Russie politics
Etats Unis: RT-agent étranger
et l'illusion de la liberté de presse
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 6 octobre 2017
La chaîne russe RT America a jusqu'au 17
octobre pour s'enregistrer comme agent
étranger, sous peine d'arrestations de
ses journalistes. Le fait que la
législation sur les agents étrangers ne
concerne pas les médias ne dérange pas
particulièrement les autorités
américaines. Face à cette atteinte sans
précédent à la liberté de la presse aux
Etats Unis, la Russie promet de répondre
de manière équivalente.
Les autorités américaines, ne
considérant manifestement pas RT comme
un média mais comme un agent d'influence
russe, obligent la chaîne à
s'enregistrer comme agent étranger d'ici
le 17 octobre. A ce jour RT refuse. Par
principe, car ils estiment que leur
travaille relève uniquement du
journalisme, ce que confirme l'absence
de telles poursuites dans les autres
pays où RT fonctionne.
Ceci obligerait
RT a communiquer toutes les
informations personnelles de ses
journalistes, de prévenir à qui ils
prennent les interview, dans quelles
conditions et quel est le contenu et
évidemment de mettre une grande pancarte
Agent étranger sur les écrans. Ces
pressions, avec les menaces
d'arrestation des journalistes en cas de
violation de la législation, ont conduit
à des démissions massives dans les rangs
de RT. A ce rythme-là, les Etats Unis
vont parvenir à fermer RT, ce qui est
manifestement le but recherché, comme le
déclare M. Simonian, la rédactrice
en chef de RT:
«Que font-ils
à notre égard? Ils nous chassent
pratiquement du pays, ils nous mettent
dans des conditions dans lesquelles nous
ne pouvons pas travailler. Voilà, ce que
c'est, la liberté d'expression tant
vanté. Pourquoi ils font cela? Parce que
d'après eux nous montrons un autre point
de vue, et cela aurait influencé leurs
élections»
Cette exigence
intervient alors que le Congrès discute
de l'élargissement des compétences du
ministère de la justice dans le cadre de
la loi FARA sur les agents étrangers,
permettant de déclarer unilatéralement
qui est journaliste et qui influence la
politique interne. Toutes ces
discussions se produisant sur fond
d'hystérie collective face au
développement du soft power russe et à
la perte de ce monopole. Sans oublier le
crash idéologique qui s'est emparé des
Etats Unis et de la rupture frontale
entre des "élites" globalisées et la
population qui a d'autres aspirations,
les élites ayant pour elles les médias
et l'appareil d'Etat.
Ces accusations
"d'influence" sont de toute manière
quelle que peu surprenantes, sachant que
n'importe quel travail journalistique
aura obligatoirement une influence sur
la politique interne, à partir du moment
où les journalistes parlent d'autre
chose que de recettes de cuisine,
puisqu'ils contribuent nécessairement à
la formation de l'opinion publique.
Toujours est-il que la capacité
d'influence dépend directement de
l'ampleur de l'auditoire et combien de
personnes regardent RT aux Etats Unis
par rapport à ceux qui regardent CNN,
CBS etc. Quand Goliath a tellement peur
de David, c'est qu'il est très affaibli.
Dans ce contexte de
guerre médiatique, les Etats Unis ont
une politique jusqu'au-boutiste, il est
vrai que le Congrès qualifie
"l'influence russe" sur les élections
américaines de "crime du siècle. Non,
pas la terreur islamiste, les médias
russes sont manifestement beaucoup plus
dangeureux. Ils ont ainsi fait pression
sur Google et Youtube US pour que RT ne
fasse plus partie des partenaires
privilégiés, ce que RT a appris par la
presse. Depuis 2010, RT a ce statut avec
Google et fait partie des chaînes les
plus regardées sur Youtube. Les
partenaires européens de Google et
Youtube l'ont eux-aussi appris par la
presse.
De la même manière,
l'histoire des publicités politiques sur
Twitter. La rédactrice en chef de
RT, M. Simonian, a expliqué ce qui
s'était réellement passé. Effectivement
RT a passé des contrats de publicité
avec Twitter, pour un montant de 275 000
$. Or, Twitter les a contacté de sa
propre initiative pour leur proposer de
faire de la publicité, puisque la
campagne politique a lieu aux Etats
Unis. Les membres de Twitter ont préparé
des publicités, qui ont plu à RT et le
contrat a été signé. Ensuite, ils
dévoilent le montant du contrat, ce qui
reste un secret commercial, faisant de
cette action purement commerciale de
leur part, un acte de volonté préméditée
de RT d'influencer la politique
américaine.
La Russie, pour sa
part, menace de réagir de manière
similaire si les Etats Unis passent à
l'action contre RT et le Conseil de
Fédération propose d'introduire
également dans la législation russe
l'infraction d'ingérence étrangère dans
la politique intérieure. Tant la Douma,
que le Conseil de la Fédération que le
ministère des affaires étrangères se
prononcent pour une
réponse forte, car la situation est
extrême:
CNN, qui comme beaucoup d'autres
médias étrangers, viole la législation
russe sur les médias en présentant des
documents volontairement et
involontairement présentés de manière
non conforme aux exigences, s'est vu
rappelé à l'ordre par
l'Agence des médias. Il ne s'agit
pas de fermeture, mais de lui rappeler
que même si le siège sociale est
l'étranger, ils doivent respecter la
législation du pays dans lequel ils se
trouvent.
Beaucoup de médias
étrangers fonctionnent en Russie,
librement, avec un discours très
virulent contre le pays. BBC, CNN, etc.
Et leurs journalistes ne furent jamais
inquiétés. Dans la logique américaine,
toute critique de la politique interne,
toute décision de traiter une
information différemment de la presse
mainstream ou simplement de traiter
d'une information écartée par les médias
dominants du pays doit être considérée
comme une influence sur la politique
interne, sortant de l'activité normale
de journalisme pour devenir de la
propagande. Voyons comment la Russie
réagira si RT est reconnu agent
étranger.
En attendant, pour
ne prendre aucun risque, nous pouvons
conseiller aux journalistes qui ne
peuvent se résoudre à reproduire la
propagande actuelle, de s'occuper de
jardinage, de cuisine, de voyages etc.
Quoi que non, ça aussi peut devenir
dangereux. Comment parler jardinage sans
toucher la question des
semences de ferme et Monsato,
comment parler cuisine sans s'inquiéter
des OGM, sans parler de l'importance de
bien choisir les destinations de voyage
en fonction de leur compte de
compatibilité globalisation... Bref, il
devient très difficile de parler
d'autres choses que de ce qui est
autorisé. Il devient difficile de
parler.
La liberté de la
presse a toujours été un mythe, car il
s'agit d'un organe de pouvoir beaucoup
trop puissant pour qu'un Etat souverain
ne le laisse sans contrôle. Mais jusqu'à
présent, les sociétés dites
démocratiques avaient trouvé un certain
équilibre entre l'utilisation des médias
pour conditionner l'opinion publique et
la marge de manœuvre nécessaire à
l'oxygénation du discours. La situation
géopolitique se radicalise suite à la
radicalisation du libéralisme globalisé,
et la marge de manœuvre se réduit
dangereusement. D'une certaine manière,
c'est une très bonne chose, car les
masques tombent.
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