Russie politics
L'échec du rapport du renseignement
américain
sur l'ingérence politique russe
Karine Bechet-Golovko
Mardi 10 janvier 2017
Les Etats Unis ont voulu faire un
rapport sur ce qu'il est impossible de
prouver: l'ingérence politique
étrangère. On la sent, on la suppose, on
la voit bien, mais on ne la prouve pas.
Et sans surprises, ce fut un échec. Il
faut dire que les Etats Unis n'avaient
plus le choix car, soit il n'y a pas
eu ingérence et cela signifie l'échec de
leur système par un vote de rejet des
électeurs malgré la machine médiatique
américaine et l'appareil des partis,
soit il y a eu ingérence et cela
signifie l'échec du système à résister
au jeu ancestrale des influences
étrangères. Qui de toute manière ne
peut décider du résultat d'une élection
de cette ampleur.
Le rapport
Le rapport des trois services de
renseignement américain, la CIA, le FBI
et la NSA, est disponible
ici en anglais et
ici en russe en version intégrale.
Dire
qu'il a fallu s'y mettre à trois pour
sortir un rapport d'une qualité aussi
médiocre est peu dire. Même le très
systémique
New York Times titre:
Russians Ridicule U.S. Charge That
Kremlin Meddled to Help Trump
Wikileaks s'interroge sur la méthode
utilisée:
Puisque, en effet, bien que le rapport
indique dans la méthode utilisée le
recours aux techniques classiques du
renseignement (les agents infiltrés, le
hacking de bases de données ...), les
auteurs précisent également s'intéresser
beaucoup aux médias, aux tweets,
notamment des personnalités russes
"pro-Kremlin":
Some of our judgments about Kremlin
preferences and intent are drawn from
the behavior of Kremlinloyal political
figures, state media, and pro-Kremlin
social media actors, all of whom the
Kremlin either directly uses to convey
messages or who are answerable to the
Kremlin.
Pour
revenir sur la terminologie,
"pro-Kremlin" semble désigner tous cette
catégorie infréquentable d'individus qui
ne dénigre pas son pays, visant tous
ceux qui n'ont pas le bon goût de
défendre la "démocratie russe ouverte" à
Genève, Londre ou Washington. Et ils
sont nombreux, au plus grand désespoir
du renseignement américain. Seulement,
comment ont-ils pu influencer l'opinion
publique américaine, cela reste une
énigme. A moins de ne considérer que
l'américain moyen ne se jette sur
twitter pour lire les remarques de
Puchkov, ne suive les émissions
politiques sur les chaînes russes ...
La
suite est plus évidente, lorsque des
pages entières de ce rapport sont
consacrées à Russia Today, dont la
rédactrice en chef a en plus eu le
mauvais goût de rencontrer Assange il y
a plusieurs années. Evidemment, Russia
Today diffuse en anglais, une
information différente de celle qu'il
est possible de trouver sur la très
dévouée CNN ou dans le très
objectivement pro-Clinton Washington
Post. Même si au regard de toute
l'attention qui lui portée, il
semblerait que RT fasse un travail de
titan aux Etats Unis, il y a peu de
chance que cela ait une incidence
directe sur les résultats des votes des
électeurs américains, généralement gavés
aux infos systémiques, c'est-à-dire
pro-Clinton. Sur la forme, un rapport
produit par trois agences de
renseignement doit-il accorder tant
d'attention à ce qui n'est aux Etats
Unis qu'un média somme toute marginal?
Cela ne fait pas très sérieux.
Des
hackers ont été accusés de travailler
pour la Russie. Notamment
Guccifer 2.0, qui le dément
ouvertement dans le
Wall Street Journal. De même pour
Elisa Shevchenko qui, elle, dément dans
The Guardian. Evidemment aucune
preuve non plus n'a pu être apportée,
uniquement des suppositions.
Bref,
tout cela ne fait pas très sérieux.
Surtout lorsque l'on peut lire que
l'ordre a été donné par V. Poutine
lui-même. What else? Cela est
répété plusieurs fois dans le document,
sur le rythme de l'incantation. Mais la
première formulation est délectable:
We
assess Russian President Vladimir Putin
ordered an influence campaign in 2016
aimed at the US presidential election.
Russia’s goals were to undermine public
faith in the US democratic process,
denigrate Secretary Clinton, and harm
her electability and potential
presidency. We further assess Putin and
the Russian Government developed a clear
preference for President-elect Trump.
Donc
V. Poutine aurait donné l'ordre de
discréditer le système américain et en
plus il ose préférer Trump à Clinton
pour les intérêts du pays. Soit. La
question de la preuve reste toutefois en
suspend. Un espion était caché derrière
les rideaux et a tout enregistré? Un
autre était caché sous la table, depuis
un certain temps, en attendant que
l'ordre fatidique ne soit donné et que
le GRU (renseignement militaire) ne se
jette sur l'os US, la bave aux dents? Le
Président russe a donné un ordre écrit,
daté, signé, tamponné avec directement
une traduction en anglais, au cas où ?
Non, beaucoup mieux, les agents
américains qui sont infiltrés dans les
structures de pouvoir russe l'ont
affirmé.
Mon
Dieu, quelle horreur, les américains ont
donc des agents implantés dans les
structures russes? Mais ... Mais ... ils
veulent donc influencer la politique
russe? Non, c'est impossible. Ils
adoptent un rapport condamnant
l'ingérence politique étrangère dans
leur système ...
Le
problème est que, dans la partie
publiée, il n'y a strictement aucune
preuve. Des suppositions qui sont
accréditées de probable ou très
probable. Mais aucune preuve, car aucune
preuve n'est réellement possible à
apporter. Ce qui rend ce rapport
totalement vide et discrédite les
agences de renseignement américaine. La
réaction de D. Trump est claire:
La
faiblesse des démocrates explique leur
échec et même si hacking il y a eu, il
n' a pu influencer sur le résultat des
élections présidentielles. Soyons un peu
sérieux, depuis le temps que la presse
mondiale critique le régime politique
russe, la population russe, elle,
soutient largement le cours suivi. Si
une telle influence est possible, elle
est limitée. Et tant que le pays est
fort, cette influence reste marginale,
elle ne peut être effective que lorsque
le système politique nationale est
affaibli de l'intérieur.
L'échec du Système aux Etats Unis
Il est
impossible de dire si réellement il y a
eu ou non une intervention aussi directe
de la Russie pour qu'elle soit qualifiée
d'ingérence. Mais ce qu'il est possible
de dire, c'est que dans tous les cas, la
manière dont Trump a été élu montre la
faillite du Système américain, pas la
victoire des Républicains et l'échec des
Démocrates. Non, c'est le Système qui a
perdu, avec ses candidats
alternativement Démocrates ou
Républicains mais qui défendaient ces
"valeurs", une même vision des choses.
Il y a plus de proximité entre le énième
Bush et H. Clinton, qu'entre ce Bush et
D. Trump, pourtant offiellement du même
camp.
Imaginons qu'il n'y ait pas eu
d'ingérence politique russe.
Dans
ce cas, malgré les manipulations du
Parti Démocrate pour que sa candidate
soit H. Clinton (car il s'agit bien de
cette révélation lors du hacking du
serveur du Parti), malgré la campagne
médiatique américaine unilatéralement
pro-Clinton, malgré les déclarations de
la quasi-totalité d'hommes politiques
étrangers en faveur de H. Clinton ... D.
Trump a été élu.
Bien
que le Parti républicain ait voulu
changer de candidat au dernier moment,
bien que des pressions sans précédent
aient été exercées sur les grands
électeurs, D. Trump a été élu.
Malgré
le système de vote plus que folklorique
qui permet, surtout dans les fiefs
démocrates, de voter sans présenter de
pièces d'identité avec photo, malgré
l'interdiction illégalement faite à
quelques millions d'électeurs de se
présenter aux urnes (sources OSCE), tout
cela ouvrant la porte à toutes les
manipulations, D. Trump est passé.
Le
Système a perdu, et ce n'est pas faute
d'avoir mouillé la chemise. D'où cette
hystérie.
Imaginons que la Russie ait cherché à
influencer les élections américaines
Le
rapport reproche à la Russie d'avoir eu
une préférence pour D. Trump, plus
favorable au développement des relations
commerciales et à la lutte contre le
terrorisme international. Jusque là,
avoir une préférence, n'est pas un
crime. La totalité des chefs d'Etat
européens ont ouvertement affiché leur
préférence pour H. Clinton, sans qu'ils
ne soient accuser de fausser les
élections. V. Poutine a, lui
régulièrement, déclaré que la Russie
était prête à travailler avec n'importe
quel Président américain, c'est le choix
intérieur des électeurs.
Le
rapport indique également que depuis
très longtemps, la Russie cherche à
influencer la politique américaine.
C'est en effet, une surprise, voire une
révélation. Ainsi, un pays qui a une
dimension de leader international,
cherche à défendre ses intérêts à
l'étranger ... En effet, c'est
inhabituel en matière de relations
internationales.
Depuis
que les Etats existent, ils mènent une
politique d'influence les uns sur les
autres. C'est pour cela qu'il existe des
services de renseignements, des médias
qui diffusent à l'étranger. C'est la
règle du jeu. Golos Ameriki (La voix de
l'Amérique), radio Liberty, BBC en russe
et j'en passe.
Règle
qui n'avait à ce jour pas plus que ça
dérangé les Etats Unis. Car ils
gagnaient. Les régimes non-amis, oups,
non démocratiques, tombaient sous leur
influence, ils conseillaient très
étroitement Eltsine, ont récemment placé
Poroshenko en Ukraine, chatouillent la
Pologne. Tout allait bien. Et là, "leur"
candidate n'est pas passée. Chez eux.
Ils ont perdu. Chez eux.
Ce qui les rend hystérique n'est pas
l'influence que la Russie veut exercer
aux Etats Unis, c'est qu'ils ne soient
plus en mesure de la contrer. Ce qui
signifie que le Système politique
américain est suffisamment affaibli pour
être perméable aux influences
extérieures, même hypothétiques.
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