Russie politics
Affaire Skripal:
Les leçons à
tirer de la réunion de l'OIAC
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 5 avril 2018
La réunion de
l'OIAC hier n'a produit aucune surprise.
L'organisation a soutenu majoritairement
la Grande-Bretagne et évidemment refusé
à la Russie de participer à l'enquête.
La position défensive légaliste de la
Russie sur la scène internationale nie
une réalité fondamentale: les
organisations internationales sont un
lieu de combat. Elle ne pourra y trouver
ni la vérité, ni la reconnaissance. Il
est temps de tirer les leçons de
l'affaire Skripal et de cesser de se
battre contre le moulin à vent de
l'absurde pour aborder le véritable
combat. Une fois de plus,
la Russie a joué la carte légaliste et
une fois de plus elle a perdu. Dès le
départ, les Anglais ont refusé
d'impliquer la Russie dans la saisine
même de l'OIAC, reprenant quasiment
l'argument utilisé par l'Ukraine, celui
de l'Etat-agresseur. En restant
évidemment dans la rhétorique du
likely: en substance, rien
n'oblige dans la convention une victime
à mener l'enquête avec son agresseur
potentiel:
John Foggo, the
UK’s acting representative to the OPCW,
defended Britain’s refusal to allow
Russia be involved in the investigation,
saying: “We will not agree to Russia’s
demand to conduct a joint investigation
into the attack in Salisbury because the
UK – supported by many other countries –
has assessed that it is highly likely
that the Russian state is responsible
for this attack, and that there is no
plausible alternative explanation.
“There is no
requirement in the chemical weapons
convention, for a victim to engage the
likely perpetrator in a joint
investigation. To do so would be
perverse.”
Et premier pas,
l'Organisation pour l'interdiction
des armes chimiques a légitimé la
procédure suivie par les Anglais,
écartant la Russie de l'enquête:
Lors de la
réunion de mercredi, le directeur de
l’OIAC, Ahmed Uzumcu, a défendu le
sérieux de l’enquête, précisant que ses
équipes se sont rendues à Salisbury le
21 mars, et ont elles-mêmes prélevé des
échantillons sur les lieux,
puis effectué des prélèvements
biomédicaux sur Sergueï et Youlia
Skripal ainsi que sur Nick Bailey, le
policier qui leur avait porté secours.
Placés sous scellés, les échantillons
ont ensuite été remis à l’un des
laboratoires de l’OIAC à La Haye et sont
toujours en cours d’analyse. Les
résultats seront connus en début de
semaine prochaine.
Ensuite, la
communauté internationale, dans
l'ensemble, a soutenu la position
britannique, qui n'a évidemment toujours
pas apporté de preuves, mais continue à
faire des déclarations surréalistes:
Le Royaume-Uni estime « fortement
probable » que la Russie soit
responsable de l’attaque, assurant
qu’il n’y a « pas d’autre explication
possible ». Non seulement parce que
Moscou est capable de produire de
telles substances, mais en raison du « bilan
de la Russie en matière d’assassinats
parrainés par l’Etat » et de « notre
évaluation selon laquelle la Russie
considère les transfuges comme des
cibles », a argué John Foggo, le
délégué britannique à l’OIAC.
Bref, la Russie a
vu sa proposition d'enquête commune
présentée conjointement avec l'Iran
refusée. En revanche, elle a obtenu le
soutien de
14 pays, en plus de la Chine,
essentiellement des pays de l'espace
post-soviétique et de quelques autres
comme Cuba, la Syrie, le Pakistan ou le
Vénézuela. Ce qui n'était pas suffisant
pour faire adopter sa proposition.
Au lieu de se
concentrer sur l'enquête menée par le
Comité d'enquête russe concernant
l'empoisonnement des Skripal, la Russie
annonce une enquête internationale
parallèle, avec ces pays. L'on peut
sérieusement douter du poids qu'elle
aura et de son impact sur la communauté
internationale. Ce qui est quand même le
but de ces démarches.
A la suite de cela,
la Russie demande une réunion
exceptionnelle cette fois-ci du Conseil
de sécurité de l'ONU pour encore parler
de l'affaire Skripal, où évidemment les
Etats-Unis, la France et la
Grande-Bretagne pourront bloquer toute
initiative russe et continuer leurs
attaques.
Face à ces échecs
en chaîne sur les plateformes
internationales, le ministère des
Affaires étrangères russe note
l'hypocrisie et la violation permanente
du droit international par les
occidentaux, mais déclare vouloir
continuer l'enquête dans le cadre de
l'OIAC et rester sur la même
ligne de défense - donner des
réponses rationnelles et chercher la
vérité. En quoi la Russie a-t-elle
besoin de l'OIAC ou du Conseil de
sécurité de l'ONU pour trouver la
vérité, cela reste une énigme. Elle y
cherche plutôt une reconnaissance, ce
qu'elle n'obtiendra pas.
Cette ligne de
conduite qui n'a pour l'instant produit
aucun effet positif, la position
anti-russe de la communauté
internationale se renforçant, même si
les esprits clairs voient qu'ils se
décrédibilisent. Les sanctions vont être
renforcées et l'Administration
américaine fait tout pour en
convaincre Trump.
L'on peut alors
lire certaines
réactions dubitatives dans les
milieux des analystes russes
pro-Kremlin:
"Nous voulions nous
assurer que les Anglo-saxons étaient et
restent des russophobes extrêmes et
qu'ils ne collaboreront pas avec nous?
Parfait, nous en sommes assurés.
Maintenant il faut agir en tenant compte
de cette expérience unique."
Et l'on en revient
toujours au même point, aux mêmes
faiblesses dont nous avons souvent parlé
ici. La position légaliste est certes
importante pour ne pas s'abaisser au
niveau de ses adversaires, mais elle ne
peut être exclusive. Or, toute la
difficulté objective est de savoir
comment réagir lorsqu'en face de vous se
trouvent des personnes qui ne suivent
aucunes règles, je ne parle même pas que
des règles juridiques, mais aussi
morales. Ils ne sont pas immoraux, mais
amoraux.
Comment réagir à
l'absurde? En cherchant ce qu'il cache.
L'absurde ici n'est qu'une technique,
une technique de déstabilisation.
Pendant que vous tentez de combattre les
positions absurdes, vous ne menez pas le
véritable combat, vous êtes
désorientés.
Sortir d'une
position strictement défensive devient
urgent, mais cela implique d'accepter le
combat. Accepter le combat pour que
justement le conflit ne s'amplifie pas.
C'est tout le paradoxe de la situation.
«Nous sommes prêts
à coopérer tant avec l'OIAC qu'à
l'intérieur de l'OIAC», a signalé Georgy
Kalamanov, vice-ministre russe de
l'Industrie et du Commerce, présent lors
de la réunion de l'OIAC
Ce genre de
déclaration, par exemple, ne
conduira pas les Occidentaux à respecter
la Russie, il faudrait un peu plus de
fermeté. Après se faire accuser
d'utiliser comme Etat un gaz chimique
sur un territoire étranger contre des
civils, l'on ne parle pas de
coopération. Vous pouvez être conciliant
lorsque vous êtes en position de force,
ce qui n'est pas le cas. Et tant que
cette ligne continuera, la situation
internationale ne se stabilisera pas. Au
contraire les pays occidentaux ont
intérêt à aller le plus loin possible,
sans tomber dans le conflit armé direct,
pour capitaliser leur victoire politique
et être en position de force lors de la
véritable négociation qui aura lieu avec
la Russie.
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