Opinion
Le spectre du Phanar
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Lundi 26 novembre 2018
Le schisme de l’orthodoxie en Ukraine
Le monde russe se
retrouve pris dans un drame. Son Eglise
orthodoxe dirigeante affronte un schisme
dans le cadre d'une recherche
d’indépendance religieuse. Si le régime
de Kiev atteint son but, le fossé entre
la Russie proprement dite et sa partie
occidentale rétive, l’Ukraine, va
s’élargir. L’Eglise russe va souffrir
une lourde perte, comparable à
l’émergence de l’église anglicane pour
les catholiques. Il y a pourtant là une
occasion pour les Russes d’y gagner
énormément, d’y gagner plus qu’ils n’y
perdront. De fait l’Ukraine a sa propre
église, et il s’agit de l’Eglise
autonome orthodoxe ukrainienne qui a sa
propre administration, au sein de
l’orthodoxie russe. C’est une autonomie
fort large ; elle peut être considérée
comme une indépendance, dans la
pratique, sauf en ce qui concerne la
reconnaissance nominale de la suprématie
moscovite. L’Eglise ukrainienne ne paie
pas de tribut à Moscou, elle élit ses
propres évêques, et n’a aucune raison
pour exiger plus de marge de manoeuvre
encore. Du moins, pas de raison
tangible. Certes, en Ukraine, on a
affaire à une tendance séparatiste
forte, qui a des ressorts romantiques et
nationalistes, comparables à celle des
Ecossais ou au séparatisme languedocien.
On peut en suivre la trace depuis le
XVIII° siècle, lorsque le gouverneur
nommé par la Russie Hetman Mazeppa
se dressa contre Pierre le Grand et
conclut une alliance avec le roi
guerrier suédois Charles XII. Cent ans
après la révolte, Alexandre Pouchkine,
le plus important des poètes russes,
composa son poème romantique « Poltava »
(à partir du « Mazeppa » de Byron), et
il attribue, dans ce texte magnifique,
ces paroles à Mazeppa : « Nous avons
trop longtemps baissé la tête, sans
respect pour la liberté, sous le joug
patronal de la Pologne, sous le joug
despotique de Moscou. Mais maintenant
l’heure est venue pour l’Ukraine de
grandir pour devenir une puissance
indépendante. »
Ce drame romantique
d’une Ukraine indépendante est devenu
réel après la révolution de 1917, sous
l’occupation allemande à l’issue de la
Première Guerre mondiale. En un an ou
deux, alors que l’Allemagne vaincue
battait en retraite, l’Ukraine
indépendante se retrouva soviétique et
rejoignit l’Union soviétique dans
l’Union des Républiques soviétiques
égales. Et même incluse dans l’Union,
l’Ukraine restait indépendante, elle
avait son siège comme telle à l’ONU.
Lorsque le président Elstine déclara
l’Union dissoute, elle le redevint
pleinement. En 1991, et le divorce
d’avec la Russie délabrée (après des
siècles d’intégration), l’Ukraine prit
avec elle une importante portion des
ressources physiques et humaines de
l’ex-Union. Ce pays spacieux, avec ses
travailleurs durs à la tâche, sa lourde
terre noire, et la fleur de l’industrie
soviétique, produisant des avions, des
missiles, des tracteurs et des trains,
avec la plus grosse et la meilleure
armée à l’intérieur du Pacte de
Varsovie, avec ses universités, son bon
réseau routier, sa proximité avec
l’Europe, ses infrastructures chères
reliant l’Est à l’Ouest, l’Ukraine,
donc, avait bien plus de chances de s’en
sortir que la Russie putrescente. Mais
les choses tournèrent autrement, pour
des raisons sur lesquelles nous
reviendrons à une autre occasion. Etat
failli parmi tous, l’Ukraine se retrouva
rapidement désertée par ses habitants
les plus précieux, qui filèrent vers la
Pologne ou la Russie ; ses industries
furent démantelées, et vendues au prix
de la ferraille. La seule compensation
que l’Etat offre à partir de là, c’est
un nationalisme fervent, et encore plus
de déclarations d’indépendance. Mais la
quête d’une pleine indépendance a connu
encore moins de succès que les mesures
économiques ou militaires. Le régime de
Kiev a eu beau jeu de couper les ponts
avec Moscou, c’était pour se mettre à la
botte de l’Occident. Ses finances
sont supervisées par le FMI, son armée
par l’OTAN, sa politique étrangère par
le Département ‘Etat US. Une véritable
indépendance relevait du mirage, hors
d’atteinte pour l’Ukraine. Une rupture
complète de l’Eglise ukrainienne avec
l’autorité moscovite est alors apparue
au président Petro Poroshenko comme un
substitut tout indiqué de l’indépendance
effective, surtout à l’horizon des
élections proches. Il s’est tourné vers
le patriarche de Constantinople, sa
Sainteté œcuménique Bartholomé, en lui
demandant de promettre à son église une
pleine indépendance, ce qu’on appelle en
langage ecclésiastique l’autocéphalie.
Fort bien, mais que
pouvait-il appeler « son église » ?
La vaste majorité des chrétiens
orthodoxes d’Ukraine et leurs évêques se
satisfait de leur statut au sein de
l’église russe. Ils ont leur propre
chef, Sa Béatitude métropolitaine
Onophrius, qui ne se plaint pas non plus
de sa position. Ils n’éprouvent aucun
besoin d’autocéphalie. Seulement voilà,
l’Ukraine a aussi deux phénomènes
épineux à gérer, deux petites églises
dissidentes, l’une gérée par l’ambitieux
évêque Filaret, et l’autre par Macarius ;
toutes deux sont hautement nationalistes
et anti-russes, toutes deux soutiennent
le régime et réclament leur autonomie,
toutes deux sont considérées comme
illégitimes par le reste du monde
orthodoxe. Ces deux petites
églises sont les embryons potentiels de
la future église ukrainienne du
président Poroshenko.
Revenons maintenant
à Bartholomé. De par son titre, il est
patriarche de Constantinople, mais on
chercherait en vain cette ville sur la
carte. Constantinople, la capitale
chrétienne de l’Empire romain d’Orient,
la plus grosse cité de son temps, le
siège des empereurs romains, fut prise
par les Turcs ottomans en 1452, et
devint l’islamique Istanbul, capitale de
l’empire ottoman et du dernier califat
musulman ; depuis 1920, c’est une
métropole appartenant à la Turquie. Le
patriarcat de Constantinople est le
spectre fossile d’un passé grandiose ;
il garde quelques églises, un monastère
et une poignée de moines ambitieux basés
au Phanar, le vieux quartier grec
d’Istanbul.
Le gouvernement
turc considère Bartholomé comme un
évêque des Grecs du lieu, et lui dénie
son titre datant du VI° siècle de
patriarche œcuménique. Il n’y a guère
que trois mille Grecs dans la ville, ce
qui allège d’autant l’empreinte de
Bartholomé localement. Son patriarcat
est un spectre parmi des spectres, comme
les Chevaliers de Malte ou l’Ordre de
Malte, les rois de Grèce, de Bulgarie et
de Serbie, les empereurs du Brésil et du
saint empire romain… Spectre n’est pas
un gros mot, d’ailleurs. C’est un terme
qu’adorent les romantiques, amoureux des
vieux rituels et des uniformes avec des
aiguillettes dorées. Ces gentilshommes
fort honorables ne représentent
personne, n’ont aucune autorité, mais
ils peuvent vous fournir des certificats
très impressionnants de magnificence, et
le font effectivement.
L’Eglise orthodoxe
diffère de sa sœur catholique romaine en
ce qu’elle n’a pas de personnage central
comparable au pape de Rome. Les
orthodoxes ont une assemblée de
représentants des églises nationales,
appelés patriarches ou popes. Le
patriarche de Constantinople est l’un de
ces quatorze dirigeants, même si c’est
le plus semblable à un pape de Rome pour
l’Eglise occidentale. De fait, le
patriarche "œcuménique" jouit d’un
respect particulier indu, en vertu de la
tradition. Maintenant, le spectre du
Phanar cherche à rendre sa position
beaucoup plus puissante, et prétend que
le patriarche œcuménique a droit à un
rang supérieur dans l’orthodoxie, en
tant que « seule église qui puisse
établir des églises autocéphales et
autonomes ». Tout cela, l’église russe
le rejette, et c’est de loin l’église la
plus importante au monde. Comme l’église
ukrainienne fait partie intégrante de
l’église russe, elle pourrait réclamer
sa pleine indépendance (autocéphalie) à
Moscou, mais elle ne le souhaite
nullement. Mais les deux petites églises
dérangeantes se sont tournées vers le
Phanar, et le dirigeant du Phanar était
plus qu’heureux de rentrer dans le jeu.
Il a envoyé deux de ses évêques à Kiev,
et il a entrepris d'instaurer une église
ukrainienne unifiée. Cette église ne
serait pas indépendante ou autocéphale ;
ce serait une église sous contrôle
direct du Phanar, une église
stavropegial, juste autonome.
Pour les nationalistes ukrainiens, ce
serait un triste rappel du passé: ils
n'ont le choix qu'entre rejoindre Moscou
ou Istanbul, aujourd’hui comme au temps
de leurs aïeux, il y a quatre cents ans.
L’indépendance complète n’est pas à
l’ordre du jour.
Pour le Phanar, ce
n’est pas la première incursion en
territoire russe : Bartholomé s’est
aussi servi des sentiments anti-russes
de Tallin et a pris une partie des
églises estoniennes, et de leurs
paroissiens, sous sa férule. Cependant,
à l’époque les Russes avaient bien pris
la chose, et ce pour deux raisons.
L’Estonie, c’est petit, il n’y a pas
trop d’églises ni de congrégations ; et
d’ailleurs, le Phanar avait conquis
certaines positions en Estonie entre les
deux guerres, à l’époque où la Russie
soviétique ne se souciait guère de
l’Eglise. L’Ukraine, c’est autre chose :
c’est immense, c’est le cœur de l’Eglise
russe, et Constantinople n’y revendique
rien de solide.
Les Russes disent
que le président Poroshenko a acheté
Bartholomé. C’est une absurdité
primaire, même si le patriarche ne
rechigne pas à accepter les
cadeaux. Bartholomé avait une raison
tout-à-fait valable pour accepter
l’offre de Poroshenko. S’il réalisait
son plan et fondait une église d’Ukraine
sous son commandement, qu’on l’appelle
autonome ou stavropegial, ou même
autocéphale, il cesserait d’appartenir
au monde spectral, et deviendrait le
chef bien réel d’une église avec des
millions de fidèles. L’Ukraine est
seconde seulement par rapport à la
Russie dans le monde orthodoxe, et son
arrivée dans le giron de Constantinople
permettrait à Bartholomé de devenir le
plus puissant dirigeant de l’orthodoxie.
Les Russes ne
doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes pour
une bonne part de ces tracas. Ils ont
été trop pressés d’accepter le spectre
du Phanar comme une réalité dans leur
obsession de la reconnaissance et de
l’approbation de l’étranger. Ils
auraient pu l’oublier trois cents ans
plus tôt au lieu de rechercher une
confirmation de sa part, aujourd’hui
comme hier. Il est dangereux de se
soumettre aux faibles ; c’est peut-être
plus risqué que de se soumettre aux
forts.
Cela me rappelle un
roman bien oublié de H. G. Wells, La
Nourriture des dieux ou Place aux
géants. C’est l’histoire d’un
aliment qui permet aux enfants de
grandir jusqu’à quarante pieds. La
société maltraite les jeunes titans.
Dans un épisode particulièrement
puissant, une horrible vieille sorcière
gronde les immenses enfants, qui sont
trois fois plus grands qu’elle, et ils
acceptent timidement ses ordres niais.
Mais à la fin, les géants réussissent à
s’imposer, envoient promener le joug et
déploient leur stature. Wells
évoque « ces jeunes géants colossaux et
magnifiques, scintillant de tous leurs
feux, au milieu des préparatifs pour le
lendemain. Cette vision le réconfortait.
Ils étaient devenus si facilement des
puissants ! Ils étaient si élancés et
gracieux ! Si rapides dans leurs
mouvements ! » La Russie est un jeune
géant qui tente d’observer des règles
établies par des pygmées. L’organisation
internationale PACE (Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe) où
la Russie se fait rudement maltraiter et
n’est même pas autorisée à se défendre
elle-même en est une bonne illustration.
Les tribunaux internationaux où la
Russie a très peu de chances de se faire
entendre en est une autre. Le président
Trump a retiré les US d’un certain
nombre d’organisations internationales,
alors que les US jouissent d’un poids
énorme dans les affaires
internationales, et que tous les Etats
s’aplatissent devant les positions US.
La voix de la Russie ne parvient même
pas à se faire entendre et c’est
seulement maintenant que les Russes
commencent à soupeser les avantages d’un
Ruxit.
Les règles
ecclésiastiques sont tout aussi
biaisées, du fait qu’elles placent le
plus grand des Etats orthodoxes avec des
millions de fidèles chrétiens sur un
pied d’égalité avec les spectres
orientaux. A l’époque de l’empire
ottoman, le patriarche de Constantinople
avait un poids bien réel : le sultan
défendait sa position, ses décisions
avaient des implications juridiques pour
les sujets orthodoxes de l’empire. Il
causa bien des ennuis à l’Eglise russe,
mais les Russes étaient obligés de
respecter ses décrets, par ce que
c’était un agent de l’empire. Après la
révolution d’Ataturk, le patriarche
perdit son statut, mais l’église russe,
le jeune géant, continua à le révérer et
à le soutenir. Après 1991, quand la
Russie revint à son église négligée
auparavant, l’église russe redoubla de
générosité envers le Phanar et se tourna
vers lui comme guide, parce que l’Eglise
moscovite se retrouvait en pleine
confusion et sans préparation pour faire
face à sa nouvelle position. Dans le
doute, elle revint à la tradition. On
peut comparer cela avec les « cités
déliquescentes » des romans de Dickens,
des villes qui envoyaient
traditionnellement leurs représentants
au Parlement malgré le fait qu’elles
n’avaient plus guère d’habitants.
Dans cette
recherche de la tradition, l’église
russe s’était unie avec l’église russe à
l’étranger, la structure des émigrés
avec son histoire en dents de scie qui
incluait le soutien à Hitler. Sa
principale contribution fut un
anticommunisme féroce, et le rejet de la
période soviétique du passé russe.
Malgré tout, cela pouvait se justifier
par le désir des Russes de célébrer les
blancs face aux rouges, et de faire
revenir les émigrés au sein du peuple
russe. Mais honorer le spectre du Phanar
comme la direction honoraire du monde
orthodoxe n’avait pas la moindre
justification.
Le Phanar devait
tenir compte de l’appui du Département
d’Etat. La diplomatie US a eu la main
heureuse dans sa gestion des spectres :
depuis des années Washington soutenait
des gouvernements fantoches en exil dans
les Etats baltes, et ce soutien leur
avait été rendu au centuple en 1991.
Maintenant, le soutien des US au Phanar
leur rapporte aussi, dans cette nouvelle
attaque contre la Russie.
Le patriarche du
Phanar avait peut-être sous-estimé
l’éventuelle riposte russe face à son
ingérence en Ukraine. Il était habitué à
être bien traité par les Russes ; il se
souvenait que les Russes avaient
mollement accepté sa mainmise sur
l’église estonienne. Se voyant encouragé
par les US, et porté par ses propres
ambitions, il prit la décision
historique d’annuler l’accord de
Constantinople datant du XVII° siècle
concernant le transfert du siège
métropolitain de Kiev à Moscou, il
envoya ses propres évêques, et s’empara
de l’Ukraine à titre personnel.
L’Eglise de Moscou
décréta brusquement le bannissement de
Bartholomé, et interdit à ses prêtres de
participer aux services liturgiques avec
des prêtres du Phanar, et aussi avec les
prêtres qui accepteraient les prêtres du
Phanar. Mettre fin à la communion avec
les prêtres du Phanar n’est pas
douloureux du tout, mais l’étape
suivante, consistant à interdire
toute communion avec les églises qui
refuseraient d’excommunier les prêtres
du Phanar, voilà qui est tout-à-fait
radical. Il y a d’autres églises
orthodoxes qui n’apprécient pas les
menées du Phanar. Ils ont bien compris
que les nouvelles lois dictées par le
Phanar peuvent également les menacer.
Ils n’ont aucune envie d’introniser un
pape au-dessus d’eux. Mais je doute
qu’ils soient prêts à excommunier les
prêtres du Phanar pour autant. L’église
russe pourrait adopter une approche
moins radicale et plus profitable.
L’unité du monde
orthodoxe se base sur deux principes
séparés. L’un est l’Eucharistie. Toutes
les églises orthodoxes sont unies dans
la communion. Leurs prêtres peuvent
célébrer ensemble et recevoir la
communion dans toute église reconnue.
Deuxièmement, le principe du territoire
canonique. Aucune église ne devrait
nommer d’évêques sur le territoire d’une
autre église. Le Phanar a transgressé le
principe territorial. En réponse, il est
interdit aux Russes, par leur propre
église, de recevoir la communion si des
prêtres excommuniés participent à la
célébration. Mais les prêtres de
l’Eglise de Jérusalem ne chassent
personne, ni Russes ni Phanariotes. Dans
les faits, les contre-sanctions russes
font surtout du tort et de la peine aux
Russes eux-mêmes. Il y a peu de pèlerins
orthodoxes pour visiter la Russie,
tandis qu’il y a beaucoup de pèlerins
russes qui visitent la Terre sainte, le
Mont Athos et d’autres sites importants
en Grèce, en Turquie et en Palestine,
Jérusalem et Bethléem par-dessus tout.
Désormais ces pèlerins ne pourront plus
recevoir la sainte communion au Saint
Sépulcre ni dans la cathédrale de la
Nativité, tandis que les prêtres russes
ne vont plus pouvoir célébrer la messe
dans ces églises.
Les prêtres russes
vont probablement souffrir et se
soumettre, mais les pèlerins laïcs vont
probablement s’asseoir sur l’interdit et
aller recevoir l’Eucharistie dans
l’église de Jérusalem. Il serait
préférable que l’église russe puisse
gérer la tricherie de Phanar sur une
base de réciprocité. Phanar n’excommunie
pas les Russes, et les Russes peuvent
revenir à une entière communion avec les
Phanariotes.
Le Phanar a rompu
avec le principe territorial, et les
Russes pourraient décider d’ignorer le
principe territorial à son tour. Depuis
le XX° siècle, le territoire canonique
est devenu un principe de la loi
canonique de plus en plus souvent
bafoué, dit
OrthodoxWiki.
A une telle
transgression majeure, les Russes
pourraient riposter en renonçant
complètement au principe
territorial et envoyer leurs évêques à
Jérusalem et à Constantinople, à Rome et
à Washington, et en même temps maintenir
tous les orthodoxes en totale communion.
L’église russe sera
capable de répandre la foi orthodoxe
dans le monde entier, parmi les Français
en France, parmi les Italiens en Italie,
parmi les Juifs israéliens et les Arabes
palestiniens. L’église russe n’admet pas
les femmes à la prêtrise, ne permet pas
les unions gay, ne considère pas les
juifs comme des frères aînés, ne
tolèrent pas l’homosexualité chez les
prêtres, mais permet à ses prêtres de se
marier. Elle a toutes ses chances pour
entrer en compétition avec d’autres
églises, pour le troupeau des fidèles
comme pour le clergé.
Si elle le veut,
l’église de Moscou sera libérée de ses
attaches volontairement acceptées. En ce
qui concerne la communion, l’église
russe peut valider la communion avec le
Phanar et avec Jérusalem, ainsi qu’avec
d’autres églises orthodoxes, et même
avec des églises dissidentes, sur la
base de la réciprocité. Et surtout,
l’Eglise russe pourrait autoriser la
communion avec les catholiques. Pour
l’instant, les catholiques autorisent
les Russes à recevoir la communion, mais
l’Eglise russe ne permet pas à ses
troupes de recevoir la communion
catholique, et ne permet pas aux
catholiques de recevoir la communion
dans les églises russes. Malgré toutes
les différences entre églises diverses,
nous les chrétiens pouvons partager la
communion par le sang et la chair
de notre Sauveur, et c’est tout ce dont
nous avons besoin.
Tout cela est
extrêmement pertinent pour la Terre
sainte. Le patriarche de Jérusalem, Sa
Béatitude Theophilos, ne veut pas se
quereller avec Constantinople ni avec
Moscou. Il ne va pas excommunier les
prêtres du Phanar, malgré les demandes
réitérées des Russes, et je pense qu’il
a raison. L’interdiction de communier au
Saint Sépulcre de Jérusalem ou à
l’église de la Nativité à Bethléem
deviendrait une punition lourde et
inopérante infligée aux pèlerins russes.
C’est pourquoi il est sensé de maintenir
la communion unitaire et de liquider le
principe territorial.
L’Eglise russe peut
nommer ses évêques à Jérusalem, à
Bethléem ou à Nazareth afin d’attirer
les fidèles actuellement négligés par le
patriarcat traditionnel de Jérusalem, je
veux dire les chrétiens palestiniens et
les chrétiens israéliens, qui sont des
centaines de milliers.
L’Eglise de
Jérusalem est gouvernée par les Grecs
ethniques depuis que la ville avait été
conquise par les Ottomans au XVI°
siècle. Les Turcs avaient chassé le
clergé arabe local orthodoxe, et
confirmé leurs Grecs loyaux. Les siècles
passant, les Turcs sont repartis, les
Grecs ne sont loyaux qu’entre eux et ne
s’intéressent pas beaucoup aux locaux.
Ils ne permettent pas aux moines
chrétiens palestiniens de rejoindre les
monastères, ils les empêchent d’avoir
accès à la chaire épiscopale, et ne leur
font pas de place dans le Synode, le
conseil ecclésiastique. Cette
discrimination flagrante irrite les
chrétiens palestiniens, beaucoup d’entre
eux se sont tournés vers les églises
catholiques, voire protestantes. Le
peuple des fidèles est en colère et prêt
à se soulever contre les Grecs, comme
l’avaient fait les orthodoxes syriens en
1898, lorsqu’ils avaient chassé les
évêques et élu un patriarche arabe
d’Antioche, avec le soutien russe……
Jusqu’alors, le patriarche d’Antioche
avait été élu à Istanbul par les moines
du Phanar seulement parmi les « Grecs de
race », comme ils disaient à l’époque,
et comme c’est l’usage du siège de
Jérusalem maintenant. A Noël, l’année
dernière, le patriarche de Jérusalem
avait été empêché de pénétrer dans
l’église de la Nativité à Bethléem par
des chrétiens locaux furieux, et seule
l’armée israélienne avait pu leur frayer
un passage.
Si l’église russe
devait établir ses évêques en Terre
sainte, ou même choisir son propre
Patriarche de Roum (le nom traditionnel
de l’église) bien des églises de Terre
sainte leur ouvriraient leurs portes, et
bien des fidèles trouveraient le chemin
de l’église à laquelle ils se sentent
reliés. Car la direction grecque de
l’église de Jérusalem ne s’intéresse
qu’aux églises de pèlerinage ; ils ne
s’occupent que des pèlerins qui viennent
de Grèce et des Grecs en Terre sainte.
Il y a beaucoup de
Russes orthodoxes en Israël ; les Grecs
de l’église ne pourvoient pas à leurs
besoins. Depuis 1948, pas une seule
église neuve n’a été édifiée par les
orthodoxes en Israël. De grandes villes
peuplées de nombreux chrétiens, telles
Beersheba, Afula, Eilat la touristique,
n’ont pas d’églises du tout. Certes
c’est en partie la faute des autorités
israéliennes et de leur haine du
christianisme. Il n’en reste pas moins
que l’Eglise de Jérusalem ne met pas
beaucoup d’énergie à ériger de nouvelles
églises.
Il y a un million
d’immigrants en provenance de Russie, en
Israël. Certains sont chrétiens à
l’origine, certains veulent entrer dans
l’église, parce que brutalement rejetés
par le judaïsme hostile. Ils arrivent
avec une image quelque peu romantique de
la foi juive, parce qu’ils ont grandi
dans l’URSS athée, mais la réalité ne
ressemble en rien à leurs rêves. Il ne
s’agit pas seulement d’eux; les
Israéliens de toute origine se désolent
du judaïsme qui règne maintenant en
Israël. Ils sont prêts pour rencontrer
le Christ. Une nouvelle église de Terre
sainte instaurée par les Russes peut
amener au Christ les Israéliens, juifs
et non-juifs, palestiniens natifs tout
comme immigrants.
Aussi le rejet du
territorialisme par le Phanar peut être
utilisé pour la plus grande gloire de
l’Eglise. Oui, l’église russe changerait
de caractère et assumerait une dimension
locale œcuménique. C’est un gros défi ;
je ne sais pas si les Russes sont prêts
pour cela, si le patriarche Kirill de
Moscou a l’audace requise. Son église
est plutôt timide ; les évêques
n’expriment pas leurs points de vue en
public. Cependant, un prêtre de Moscou,
frère Vsevolod Chaplin, qui était très
proche du patriarche jusqu’à une date
récente, a appelé publiquement à un
reformatage complet de la chrétienté
orthodoxe, à se débarrasser des parties
pourries et des spectres, à instaurer
des liens solides entre laïcs et
patriarcat. Sans la grande poussée du
patriarche étourdi Bartholomé, ces idées
seraient restées en gestation pendant
des années ; et voilà qu’elles peuvent
faire un pas de géant, et changer la
face de la foi.
Joindre
l’auteur: adam@israelshamir.net
Traduction: Maria
Poumier
Source:
The Unz Review.
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