Russie politics -
Billet d'humeur covidée
Les personnes âgées,
premières cibles du nettoyage social
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 8 octobre 2020
La manière dont nos sociétés, dites
civilisées, traitent les personnes
âgées, dans l'indifférence générale de
populations recroquevillées sur
elles-mêmes, maintenant en attente du
jugement final covidé et avant trop
occupées de leur nombril, a dépassé
toutes les limites de l'acceptable. En
Russie, le lien familial
intergénérationnel et la tradition de
prise en charge par les familles, qui ne
refourguent pas les leur dans des
maisons de retraites au premier signe de
faiblesse, permet d'éviter le pire. Même
si à Moscou, les plus de 65 ans sont la
cible privilégiée de mesures qui ne
peuvent revenir au confinement, mais qui
doivent conduire de facto à un
isolement social.
Cette société ne
semble plus accepter les personnes
âgées, rejeter une image qui fait peur.
Nous sommes déjà, en général, trop
occupés pour "perdre du temps" à les
écouter, à leur parler, à en prendre
soin. Trop occupés pour les considérer
comme des êtres humains. Et dire que
lorsque nous n'avions aucune défense,
lorsque nous sommes arrivés comme un
petit paquet de viande hurlant, ce sont
ces mêmes personnes, qui nous ont choyé,
protégé et guidé, qui nous ont fait
grandir, qui nous ont permis d'exister.
Si l'humanité d'une société se mesure
à la manière dont elle prend soin de ses
anciens, nous sommes dans une véritable
ère de barbarie.
La Russie n'en est
pas à grillager les fenêtres pour que
les proches, qui passent à proximité,
puissent faire un signe de la main, la
larme à l'oeil, un instant - pas trop
long, avant de reprendre leurs affaires.
Mais les vieux dérangent. Car
ils sont vieux. Ils n'entrent
manifestement pas dans le fantasme des
sociétés jeunes, dynamiques, efficaces.
Inhumaines. En plus, ils ont du recul,
du vécu et peuvent sourire en coin de
tant de prétention à sauver le monde
d'un énième virus, eux qui ont sauvé le
pays des invasions.
Après les délires
de ce printemps à Moscou, où les
familles ne devaient pas aller voir
leurs proches, qui devaient s'adresser à
des "volontaires" (eux,
idéologiquement parfaitement sains) en
cas de besoin pour les courses, apporter
les traitements ou autres, après la mise
à demeure sans droit de sortie, qui a
eu le mérite d'achever les plus faibles,
une poussée d'humanisme semble s'être
emparée des dirigeants de Moscou : nos
personnes âgées ont le droit de se
promener (Ô merci!), les proches
peuvent leur rendre visite (Trop
aimable, votre Seigneurie!), mais
eux non (Certes, il y a des limites à
la grandeur d'âme ...). Donc, comme
à part faire le tour du banc en bas de
l'immeuble, ils n'ont besoin de rien, et
manifestement pas de se rendre chez le
médecin (puisqu'ils sont à domicile, ils
n'attraperont pas de coronavirus, ils
seront donc en bonne santé puisqu'aucune
autre maladie grave n'existe), bref ils
n'ont pas besoin de leur carte de métro.
Qui est bloquée du 9 au 28 octobre par
la Mairie de
Moscou. Pour leur bien.
Précisons que,
selon la législation russe, les
personnes âgées ont droit à un accès
gratuit aux moyens de transport. Donc,
pour leur bien, Sobianine a décidé de
leur retirer ce droit pour trois
semaines. Pour leur bien.
Pour autant, ceux
qui ont les moyens de se payer les
transports, les taxis, un chauffeur ou
une voiture, peuvent se déplacer sans
problème. Et ceux qui sont considérés
comme important peuvent même aller au
travail. Ils se sacrifient pour le
bien du pays ............
Bref, les
personnes de plus de 65 ans qui occupent
une certaine position et qui ont les
moyens ne voient pas leur vie modifiée.
Les autres ? Les autres, ce sont les
autres. Ils n'ont ni les moyens, ni la
position, quel intérêt d'y prêter
attention. La pension de retraite
moyenne à Moscou est de 19 500 roubles
depuis le 1er janvier 2020, soit même
pas 215 euros. Les retraités, qui ont
travaillé toute leur vie et qui souvent
continuent encore, ont bien les moyens
de se débrouiller ...
Mais c'est pour
leur bien. C'est parce que nous vivons
dans une société hautement civilisée,
avec un humanisme effréné, que nous
prenons ces mesures. Que nous acceptons
que ces mesures soient prises. Sans
particulièrement réagir. Si le Covid
n'existait pas, décidément, il faudrait
vraiment l'inventer ...
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le dossier
Russie
Les dernières mises à jour
|