Russie politics
Russie : Quand les Etats-Unis veulent
prendre le
contrôle du détroit de Kertch
avec l'aide de l'OTAN
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 3 avril 2019
La réunion des
ministres des affaires étrangères de
l'OTAN est l'occasion de rafraîchir
l'image de la "Russie ennemie" et
l'Ukraine est le terrain de jeu idéal -
car entièrement contrôlé. C'est un peu
comme jouer à la maison, on y a toujours
un avantage. Donc la représentante
américaine à l'OTAN déclare que cette
organisation serait prête à garantir le
passage libre, c'est-à-dire en violation
des règles de passage, du détroit de
Kertch. La frontière dérange, la Russie
encore plus. Pour autant, il y a tout un
monde entre le vouloir et le pouvoir,
entre les déclarations fanfaronnes et la
pratique. Ces réunions de
l'OTAN sont toujours l'occasion de
grandes déclarations, promesses, plans
sur la Lune, que dis-je, sur Saturne,
dont les anneaux d'une géante gazeuse
posent un décor O combien approprié.
Ainsi, les Etats-Unis, et donc l'OTAN,
sont inquiets :
NATO is “concerned by Russia's
pattern of aggressive behavior,
including its ongoing actions against
Ukraine and the seizure” of three
Ukrainian vessels and their 24 crew
members near the Kerch Strait linking
the Black Sea and Sea of Azov in
November.
Traduction. Ils
sont inquiets de ce que la Russie n'ait
pas laissé violer sa frontière par une
provocation assez primaire de deux
navires de guerre ukrainiens, portant à
bord des membres du SBU (KGB ukrainien),
qu'elle les ait fermement et proprement
interpellés, que les marins soient
devant la justice. Donc, les Etats-Unis
reprennent l'idée (formellement) avancée
par o d'une "protection" de
l'OTAN des navires traversant le détroit
de Kertch (voir
notre texte ici).
La
représentante des Etats-Unis à
l'OTAN, Kay B. Hutchison, a ainsi
déclaré avoir préparé toute une série de
mesures allant de la surveillance de
l'espace aérien au renforcement de la
présence en mer Noire, mesures qui
doivent être quand même encore
approuvées par les ministres des
Affaires étrangères lors de la réunion
de Washington des 3-4 avril:
"I think that we
have been working on a package to
present to the foreign ministers, and it
is a package that beefs up the
surveillance, both air surveillance as
well as more of the NATO country ships
going into the Black Sea to assure that
there is safe passage from Ukrainian
vessels through the Kerch Straits, the
Sea of Azov. (...) The ambassador added
that those measures were very important
for making sure that "the countries in
and around the Black Sea are safe from
Russian meddling."
Stoltenberg a déclaré que cela
pouvait encore s'accompagner d'autres
mesures: Stoltenberg said
the measures will include the training
of maritime forces and coastguards, port
visits, exercises, and sharing of
information.
Bref, tout doit
être mis en oeuvre pour, je cite,
"permettre le passage libre" des navires
dans le détroit de Kertch. Juste une
question, pourquoi uniquement dans ce
détroit ? Pourquoi ne pas "libérer" tous
les détroits, également ceux qui
ressortent de la juridiction américaine
... A moins que certains pays aient
droit à protéger leur frontière, alors
que d'autres non ? La défense de ses
frontières ne serait plus un pouvoir
légitime de l'Etat, dont la frontière
est un élément constitutif, mais un
privilège octroyé (ou non) et reconnu à
certains en fonction du bon vouloir de
la communauté internationale atlantiste?
Le raisonnement est assez spécieux.
Tout cela sonne
très bien, surtout devant les
journalistes. Pourtant, les navires
circulant au titre de l'OTAN iront-ils
au contact direct avec les
gardes-maritimes russes? Posons la
question autrement. L'OTAN n'est pas un
pays, mais une organisation agrégeant
des Etats, il ne possède donc pas une
flotte propre, mais utilise les navires
des Etats-membres. Les navires de ces
Etats prendront-ils le risque d'une
confrontation avec les Russes? Ces pays
prendront-ils le risque d'un conflit
avec la Russie? Evidemment pas pour
l'Ukraine, mais pour les intérêts
stratégiques américains dans la région.
L'on peut sérieusement en douter. Et
tant mieux.
Pour
illustration. Les Pays-Bas, le
Canada et l'Espagne ont envoyé des
navires pour le compte de l'OTAN en mer
Noire pour des exercices avec l'Ukraine.
Ils furent bien escortés alors par la
marine russe. Comme la réglementation
internationale l'exige. Ils n'ont pas
cherché à se "libérer" de la tutelle
russe.
Il y a distance
incommensurable entre les déclarations
d'intention et la provocation, froide,
en prenant le risque d'un conflit, dont
aucun Etat aujourd'hui n'est apte à en
assumer les conséquences. Les guerres
massives ne sont plus de circonstance
(ou pas encore de retour), le
post-modernisme virtualise une grande
partie des conflits puisqu'il a
virtualisé les Etats. Les agressions se
font par groupes interposés
(terroristes, armées privées notamment),
par déclarations vindicatives et guerre
de tweet, par mises en scène de pseudo
joutes oratoires par communiqués de
presse interposés. Mais des acteurs
majeurs n'entreront pas en conflits
directs, car les véritables guerres
impliquent le risque de véritables
pertes. L'on ne peut pas refaire la
bataille des tanks de Koursk, ni les
bombardements de navires de guerre.
Seules les zones habitées des pays tiers
à cette guerre post-moderne, comme l'est
l'Ukraine, peuvent être touchées, et ici
non plus l'on ne comptera pas en million
de morts. Les véritables guerres sont
dévastatrices, elles sont mauvaises pour
le business. Alors que les conflits
ciblés, les conflits localisés et gelés,
ceux qui permettent de prendre le
contrôle politique de territoires, sont
particulièrement rentables.
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