De Fillon à Trump,
quand la presse est entrée en guerre
Karine Bechet-Golovko
Mardi 7 février 2017
La tension des rapports entre les
journalistes et les politiques est
concomitantes à l'existence de ces deux
mondes, qui ont besoin d'un de l'autre,
qui entretiennent des rapports ambigüs.
Or, les journalistes doivent informer
les lecteurs, ils leur doivent non
seulement une présentation des faits
complètes, mais des analyses sérieuses.
Ce qui se passe dans la presse mondiale
aujourd'hui laisse planer un doute sur
la capacité du monde journalistique non
seulement à prendre suffisamment de
distance des politiques pour présenter
les faits, mais même d'apporter un
minimum d'analyse. Les journalistes ont
pris parti, sont devenus des activistes.
Se sont trahis, et nous au passage. Or,
la blogosphère tant appelée ne pourra
jamais compenser cette perte.
Lors de la présentation des difficultés
de l'éthique journalistique, entre
objectivité et militantisme, K.
Lévesque fait plusieurs remarques
très intéressantes:
Les journalistes font face à un dilemme
réel. D’un côté, il y a la nécessité de
respecter les heures de tombée et les
règles de concurrence qui exacerbent la
course à la primeur. De l’autre côté, on
retrouve la responsabilité
journalistique de rendre compte d’une
information qui soit juste et complète,
ce qui suppose du temps. (...)
Le flou du discours politique concourt à
accentuer cette idée que la vérité
d’aujourd’hui peut être différente de
celle présentée hier. Il apparaît par
exemple que le public est bien servi par
les journalistes qui fouillent, osent et
révèlent des intentions gouvernementales
qui ne seront peut-être jamais
réalisées. La population ne veut certes
pas se contenter d’être mise devant un
fait accompli. La réflexion politique,
les tiraillements qui précèdent une
décision, les différents scénarios avec
lesquels le gouvernement jongle ont leur
importance pour bien informer. (...)
Il est vrai qu’une campagne électorale
est un terrain propice à la
confrontation entre politiciens et
journalistes. Mais les uns ne sont pas
les victimes des autres. Les politiciens
sont en mode séduction et les
journalistes ont fort à faire pour
déjouer les stratégies de communication
afin d’expliquer véritablement les idées
et le programme du parti politique en
cause.
Il semblerait toutefois que, de nos
jours, les journalistes se soient bien
écartés de ces contraintes. La
couverture médiatique totalement engagée
d'Alep le montre avec cet article du
Point
Alep, nous a-t-on menti? S'il y
a eu mensonge, il n'a concerné que les
journalistes occidentaux. Etrange, non?
A moins qu'ils n'aient simplement
renoncé à faire leur travail, c'est
tellement plus confortable ainsi. L'on
ne peut pas reprocher sincèrement à un
journaliste d'être subjectif, c'est un
homme. On lui reproche de refuser d'être
un homme et d'assumer ses obligations.
Et
cela continue avec tout ce et ceux qui
n'entrent pas dans le moule attendu de
la dogmatique contemporaine. Ce qui fait
que, finalement, les victimes
apparaissent et elles ne sont pas
uniquement dans le camps des
journalistes. Comment qualifier ce qui
se passe avec la campagne électorale de
F. Fillon? Que l'on soit pour ou contre
ce candidat, la manière dont
l'information est montée est une honte.
Sans même parler de cette vidéo sur
Canal + du 4 février: est-ce
réellement du journalisme?
F.
Fillon est un candidat qui dérange une
certaine vision du monde qui veut
s'imposer, nous sommes très loin des
rapports normaux entre politiques et
journalistes. Et ce même journalisme est
très protecteur avec d'autres candidats,
comme E. Macron, à qui l'on pardonne
tout, de
l'utilisation de fonds publics à la
négation de la culture française. Il
n'y a aucun matraquage médiatique, juste
une indication, très correcte, au détour
d'un page, juste ce qu'il faut pour
sauver les apparences.
Mais
la France n'a pas le monopole de
l'activisme journalistique, elle
suivrait plutôt la tendance. Même le
New York Times se discrédite
totalement en une présentation de D.
Trump posé devant sa télé le soir
dans son peignoir, incapable de
travailler avec ses collaborateurs après
18.30 et accroc à Twitter, bref un idiot
total. Le niveau de l'article est
pitoyable et ce n'est pas de la presse
de boulevard. L'on pourrait aussi se
demander ce que devrait faire Trump le
soir, puisque sa femme et son fils sont
restés à New York le temps de la fin de
l'année scolaire ... se faire faire une
pipe par sa secrétaire comme tonton
Clinton? Ce serait mieux certainement.
Lorsque le porte-parole de la Maison
Blanche,
S. Spicer, conseille au New York
Times de s'excuser pour cet article qui
contient des éléments de la vie privée
du Président souvent mensongers, le
journal refuse.
White
House press secretary Sean Spicer
demanded an apology from The New York
Times for publishing an article
containing eye-opening details about
President Trump’s earliest days in
office, even disputing whether the
president owns a bathrobe.
“That
report was so riddled with inaccuracies
and lies that they owe the president an
apology,” Spicer told reporters aboard
Air Force One Monday. “There were just
literally blatant factual errors and
it’s unacceptable to see that kind of
reporting or so-called reporting.”
Après
cela, la
presse a publié une veille photo de
peignoir et le journal contrattaque sur
la politique de D. Trump (quel est le
rapport avec le peignoir? ils affirment
ne pas avoir la preuve que Trump le
porte, même s'ils savent qu'il en a un
... soit, vraiment important, c'est de
l'info ça). Et la forme est également
très
provocatrice.
La presse est entrée en combat. L'on en
avait l'habitude avec la Russie, c'est
nouveau avec les Etats Unis. Car la
question n'est pas le pays, mais la
politique que le Président a décidé d'y
mener. C'est pourquoi les attaques sont
aussi personnalisées et violentes: il
faut discréditer l'individu dans
l'opinion publique pour affaiblir la
politique qu'il mène.
Ce
fut, par exemple, le cas du journaliste
de Fox News
Bill O'Reilly qui, lors de son
interview de D. Trump, a qualifié de
Président russe V. Poutine d'assassin:
B.
O'Reilly: “He’s a killer though,”
O’Reilly said. “Putin’s a killer.”
D.
Trump: “There are a lot of killers,”
Trump said in response. “We’ve got a lot
of killers. What, you think our
country’s so innocent?”
Evidemment, le porte-parole du Kremlin a
demandé au journaliste de s'excuser pour
ces paroles et la réponse est tombée,
dépassant de loin toutes les limites de
la goujaterie:
"Apparently
the Putin administration in Moscow
demanding that I, your humble
correspondent, apologize for saying
old Vlad is a killer," he said. "So
I’m working on that apology but it may take
a little time. Might want to check in
with me around 2023."
Toute
cette évolution discrédite totalement la
presse, avant considérée comme
respectable. Car cette presse a pris le
parti d'un clan idéologique. Il ne
s'agit pas de défendre la droite ou la
gauche, les républicains ou les
démocrates. le combat est ailleurs:
globalistes contre souverainistes. La
presse est quasi unanimement du côté des
globalistes et ne laisse pas passer un
son de cloche différent.
Nous sommes bien loin des contraintes de
temps de travail pour les journalistes
et des stratégies de communication qui
arrangent et les journalistes et les
politiques. Il n'y a aucune tentative
d'expliquer et d'analyser les programmes
politiques, il y a une guerre ouverte
entre deux visions du monde qui prend la
population en otage, qui transforme les
journalistes en soldats. Mais est-ce
bien leur rôle? En abandonnant
l'information à la blogoshère, ils
créent un vide. Car rien ne peut
remplacer la presse, surtout pas les
blogs. La presse fonctionnait, car elle
avait une sorte de "contrat" avec les
lecteurs, selon lequel les journalistes
vérifient leurs sources, présentent
différents points de vue, sont des
professionnels. Les bloggers ne sont pas
des professionnels, ils ne font que
donner leur point de vue, sans aucune
garantie de qualité ni de probité. Que
l'on puisse les confondre avec des
journalistes montre la dégradation de la
profession. Mais surtout cela créé un
vide et une incertitude qui permet
toutes les manipulations. C'est en soi
une négation des valeurs de nos
sociétés, de nos acquis civilisationnels,
une négation qui nous met au bord du
chaos.
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