RussEurope
Ukraine: Négociations ou Confrontation
Jacques Sapir
Photo: RIA
Novosti
Jeudi 17 avril 2014
La situation dans l’Est de
l’Ukraine devient chaque jour plus
dangereuse et l’on a sentiment que le
pays glisse lentement vers la guerre
civile. C’est dans ces conditions que
s’ouvrent normalement aujourd’hui, jeudi
17 avril, les négociations à Genève
entre Russes, Ukrainiens, l’Union
Européenne et les Etats-Unis. Une
partie de la population de l’Est de
l’Ukraine exprime simplement sa défiance
face au gouvernement issu de la
« révolution » de Maidan. Une autre
partie exprime publiquement son souhait
de rejoindre la Russie. Des
extrémistes occupent des bâtiments
publics et le gouvernement de Kiev
menace de recourir à la force. On peut
noter que les « milices » qui se sont
manifestées dans les événements de
Maidan, et qui sont très largement
composées de militants d’extrême-droite
dont certains n’hésitent pas à afficher
leurs sentiments pronazis, menacent
d’aller dans l’est du pays. Nous sommes,
et il faut le dire clairement, à la
limite de la guerre civile. Très
clairement le gouvernement de Kiev est
dans une logique de « prise de gages »,
dans l’optique de ces négociations.
C’est ce qui explique la soi-disante
« opération anti-terroriste » qui s’est
soldée par un fiasco le mercredi 16
avril, avec le désarmement d’une partie
des soldats par la foule des
manifestants anti-gouvernementaux. Mais,
c’est aussi vrai des milices qui veulent
le rattachement à la Russie. Cette
logique risque de déraper à tout instant
vers la guerre civile. Il faut donc
impérativement proclamer un moratoire
des mouvements des deux côtés.
Dans ce contexte il est clair que
tout usage inconsidéré de la force
risque de précipiter le pays vers la
guerre civile. Aujourd’hui, il faut le
réaffirmer, il ne peut y avoir de
solution que politique. Il est clair que
les solutions proposées par le
gouvernement provisoire de Kiev ne sont
pas satisfaisantes. Il aurait fallu, et
je le dis depuis plus d’un mois (3
mars), convoquer des élections à une
Assemblée Constituante. L’idée de
coupler un référendum sur la
Constitution avec l’élection
présidentielle est en retard sur les
événements de ces derniers jours. S’y
cramponner, comme le fait le
gouvernement de Kiev, est absurde. C’est
mettre la charrue avant les bœufs. Il
faudra, et c’est évident, un référendum
sur la Constitution, mais cette dernière
doit être écrite pat TOUS les
Ukrainiens. C’est la raison pour
laquelle j’appelle à une Assemblée
Constituante. À défaut, une commission
de réconciliation nationale devrait être
rapidement mise en place. Mais, je
persiste à dire que la solution
politique passera par une Assemblée
Constituante, qui seule peut avoir la
légitimité nécessaire pour imposer une
issue politique à cette crise. Le plus
vite toutes les parties en cause le
reconnaîtront le mieux cela sera.
La conférence de Genève devrait avoir
pour premier objectif d’empêcher la
guerre civile et de trouver une solution
raisonnable à la crise ukrainienne. Il
est évident que cette crise provoque des
troubles graves dans les relations entre
les pays européens, et les pays de
l’Union Européenne ont un peu trop
tendance à croire qu’ils sont les seuls
à représenter l’Europe, alors que la
Russie est aussi un pays européen. Nous
avons, de plus, le cas de la Hongrie et
de la Roumanie, qui sont des pays
directement intéressés dans cette crise,
et dont les gouvernements sont très
inquiets du poids pris par les
nationalistes d’extrême-droite en
Ukraine.
Une telle conférence n’aurait pas
beaucoup de sens sans la Russie. On doit
donc espérer qu’elle ne sera pas exclue.
Les pays de l’Union Européenne et les
Etats-Unis continuent de perpétuer le
mythe des « bons » (les manifestants) et
des « méchants » (le « pouvoir ») sans
comprendre que les manifestants étaient
très divers. De même, s’il y a eu des
gens parfaitement détestables dans
l’équipe au pouvoir, il me semble que
les administrations ont fait preuve
d’une grande retenue. Raisonner dans les
termes de « bons » et de « méchants »
est une aberration politique. Il est par
ailleurs très clair que dans les médias
occidentaux, on voit se développer une
politique de double standards. Tout ce
qui vient de la Russie ou qui est en
faveur de cette dernière est
invariablement qualifié de « mauvais ».
Il est donc aujourd’hui de la plus
grande importance que les Ukrainiens
recommencent à se parler entre eux. Pour
cela, et au vu de la situation actuelle,
il est impératif que l’on ait :
- Un moratoire des mouvements des
forces, tant de celles du
gouvernement que de celles des
diverses milices et une décision
commune de toutes les forces
ukrainiennes de ne pas recourir à la
force. Il faut commencer par geler
la situation.
- L’annonce d’élections à une
Assemblée Constituante ou, à défaut,
d’une conférence de réconciliation
nationale largement ouverte à toutes
les parties et réellement
représentative. Si l’on prend la
solution de l’assemblée, elle ne
devra rien décider d’important sans
une majorité qualifiée des
deux-tiers.
- La Constitution qui y sera
élaborée devra être soumise à
référendum.
- Les pouvoirs du Président
devraient être limités tant que la
nouvelle constitution ne sera pas
adoptée.
Telles sont les quatre conditions
pour que l’on trouve une issue politique
à cette crise.
La situation évolue rapidement, et
l’une des principales raisons est la
crise économique qui est venue se
greffer sur la crise politique. De plus
en plus de gens, dans les régions de
l’Est de l’Ukraine, considèrent – et à
juste raison – que leur niveau de vie
est lié à de bonnes relations avec la
Russie. On approche dangereusement du
point où des événements irréparables
auront lieu. Au lieu de donner des
leçons de « morale », des leçons qui
n’ont d’ailleurs pas été appliquées lors
de la guerre civile yougoslave et il
faudrait s’en souvenir, les pays de
l’Union Européenne et les Etats-Unis
feraient mieux d’avancer des
propositions constructives.
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