devenu bras armé de l'économie, qui
permet de laisser ou de mettre les Etats
en situation de dépendance - voire de
les détruire si "les droits de l'homme"
l'imposent. Le tout pour conforter un
schéma géopolitique, celui de
l'atlantisme globalisé. Et comme ce
modèle est globalisé, il ne peut
supporter la moindre remise en cause, le
moindre doute. D'où cette course à
l'absurde contre la Russie. Cette Russie
qui sans être contre le globalisme est
contre l'atlantisme.
La Russie considère
à juste titre que c'est un cirque, comme
l'a déclarée la porte-parole du
ministère des Affaires étrangères. Mais
un cirque qui peut être dangereux, le
rappelle l'ambassade russe en
Angleterre. Questionné par un
journaliste de la BBC hier, V. Poutine
lui rappelle que cet homme a été agressé
à Londres, qu'ils fassent le ménage chez
eux. C'est vrai que l'on meurt beaucoup
en Angleterre. Les espions retournés
devraient y réfléchir, c'est plus calme
sur le continent.
En attendant le Jeu
continue. De nouvelles enchères ont été
faites, la partie de Poker menteur bat
son plein.
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