Russie politics
Gilets Jaunes : de l'incitation à
la violence
par le Gouvernement
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 13 février 2019
Si tu ne peux ni
détruire, ni contrôler ce qui risque de
te porter atteinte, il est alors
nécessaire de totalement brouiller les
cartes, pousser le système à sa tension
maximale - en tentant de ne pas perdre
le contrôle de la déstabilisation, pour
que les repères habituels ne soient plus
pertinents. C'est ce qui semble se
passer dans la gestion par le
Gouvernement de la crise des Gilets
Jaunes, mouvement qui remet en question
l'efficacité du système
politico-idéologique dans lequel nous
vivons. Ce Gouvernement utilise
dangereusement la violence comme
instrument de pouvoir, l'entretient,
voire la provoque, jouant au "chaos
contrôlable". Et se retrouve dans cette
impasse stratégique pour un pouvoir
néolibéral (globaliste et antiétatiste),
de devoir utiliser les moyens étatiques
pour se maintenir et continuer à
déréguler l'Etat. D'où ce besoin de
fracture entre les forces de l'ordre et
la société. Et la communication étrange
qui entoure les dérives brutales de
policiers totalement dépassés et
instrumentalisés dans un jeu qui les
dépasse. A la fois, incités et montrés
du doigt. La question de la
violence, policière et du côté des
Gilets Jaunes, est maintenue au centre
des manifestations des Gilets Jaunes,
tentant presque de faire oublier le fond
du problème : le rejet d'un système
politico-idéologique par trop
inéquitable. Des casseurs de tous poils
et étiquettes se promènent
tranquillement autour des manifestations
des Gilets Jaunes, suivis par certains
policiers, sans être interpelés alors
qu'ils commettent de nombreuses
infractions - en flagrant délit. En
revanche, la violence latente qui en
découle "justifie" le recours devenu
normal aux canons à eau (pourtant
interdits pendant des années), le gazage
systématique comme s'il s'agissait
d'insectes nuisibles dont il faut se
débarrasser, les grenades de
désencerclement qui ne cessent de
blesser hommes, femmes, manifestants et
journalistes.
Le discours
méprisant du pouvoir entretient et fait
monter une colère transformée en haine
d'une élite qui ne représente quasiment
plus qu'elle. Les déclarations sont bien
calibrées, distillées un à deux jours
avant la traditionnelle manifestation du
samedi.
Les policiers
reçoivent les ordres, sont envoyés sur
place sans avoir une vision totale du
tableau. Puis découvrent que les gens
n'avaient pas de voie de sortie. Qu'ils
avaient lancé des grenades sur un groupe
finalement pacifique, alors qu'il avait
été dit qu'ils étaient agressifs.
D'autres policiers,
shootés aux hormones, voient leur côté
cow-boy titillé par une incitation à
"mâter" le mouvement. Que les ordres
soient directs, que l'ambiance générale
le laisse entendre, le recours à la
force, bien au-delà des instructions de
"défense", est implicitement légitimé et
recherché par le pouvoir.
La violence est
entretenue de partout. Elle semble
nécessaire.
Plus de 130 plaintes déposées devant
l'IGPN pour abus de pouvoir par les
forces de l'ordre.
Et
le tout circule très vite, très
bien, fait monter la pression, met la
tension sociale à un niveau inédit.
C'est surprenant, cela semble orchestré.
Dans quel but ? Il peut y en avoir
plusieurs, qui ne sont pas exclusifs les
uns des autres.
Le mouvement des
Gilets Jaunes, aussi dangereux soit-il
pour le système politico-idéologique
dominant, est une parade inespérée. Il
permet de faire passer, sans débat
national, des prises de positions
politiques radicales et anti-nationales
(comme le
traité avec l'Allemagne ou le
Pacte global sur la migration). Il
permet aussi de justifier, post
factum puisque la tendance existait
avant les GJ, l'adoption des lois
liberticides (comme sur
les manifestations). En plus, les GJ
n'ayant aucun leader politique qui
pourrait présenter un réel danger pour
le pouvoir en place, le mouvement donne
une parfaite excuse pour ne pas tenter
de réfléchir sur une réforme de fond, à
une remise en cause, d'un système qui
s'écroule, mais de se focaliser sur
certains éléments techniques, qui
n'engagent en rien, même si certaines
réformes ont réussi à être bloquées par
les GJ. Tant qu'ils restent restent à ce
niveau de contestation, ils peuvent
bloquer ou ralentir une évolution
négative, ce qui est déjà un exploit en
soi et est inespéré, mais ils ne
pourront pas permettre un changement
réel du cours politique.
Autrement dit, le
Gouvernement arrive à politiquement
rentabiliser un mouvement qui le menace,
puisque celui-ci n'est pas encore passé
au combat politique, ne cherche pas le
pouvoir. Mais, pour éviter qu'il ne
prenne trop d'ampleur, il faut
entretenir une répression systématique,
qui paradoxalement le renforce aussi.
Pour cela, alors que les derniers
gouvernements ne cessent de détricoter
les mécanismes étatiques, de les
affaiblir, la police redevient utile.
Même BHL en appelle au soutien aux
forces de l'ordre. C'est parce que le
"système BHL" est au pouvoir et que tout
pouvoir a besoin de structure.
Pour autant, cela
comporte le risque réel de devoir
finalement renforcer l'Etat, et donc
remettre en cause tant d'année de
propagande anti-étatique. Etrangement,
la critique contre les forces de l'ordre
est ici, dans ce contexte, très utile.
La population ne doit pas/plus "aimer"
sa police. La police doit
détester suffisamment ce peuple, pour
lancer sans cas de conscience les canons
à eau, les gaz, les grenades. Les
provocateurs violents, qui "veulent
casser du flic", sont ici très utiles
pour les faire craquer. Pour mettre en
place ce climat de défiance entre les
forces de l'ordre et la population.
Ce ne sont plus des
gens qui ont les mêmes problèmes de fins
de mois difficiles, d'insécurité, qui en
ont marre de ces élites déconnectées.
Non, ce n'est plus quelqu'un comme
soi, c'est l'autre. Donc, on
peut tirer.
La police c'est
l'Etat, la renforcer serait une trahison
idéologique. Elle doit être servile au
politique, elle ne peut plus servir
l'Etat. Ce mouvement est global et
dépasse largement les frontières de la
France. En Europe de l'Est, où les
structures étatiques étaient très
faibles après la chute de l'URSS, des
réformes intéressantes ont été réalisées
en ce sens. La caricature vient de
l'Ukraine, qui est décidément l'avenir
de cette Europe.
Bien avant le
Maïdan, les groupes d'experts
internationaux ont tenté d'implanter une
parodie de FBI dans le système
ukrainien. Finalement, cela a été fait,
mais contrairement au service américain,
la version édulcorée ukrainienne est
tournée contre l'Etat. Uniquement. Ces
"super-enquêteurs" n'ont pas compétences
contre la grande criminalité, ils
doivent lutter contre les magistrats,
policiers, etc. Dans l'idée que le plus
grand danger vient de l'Etat. Et pour
contrôler l'Etat, il faut un organe très
fort. Qui défende finalement -
l'idéologie. Dernier exemple en date,
illustrant tout le fossé entre le
pouvoir et l'Etat. Ce
9 février, une quarantaine
d'extrémistes du groupe S14 entrent en
force dans un commissariat de police,
avec des ballons de gaz et des couteaux,
pour en prendre possession, comme aux
plus beaux jours du Maïdan. Les
policiers, excédés par ces nostalgiques
fanatiques, les interpellent, après un
réel combat.
Mais une vidéo
tourne sur le net, montrant un des
policiers crier
"à terre espèce de Bandera" à un de
ces nationalistes. Ce qui a provoqué un
mouvement de terreur dans cette Ukraine
post-Maïdan pour qui Bandera, pseudo
nationaliste ukrainien qui travaillait
avec les nazis, a été officiellement
consacré héros national. Le policier a
été interpellé, justement par les
enquêteurs de ce nouveau Bureau
d'investigation et mis en détention
préventive pour deux mois. Les
extrémistes ont été immédiatement
libérés. Des policiers ont mis en ligne
une vidéo déclarant "nous sommes tous
des Bandera".
La police est là
pour protéger non pas l'Etat, mais le
pouvoir. Même contre l'Etat.
Il serait bien que
nos policiers y réfléchissent lors des
prochaines manifestations. Est-ce là
l'avenir qu'ils voient pour notre pays ?
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