Russie politics
Fort Ross Dialogue : une députée russe
interrogée
par le FBI à l'aéroport de New York
Karine Bechet-Golovko
Mardi 8 octobre 2019
Inga Iumacheva, députée russe arrivant
aux Etats-Unis pour participer au forum
annuel de San Francisco Fort
Ross Dialogue, a été interpellée et
interrogée à l'aéroport de New York par
des agents du FBI, avant de pouvoir
poursuivre son périple. La
multiplication des incidents entre les
deux pays ces derniers temps marque la
volonté américaine de remettre en cause
l'équilibre des forces acquis sous
l'URSS et les Etats-Unis testent ainsi
leur marge de manoeuvre. Pour l'instant,
la limite n'est pas encore claire.
Depuis 2012, chaque
année le
Forum Fort Ross Dialogue se déroule
non loin de la forteresse qui
appartenait à l'Empire russe non de là
en Californie de 1812 à 1841. Il porte
sur des questions stratégiques entre la
Russie et les Etats-Unis et réunit des
acteurs, passés et actifs, de la
politique internationale, comme
ambassadeurs, ancien secrétaire de la
défense, etc., ainsi que des politiques
et des représentants de certains
secteurs, notamment bancaires. Dans ce
cadre, la députée Inga Iumacheva devait
participer ce 6 octobre aux discussions
portant cette année principalement sur
les questions de stabilité et de
sécurité internationale, au regard du
désengagement des Etats-Unis des
différents traités en la matière.
Or, à son arrivée à
l'aéroport de New York, alors qu'elle
devait continuer son voyage pour San
Francisco, elle est interpellée par des
agents du FBI, accompagnée dans une
salle pour interrogatoire et "invitée" à
répondre à des questions, qu'elle a
qualifiées d'inconvenantes et déplacées.
Après une heure, ces agents du
FBI ont proposé à la députée de
continuer la discussion dans un café ...
Elle a pu téléphoner à l'ambassade de
Russie pour signaler les faits et
continuer son périple.
Comme le souligne
le
ministère des Affaires étrangères
russe, les Etats-Unis utilisent les
visas et les voyages dans leur pays
comme un instrument de politique
internationale, bloquant ou retardant
l'attribution des visas, compliquant les
séjours des délégations russes. Jusqu'à
présent, ce forum avait pu rester en
dehors du jeu politique, ce n'est plus
le cas.
Des notes de
protestation ont été envoyées, des
déclarations faites, à juste titre. A
juste titre également, un député de la
Douma,
Nikonov, a écrit sur son Facebook,
que désormais aucun contact sur la ligne
de la diplomatie parlementaire n'était
envisageable entre les deux pays. Sur
Facebook. Il est regrettable que telle
ne soit pas la position officielle de la
Douma, exprimée non pas sur Facebook,
mais par une résolution.
Car, au-delà des
réactions émotionnelles, des
déclarations à la presse, des
publications dans les réseaux sociaux,
seules des notes de protestation sont
envoyées et aucun signal fort ne les
accompagne. Parce que la Russie continue
à respecter les règles internationales,
systématiquement violées par les
Etats-Unis en fonction de leurs
intérêts. Mais lorsque des règles
peuvent être appliquées de manière
aléatoire et ne revêtent de caractère
obligatoire qu'à l'égard d'une partie
seulement de leurs destinataires, elles
ont perdu leur force juridique. Et
continuer à jouer selon des règles du
jeu qui ne sont pas respectées par les
autres joueurs est la meilleure
stratégie pour se faire plumer.
Les Etats-Unis ont
bien noté le manque d'empressement d'une
réelle réponse. Ils testent les limites
de leur nouvel espace. Le droit
international, et les pratiques qu'il
encadre, ne sont que le résultat d'un
rapport de forces établi - pour un
temps. Ce temps a passé. L'expérience a
montré aux Américains que la Russie
prenait le temps de la réflexion avant
de réagir (ce qui laisse le temps aux
Etats-Unis de s'adapter), prenait des
mesures ne compromettant en aucun cas
les relations entre les deux pays (ce
qui donne la possibilité aux Etats-Unis
de faire de faux compromis situatifs si
nécessaire). Et pour l'instant, la
Russie ne semble pas prête à agir
autrement. Ce qui ouvre de nouvelles
possibilités - pour les Etats-Unis : ils
voient jusqu'où ils peuvent aller sans
provoquer de réelle réaction. La limite
n'est pas évidente, la Russie évite
toujours le conflit, ce qui n'empêche
pas ce conflit d'exister.
PS: Dans un
autre domaine, mais qui illustre
parfaitement la situation, il y a de
fortes chances que la Russie ne puisse
participer aux JO du Japon. La dernière
fois, elle avait déclaré que le plus
important était que ses sportifs
puissent y aller, le drapeau toujours
"dans" le coeur. Le message est passé.
Ils pourront garder le drapeau - dans le
coeur, bien caché. Mais le pays, lui,
continuera à être effacé. Les sportifs
ne semblent pas en être particulièrement
choqués, il paraît que c'est leurs
efforts personnels qui sont récompensés
aux JO. Peut-être pourraient-ils alors
rembourser tous les frais engagés pour
les former? Payer eux-même leurs
entraîneurs, contruire les structures,
etc. ? Non ? Evidemment, personne ne
soulèvera la question.
Aucun signe de
faiblesse nationale ne donne de raison à
un changement positif de ligne politique
internationale. Ce sont des combats
qu'il faut aussi gagner et les combats
ne se mènent pas uniquement avec des
tanks ou des hommes verts. Ces aspects
de stratégie internationale semblent
encore, malheureusement, sous-estimés en
politologie russe.
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