Hier 7 juin s'est
tenu la nouvelle édition de la Ligne
directe du Président russe avec les
habitants du pays. Plus acte de
communication, qu'acte de pouvoir, c'est
un exercice de transparence destiné à
montrer la manière dont fonctionne la
gouvernance, tout en permettant
d'expliciter les nouvelles lignes
politiques et de résoudre des cas
particuliers. Retour sur l'évènement.
A l'heure de
l'ouverture et de la transparence,
chacun remplie les exigences du moment
comme il peut. En Allemagne, la Cour
constitutionnelle est en verre, tout
comme le bâtiment central de la police
en Géorgie à Tbilissi. La transparence
doit être physique, visible. La Russie a
décidé d'une autre mise en scène, la
Ligne directe.
Les deux
écueils de cet exercice, qui lui ont été
largement reproché, sont le renforcement
de la personnalisation d'un pouvoir déjà
largement personnalisé et la
transformation de l'échange en étalage
sur la place publique d'un cahier de
doléances national. Afin de
remédier à ces dérives, la formule a,
cette année, été corrigée.
A côté du
Président, le Gouvernement au complet et
les Gouverneurs étaient prêts à répondre
aux questions des citoyens et ils furent
mis à contribution. L'on notera ici
une rupture dans l'attitude des
gouverneurs "de l'ancienne génération"
et la nouvelle génération, plus
manageriale. L'on a vu ainsi le
Président rappeler à l'un d'entre eux le
nom de la personne qui ne pouvait
obtenir des terres en Extrême-Orient,
alors qu'elle remplissait les conditions
et élevaient seule trois enfants.
Celui-ci disait "elle". De même un autre
gouverneur déniant les problèmes du
délabrement et de la fermeture de
l'hôpital pour un groupe d'environ 30
000 habitants, fut sommé de mettre les
installations en l'état. D'autres en
revanche, s'adressaient directement aux
personnes concernées et tentaient de
trouver une solution. Dans tous les cas,
il est dommage de devoir attendre un
signal présidentiel pour les voir agir,
mais au moins qu'ils le fassent sans
morgue est déjà une avancée. Peut-être
un jour y aura-t-il des dirigeants
régionaux qui considéreront que leur
travail consiste à répondre aux besoins
de la population et pas uniquement à
plaire au Président ou à attendre ses
injonctions. Ce jour aura une chance
d'exister lorsqu'ils tireront leur
réelle légitimité du "bas",
c'est-à-dire de l'élection, et non du
"haut", c'est-à-dire d'une nomination
finalement confirmée par un vote.
L'on a vu le
Président donner la parole aux ministres
pour les questions de politique
intérieure relevant de leur compétence,
alors que lui-même est intervenu dans
les domaines ressortant de sa compétence
propre de Chef de l'Etat, dans la
politique étrangère et la défense, se
conduisant en arbitre dans les autres
domaines. Il est important de ne pas
confondre l'image du pouvoir avec son
exercice. Les mécanismes d'information
existent en dehors de cette ligne
directe, il existe quand même des
députés, chacun peut s'adresser
directement à l'administration
présidentielle par l'intermédiaire du
site, etc. C'est ici à la fois une sorte
de "reality show" et un moyen de
correction ponctuelle. Si l'exercice est
envisagé comme un moyen de gestion
systémique, certains ayant émis l'idée
de lui donner un caractère permanent, ce
sera alors un échec: la gouvernance
n'est pas un show.
Afin de parer au
deuxième danger de la Ligne directe, à
savoir la transformer en cahier de
doléances géant, cette année, les
questions furent triées et
certaines, plus représentatives de
problèmes systémiques, ont été mises en
avant. Nous n'étions pas face au
grand déballage intime, qui avait eu
pour effet de diffuser une très mauvaise
image, mais le Président a pu mettre en
avant certaines positions du nouveau
Gouvernement. Par exemple, sur le fait
que les salaires doivent continuer à
augmenter et pas seulement les trois
mois avant l'élection (comme ce fut le
cas dans le secteur public), les grands
travaux, comme la construction du pont
de Crimée, sont des évènements qui
nécessitent une grande préparation et la
prise en compte de différents facteurs
pour estimer leur possibilité (comme
avec le pont de l'île Sakhaline qui,
pour des raisons techniques est
difficilement réalisable), il n'y aura
pas d'amnistie en raison des élections
présidentielles - ce n'est pas en Russie
une tradition, etc.
Deux moments sont à
souligner. Tout d'abord, le Président
n'a pas répondu à deux questions,
qu'il a évacué "à la décision du
Gouvernement" qui devrait bientôt
tomber. Il s'agit des deux domaines
particulièrement sensibles que sont
l'augmentation de l'âge de la retraite
et de la hausse des impôts. Il fut
en revanche précisé que ces réformes
doivent avoir pour but de lutter contre
la pauvreté et la précarité, non pas
l'aggraver.
Par ailleurs,
trois domaines qui inquiètent les
habitants montrent l'échec de la
politique globaliste et néolibérale de
l'ancien Gouvernement, dont les
vices Premier ministres ont d'ailleurs
été remplacés.
Il s'agit tout
d'abord de la hausse des prix du
pétrole à la pompe qui finalement
résulte de la politique des taxes, mises
en place à l'époque par l'ancien vice
Premier ministre Dvarkovitch, qui
favorise l'exportation de brut et
pénalise la transformation du produit en
vue de sa vente à la pompe dans le pays.
Pour compenser les pertes, les
entreprises pétrolières ont augmenté les
prix. Le nouveau vice Premier ministre
en charge du dossier, Kozak, a expliqué
qu'une négociation a été lancée avec ces
entreprises pour qu'elles bloquent les
prix, le Service contre les ententes a
ouvert une enquête et un projet de loi a
été déposé autorisant directement le
Gouvernement à augmenter
significativement les taxes à l'export
pour réguler les prix en cas d'abus sur
l'augmentation des prix à l'intérieur.
C'est une menace qui devrait être
efficace. Il est vrai que le parti-pris
idéologique de l'ancien vice Premier
ministre était radical.
Il s'agit ensuite
de la réforme de la médecine qui
a conduit à une désertification des
services publics dans les zones peu
peuplées, particulièrement répandues en
Russie. Comme le Président l'avait déjà
annoncé dans son discours au Parlement,
des mesures sont en cours pour revenir
sur ces erreurs. Mais l'on se trouve
confronté à un écueil idéologique: pour
couvrir le territoire, permettre le
dépistage et la prise en charge des
cancers comme cela est annoncé, il faut
des postes, il faut des spécialistes, il
faut des infrastructures. Or, les
"doc-mobiles" et la télémédecine, mises
en avant avec le culte du tout
numérique, ne permettront jamais une
prise en charge de qualité des patients,
ce ne sont que des moyens
supplémentaires. Il faut donc choisir
entre l'idéologie propagée en Russie par
Koudrine et ses amis visant à la
réduction mécanique de 10% de tous les
services d'Etat et la prise en charge du
territoire. Sans écoles (ce qui a été
également soulevé) et sans hôpitaux, les
campagnes se désertifient. Ce qui
provoque un risque majeur de sécurité
nationale.
Enfin, l'on revient
chaque année sur le cas des personnes
qui ont investi dans les programmes de
constructions immobilières neuves
toutes leurs économies et se retrouvent
sans rien. Un Fond a été mis en place,
des mécanismes législatifs commencent à
encadrer plus sérieusement le domaine.
Mais ici aussi, le problème a été en
quelque sorte créé artificiellement pour
des raisons idéologiques: il faut
réduire le pouvoir de contrôle de l'Etat
sur le business, et donc les pouvoir de
la Procuratura, qui a priori abuse de
ses pouvoirs qui ne servent à rien.
Donc, le contrôle préventif a été très
largement affaibli et maintenant il faut
s'occuper des conséquences. Finalement,
le contrôle servait bien à quelque
chose. Mais qui osera aujourd'hui le
dire?
Sur les
questions internationales, le
Président en a profité pour préciser la
position de la Russie. En ce qui
concerne la Syrie, la Russie sera
présente tant que cela sera nécessaire.
Car elle permet ainsi d'éviter que ces
terroristes ne viennent sur le
territoire national, tout en
garantissant une cetaine stabilité
régionale.
Ce qui a été
particulièrement discuté, fut la
question ukrainienne. L'écrivain
Prilépine, conseiller du dirigeant de
DNR, a demandé ce que le Président
pensait de ces rumeurs selon lesquelles
l'Ukraine allait utiliser le Mondial
pour lancer une grande offensive dans le
Donbass:
Si l'Ukraine
lance une offensive, cela aura des
conséquences désastreuses pour l'Etat
ukrainien dans son ensemble. Le
message est passé: le Mondial ne servira
pas d'écran de fumée.
L'Ukraine est
également revenue avec la question des
difficultés administratives
auxquelles sont confrontées les
habitants du Donbass et de
l'Ukraine en général venus se réfugier
en Russie et les plus grandes
difficultés qu'ils rencontrent pour
obtenir un titre de séjour ou la
nationalité. Le Président a souligné que
ce sont des difficultés administratives
et non politiques, mais qui résultent,
pourrait-on ajouter, des
dysfonctionnements évidements et
systémiques du Service des migrations.
Si la Russie pouvait régler ce problème,
beaucoup d'étrangers vivant dans le pays
lui seraient vivement reconnaissants, et
pas uniquement les ressortissants
ukrainiens. Comme l'a souligné V.
Poutine, l'obtention de la nationalité
peut également être un instrument de
stimulation de l'économie, il serait en
effet bienvenu qu'il soit utilisé.
La question de
l'échange entre Sentsov
interpellé en Russie pour terrorisme,
avec un groupe d'intervention et le
matériel nécessaire, et Vychinsky,
arrêté en Ukraine en raison de ses
articles de presse a été soulevée. La
position présidentielle n'a pas changé:
on n'échange pas un terroriste contre un
prisonnier politique et la Russie espère
que la communauté internationale, les
ONG et les organismes internationaux
feront entendre raison à l'Ukraine et
obtiendront la libération du
journaliste.
Pour terminer ces
quelques propos sur les 4 heures et demi
d'antennes et les 2 millions et demi de
questions posées, je voudrais ouvrir une
parenthèse sur la présence inédite de "blogueurs",
qui ont été gentillement regroupés à
la City pour couvrir l'évènement et
poser leurs questions au Président.
Le niveau d'inconsistance de ces
individus qui regroupent un auditoire de
plusieurs millions de personnes fait
peur. Et leur auditoire aussi. Ils
sont totalement hors-sol, reprennent
absolument tous les slogans de notre
société globalisée, sont absolument
interchangeables, absolument
manipulables: bitcoin, voiture
écologique électrique,
professionnalisation des blogueurs,
liberté absolue d'internet. Sur la professionnalisation, V.
Poutine a répondu que la jeune personne
concernée vit manifestement des
publicités et a l'air d'en vivre plutôt
bien, ce qui est l'essentiel. Il aurait
pu demander aussi si elle paie ses
impôts? Ce qui lui permettrait d'avoir
la pension de retraite qu'elle demande
... Quant à la voiture électrique,
Poutine a rappelé que la production en
masse d'électricité se fait
essentiellement à partir de charbon, ce
qui finalement n'est pas très
écologique, mais qu'ils travaillent sur
le projet d'une voiture écologique au
gaz. Enfin, la question de la liberté
d'internet et le "scandale" de la
fermeture de Telegram qui
refuse de collaborer avec les autorités
russes, le Président a rappelé que sa
priorité est la sécurité publique. Or,
lors des attentats de Saint-Pétersbourg,
la police n'a pu tracer les terroristes,
car ils utilisaient les messageries
virtuelles qui cryptaient les messages.
En entendant ces grands infantiles, l'on
avait l'impression d'un choc de deux
mondes: le monde virtuel, léger,
intrigant, et qui s'effondre
d'incompétence sous le poids des slogans
face à la réalité du monde.
A la fin de la
Ligne directe, le Président a rappelé
justement une vérité première ... et
salutaire:
C'est la force
intérieure d'un Etat qui garantit le
mieux sa souveraineté.
Abonnement newsletter:
Quotidienne -
Hebdomadaire
Les avis reproduits dans les textes
contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs.
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance
du webmaster merci de le lui signaler. webmaster@palestine-solidarite.org