La déclaration faite le 24 juillet au
soir par le Président de la République,
M. Emmanuel Macron, est grave[1].
Elle est grave d’un point de vue
constitutionnel. Elle est grave d’un
point de vue politique. Elle est grave
d’un point de vue moral. Nous devons
toujours nous souvenir que le Président
de la République est le premier
magistrat. Sa parole est un acte. Si sa
parole menace la Constitution, la mine
ou la dévalue, c’est très exactement
comme s’il avait agi pour subvertir
cette Constitution. Si sa parole menace
l’ordre politique, autrement dit la «
Cité » dans laquelle nous vivons[2],
car cet ordre politique est ce qui
organise nos libertés, c’est très
exactement comme s’il avait agi contre
cet ordre, comme s’il avait pris des
mesures niant la souveraineté du peuple.
Si sa parole n’est pas morale, alors de
quel exemple pourrons-nous tirer les
forces de moralité qui sont nécessaires
à la vie politique ?
Un acte contraire à la Constitution
Emmanuel Macron a
donc effectué une visite surprise à la
réunion des élus de la majorité LREM
organisée à la Maison de l’Amérique
latine, réunion organisée pour la
clôture de la session parlementaire,
mardi 24 juillet. Ce faisant, il a
visiblement oublié que, dans la
Constitution, il n’est pas chef de
parti. La Président de la République
doit représenter tous les français.
Reprenons les différents articles, sans
intention d’exhaustivité, qui précisent
son rôle de chef de l’Etat et non de
chef de parti[3].
Article 5 « Le
Président de la République veille au
respect de la Constitution. Il assure,
par son arbitrage, le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics ainsi que
la continuité de l’État. »
Article 14 : «
Le Président de la République accrédite
les ambassadeurs et les envoyés
extraordinaires auprès des puissances
étrangères ; les ambassadeurs et les
envoyés extraordinaires étrangers sont
accrédités auprès de lui. »
Article 16 : «
Lorsque les institutions de la
République, l’indépendance de la nation,
l’intégrité de son territoire ou
l’exécution de ses engagements
internationaux sont menacées d’une
manière grave et immédiate et que le
fonctionnement régulier des pouvoirs
publics constitutionnels est interrompu,
le Président de la République prend les
mesures exigées par ces circonstances,
après consultation officielle du Premier
ministre, des présidents des assemblées
ainsi que du Conseil constitutionnel.
»
Article 64 : «
Le Président de la République est garant
de l’indépendance de l’autorité
judiciaire ».
La fonction décrite
soit directement soit indirectement par
ces différents articles n’est pas
compatible avec la fonction de chef de
parti. Bien entendu, la pratique
politique nous dit que le Président fait
campagne soutenu par un parti ou une
alliance de partis. Mais, il est de
tradition qu’il abandonne toute position
à l’intérieur d’un parti ou d’un
mouvement, et qu’il s’abstienne de
participer aux réunions du groupe
parlementaire qui le soutient à
l’Assemblée nationale. Cela participe du
principe de division des pouvoirs. Quand
ses prédécesseurs recevaient les «
ténors » de leur majorité respective,
ils le faisaient en privé. En venant
dans cette réunion des députés LREM,
réunion où la presse était en partie
présente, Emmanuel Macron a consciemment
et délibérément foulé aux pieds ce
principe.
Une subversion de
l’ordre politique
Il a aggravé son
cas en faisant une déclaration dans
cette réunion[4].
Il a ainsi dit, se
référant au trouble et au scandale causé
par l’affaire Benalla : « “S’ils
cherchent un responsable, le seul
responsable, c’est moi et moi seul.
C’est moi qui ai fait confiance, c’est
moi qui ai confirmé la sanction”.
Tout d’abord il s’est avancé un peu vite
sur la « sanction » qui aurait été
prononcée contre M. Benalla le 4 mai.
Les auditions devant la commission
d’enquête sénatoriale montrent que
Benalla est resté actif du 4 au 18 mai,
et que son salaire lui a été
intégralement versé[5].
Mais, il y a nettement plus grave.
Cette manière de
revendiquer la totalité de la
responsabilité pourrait être considérée
comme courageuse, si elle avait été
faite devant l’ensemble des français.
Mais, tel n’a pas été le cas. Emmanuel
Macron a prononcé ces mots devant une
assemblée de fidèles qui lui était
entièrement acquise et ce alors que les
français attendent de lui qu’il
s’explique depuis le début de l’affaire.
Or, jusqu’à présent, le Président n’a
trouvé ni le temps ni le courage de
venir s’expliquer devant les français ?
Ce n’est donc pas un discours de Chef de
l’Etat, c’est un discours de chef de
clan, de chef mafieux, qui parade devant
ses obligés.
Surtout, cette
déclaration fait un lointain écho au
discours que Benito Mussolini prononça
le 3 janvier 1925, devant le Parlement
italien, à la suite du meurtre du député
Matteotti qui s’était élevé contre les
fraudes électorales, les intimidations
et les pressions lors des précédentes
élections d’avril 1924[6]
: « Je vous déclare ici en présence
de cette assemblée et devant tout le
peuple italien, que j’assume à moi tout
seul la responsabilité politique, morale
et historique de tout ce qui est arrivé…
Si le fascisme n’a été qu’une affaire
d’huile de ricin et de matraques, et non
pas, au contraire, la superbe passion de
l’élite de la jeunesse italienne, c’est
à moi qu’en revient la faute !
Si le fascisme a
été une association de délinquants, si
toutes les violences ont été le résultat
d’une certaine atmosphère historique,
politique et morale, à moi la
responsabilité de tout cela, parce que
cette atmosphère historique, politique
et morale, je l’ai créée par une
propagande qui va de l’intervention dans
la guerre jusqu’à aujourd’hui. »
L’histoire jugera.
Mais, la manière de revendiquer toute la
responsabilité, comme si le Président
était la seule source d’autorité, est
profondément choquante au regard des
traditions politiques et de la pratique
de la République. La phrase prononcée
par Emmanuel Macron subvertit, tant dans
la forme que dans le fond, de manière
tant directe qu’indirecte, l’ordre
politique républicain actuel en France.
Une faute morale
En aparté à cette
réunion, Emmanuel Macron aurait alors
déclaré : « qu’ils viennent me
chercher »[7].
Mais, de qui parlait-il ? Des
parlementaires de la France Insoumise
qui souhaitent qu’il témoigne devant la
commission d’enquête ? En réalité, on
sait que ce n’est pas possible. Il
suffit de regarder tant le texte de la
Constitution que la pratique qui en a
été faite. D’ailleurs, en vertu de
l’article 67 de la Constitution, le
Président de la République est
irresponsable : « Le Président de la
République n’est pas responsable des
actes accomplis en cette qualité, sous
réserve des dispositions des articles
53-2 et 68.
Il ne peut,
durant son mandat et devant aucune
juridiction ou autorité administrative
française, être requis de témoigner non
plus que faire l’objet d’une action,
d’un acte d’information, d’instruction
ou de poursuite. »
La phrase
d’Emmanuel Macron prend alors
l’apparence d’une rodomontade, d’un défi
sans risque. Ce n’est pas une attitude
de Chef de l’Etat. Au mieux, c’est une
attitude d’enfant en cours de
récréation. On peut y voir le manque de
sérieux qu’Emmanuel Macron porte tant à
sa fonction qu’aux français. Quel que
soit le bout par lequel on prend cette
déclaration, elle apparaît bien comme
une faute morale. Elle s’apparente aux
mots qui furent prêtés à
Marie-Antoinette : « ..s’ils n’ont
pas de pain, qu’ils mangent de la
brioche ». On en connaît les suites.
Et si Emmanuel
Macron devait être pris au mot, si les
français se décidaient – dans un
mouvement insurrectionnel ou
révolutionnaire – à venir le chercher à
l’Elysée, sa provocation aurait des
conséquences véritablement
incalculables. Après avoir subvertit
l’ordre constitutionnel, après avoir
subvertit l’ordre politique, son
comportement nous conduirait aux portes
de la guerre civile.
[2] Car la Cité romaine
n’est pas la ville, mais la communauté
des citoyens. Cicéron, De res publica,
(I-26-41). Voir Cicéron, La
République, traduction d’Esther
Breguet, T-1, Paris, Les Belles Lettres,
1980.
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