Russie politics
Russie : peut-être expliquer aux
journalistes
la différence entre la liberté
d'expression
et l'espionnage pour l'OTAN
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 9 juillet 2020
La communauté journalistique russe
semble avoir été bien prise en main - de
l'extérieur. Deux affaires récentes,
l'une concernant des passeports cachés
d'un directeur de médias d'opposition et
l'autre une collaboration avec des
services secrets de pays de l'OTAN. Le
plus surprenant dans ces histoires est
le soutien de la corporation, qui semble
incapable de faire la différence entre
la liberté d'expression, l'étique
professionnel, l'activisme politique et
l'espionnage. En effet, peu importe
l'espionnage aujourd'hui comme hier le
trafic de drogue avec Golounov peu
importe la manipulation de l'opinion
publique et l'implication dans les
mouvements contestataires, le
"journaliste" en Russie serait au-dessus
des lois, en vigueur uniquement pour le
commun des mortels, catégorie qu'il
regarde de haut. En cela, parfaitement
défendu par les Etats-Unis, qui voient,
Ô surprise, une atteinte à la liberté de
la presse dans l'arrestation d'un
individu travaillant désormais à
Roscosmos et ayant transmis des
informations militaires à l'étranger.
Soit, les Etats-Unis sont dans leur
rôle, mais que se passe-t-il avec les
milieux journalistiques russes,
confondant indépendance et opposition,
opposition au pouvoir et opposition au
pays. Depuis l'affaire
Golounov, dont nous avons beaucoup
parlé ici (voir par exemple la pression
exercée par la profession sur les
politiques pour qu'ils fassent pression
sur la justice
dans notre texte ici), les
journalistes sont devenus un pôle de
pouvoir spécifique, revendiquant et
bénéficiant d'une immunité judiciaire
totale - qui n'a strictement rien à voir
avec leur activité professionnelle. Et
puisqu'ils ont obtenu la libération de
Golounov, que les policiers qui l'ont
interpellé ont été l'objet de pressions
pour avouer, puisqu'à part la
déclaration de Poutine rien n'a été
trouvé contre eux (voir
notre texte ici), il n'y a aucune
raison de s'arrêter. Il n'y a aucune
raison pour que les journalistes soient
soumis à la législation du commun des
mortels. Et maintenant que la voie est
tracée, des affaires autrement plus
sérieuses sont mises à jour.
Chaque personne
possédant une double nationalité doit le
déclarer. Ce n'est pas interdit, mais
les services migratoires doivent le
savoir. Par ailleurs, dans les milieux
médiatiques, ce peut avoir son
importance - surtout lorsqu'elle n'est
pas de naissance. Ainsi, Piotr
Verzilov, à la tête du média
d'opposition Mediazone, a "oublié" de
déclarer sa nationalité canadienne.
Nationalité obtenue il n'y a pas si
longtemps, vers décembre 2014, année
phare du redémarrage de la propagande
russophobe suite aux évènements en
Ukraine. Le
Comité d'enquête s'en est saisi,
surtout que l'information est tombée
lors de l'enquête menée autour des
manifestations organisées de l'été 2019
par Sobol et Navalny avec soutien
extérieur (sur le recrutement des
manifestants,
voir notre texte ici). Il est à ce
sujet significatif que Piotr Verzilov
ait le soutien du gratin de l'opposition
médiatique radicale, avec Les
Echos de Moscou et Dojd, tout en
bénéficiant de celui du "gratin
intellectuel" avec les Pussy Riot. Petit
à petit les ramifications de
l'instrumentalisation des médias en
Russie sont mises à jour.
Plus inquiétante et
autrement sérieuse est l'arrestation
par le FSB d'Ivan Safronov pour
espionnage. Il a terminé ses études
de journalisme à l'Ecole supérieure
d'économie (université à la pointe du
néolibéralisme), a ensuite été
journaliste à Kommersant et Vedemosti
(de grands journaux "libéraux",
largement pro-occidentaux), puis est
devenu conseiller du directeur général
de la corporation publique Roscosmos.
Selon les déclarations officielles du
FSB, Safronov a été interpellé
pour avoir, sur demande de services
secrets d'un Etat de l'OTAN, transmis à
cet Etat étranger des informations
secrètes concernant la coopération
technique militaire, la défense et la
sécurité de la Fédération de Russie.
L'avocat de Safronov a précisé qu'il
s'agissait des services secrets tchèques
et concrètement les informations
concernaient les ventes d'armes russes
au Moyen-Orient et en Afrique, mais la
République tchèque n'a pas donné de
commentaires.
Et toute la
profession journalistique s'emballe pour
défendre Safronov. Sur le leimotiv du
"ce n'est pas possible, je le connais,
il ne peut pas", comme le fait la
rédaction de
Kommersant. Parce qu'il est
évident, qu'un espion, ça se reconnaît
facilement dans la rue : il porte des
lunettes noires et un chapeau mou.
Des actions de pression, des piquets,
sont organisés par ses collègues, pour
l'instant elles n'intéressent que les
activistes, pas la population. Comme
pour Golounov d'ailleurs. L'on voit
revenir les fameux tee-shirts, cette
fois pour libérer Safronov, à une
rapidité incroyable. Il est vrai que les
mécanismes sont rodés.
Et sans surprise,
l'ambassade
américaine en Russie qui voit dans
ces affaires une atteinte à la liberté
de la presse en Russie. Comme l'exprime
Rebecca
Ross :
“#Russia through
the eyes of the media in 2020” is a more
current topic. Watching arrest after
arrest of Russian journalists – it’s
starting to look like a concerted
campaign against #MediaFreedom. "
Entre-t-il dans
le journalistisme de travailler pour des
services secrets étrangers ? Quel est le
rapport avec la liberté de la presse ?
L'attitude des
milieux professionnels en Russie laisse
songeur ... Je serais curieuse de
connaître leur vision de l'éthique
journalistique. Je me souviens d'avoir
croisé une journaliste de l'un de ces
journaux et se présentant à moi (et
pensant faire bonne impression puisque
je suis française) avoir dit : "nous
sommes un journal d'opposition, nous
sommes indépendants". Etrange
conception de l'indépendance. J'en
arrive même à me demander, avec ces
affaires, si cette opposition est
tournée contre le pouvoir politique - ou
contre le pays ...
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