Opinion
Espions russes et vrais pions
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Jeudi 25 octobre 2018
Le renseignement russe a pris des coups,
ces temps-ci. Difficile d’évaluer les
impacts dans le monde trouble des
espions et des pions adverses, mais en
tout cas, les agents occidentaux
viennent de remporter un énorme
succès dans la bataille souterraine.
Les signes
externes, visibles, sont stupéfiants. Un
groupe de diplomates russes a été arrêté
et déporté, après une tentative pour
découvrir ce qui se tramait à
l’Organisation pour l’interdiction des
armes chimiques (OPCW). On nous a dit
que c’était des membres d’une escadre du
GRU prise la main dans le sac lors
d’une connexion au wifi. Pas de quoi
fouetter un chat, mais les Russes ont
démenti. De toute façon, cette
accusation ne leur fait pas grand tort.
Dans un autre
contexte, deux porte-parole du
renseignement occidental, les
sites
Bellingcat et The
Insider, séparément mais en
intercation, déclaraient qu’ils avaient
découvert la véritable
identité des deux Russes accusés par
les britanniques d’avoir trempé dans
l’étrange affaire de l’empoisonnement
supposé des Skripal père et fille.[1]
Rien d’important en
soi, dans tout cela. C’est normal que
les Russes fassent des efforts pour
découvrir ce qui se trame contre eux à
l’OIAC, dont ils sont membres. Les
officiels russes se plaignent que les
Occidentaux les écartent de leurs
délibérations et ne partagent pas leurs
données, ce qui invalide l’existence
même de l’OIAC. Cela touche aux attaques
chimiques éventuelles en Syrie, et à
l’affaire Skripal ; dans les deux cas,
les meilleures parades russes contre des
accusations sans fondement sont venues
de sources obtenues clandestinement.
Si l’OIAC
fonctionnait comme le prévoit sa charte,
les Russes auraient dû recevoir une
notification officielle selon laquelle
le labo suisse avait pu établir que les
échantillons fournis par les
Britanniques comme trouvés à Salisbury
ne pouvaient avoir été produits en
Russie. Mais les Suisses ont triché, et
les Russes ont été obligés de dérober
l’objet même qu’ils étaient en droit
d’examiner. L’OIAC n’a pas révélé
spontanément que les échantillons de
Syrie n’avaient pas été obtenus par les
agents de l’OIAC en Syrie, mais a fait
passer l’info à travers l’invérifiable
chaîne du réseau des
Casques blancs.
[2] L’OIAC s’est bien gardée de
révéler que les armes chimiques saisies
à Douma avaient été élaborées en
Angleterre, à Salisbury précisément. Si
lesagents du renseignement russe
n’avaient pas essayé de mettre leur nez
dans les labos de l’OIAC ils auraient
été accusés à juste titre par leurs
supérieurs de jeter leur budget par la
fenêtre et de ne pas mériter leurs
salaires.
De même pour la
découverte de l’identité des agents de
Salisbury. Rien ne permettait de relier
les deux hommes avec Mr. Skripal, ou à
son empoisonnement. Pas la moindre
séquence des interminables vidéos de
CCTV qui les montre se rapprochant de la
maison de Skripal. Même selon la version
britannique, ils ne pouvaient en rien
nuire à Mr Skripal, dans la mesure où
celui-ci avait quitté son domicile avant
qu’ils arrivent dans le voisinage, et où
il n’est jamais revenu.
De toutes façons
personne n’a pu approcher les Skripal
depuis leur supposé empoisonnement ;
c’est un coup de fil de Miss Skripal à
sa tante en Russie qui a pratiquement
fait s’effondrer l’histoire officielle
britannique. Si elle n’avait pas eu le
courage de lui téléphoner en échappant à
la surveillance du renseignement
britannique, elle serait probablement
morte et enterrée aujourd’hui. Si nous
voulons savoir qui aurait bien pu
empoisonner les Skripal, il suffirait de
poser aux Anglais une seule question,
pour laquelle ils ont la réponse : qui a
pris leur photo au restaurant juste
quelques minutes avant qu’ils ne
s’écroulent subitement ? Avec qui
étaient-ils en train de dîner ? Pourquoi
avaient-ils éteint leurs portables pour
ce rendez-vous ? Cela pourrait-il avoir
un rapport avec les ordres du
gouvernement britannique (interdisant de
publier certains éléments) au sujet d’un
certain Pablo Miller, l’agent traitant
du MI-6 gérant jadis Sergueï Skripal, et
résidant à Salisbury ?
Le gouvernement
britannique se refuse à évoquer le rôle
de Skripal dans la production du dossier
Douche dorée sur Trump, en
provenance de l’ex-espion Christopher
Steele, des bureaux de Orbis
Intelligence, alors même que cela
pourrait éclaircir certains points
mystérieux de l’histoire. Cela
justifierait l’intérêt des
Renseignements russe et américain pour
la ville de Salisbury.
Quoi qu’il en soit,
la présence des espions russes à
Salisbury peut s’expliquer par la
proximité de Porton Down, laboratoire
chimique secret et usine britannique
pour fabriquer des armes chimiques
utilisées par les
Casques blancs en Syrie dans leur
opération sous faux-drapeau à Douma
et en d’autres lieux. Il se pourrait
qu’un résident de Salisbury
(Skripal ?) ait fourni des échantillons
produits à Porton Down aux agents de
renseignement russe. Cela collerait
beaucoup mieux que l’histoire douteuse
des Russes s’efforçant d’empoisonner un
vieil espion à la retraite ayant purgé
sa peine dans une prison russe. De même,
l’histoire hollandaise des
hacqueurs russes en lien avec la
commission hollandaise qui enquête sur
le drame du vol MH17 de la Malaysian
Airlines semble réaliste. La commission
avait refusé aux Russes l’accès à leurs
découvertes ; cette malhonnêteté
obligerait n’importe quel service de
renseignement au monde à essayer de
savoir ce qu’ils avaient trouvé. Cela
n’aurait pas servi à grand-chose. La
commission hollandaise avait bien
découvert le numéro du missile qui avait
détruit le jet ; les Russes ont fouillé
dans leurs documents et prouvé que ce
missile bien spécifique avait été fourni
à l’Ukraine (du temps où c’était
une République soviétique) et qu’il
était resté là-bas. Une révélation qui
nous permet enfin de savoir ce qui s’est
passé : l’avion a été détruit par les
Ukrainiens, probablement par erreur, de
la même façon qu’ils avaient fait
exploser un autre
avion russe en octobre 2001.
Cependant, les médias occidentaux ont
ignoré cette révélation avec un bel
ensemble. Ils avaient décidé d’en tenir
la Russie pour responsable, et ils se
sont accrochés à cette version jusqu’au
bout. Même si le renseignement russe
trouvait et livrait au tribunal de La
Haye les soldats ukrainiens qui avaient
actionné le lance-missile, les
Hollandais, en tant que membres loyaux
de l’OTAN, auraient continué à regarder
ailleurs.
C’est ce qui
s’était produit dans le cas des attaques
chimiques en Syrie : les Russes et les
Syriens avaient retrouvé les
authentiques enfants qui avaient malgré
eux participé à la mise en scène et au
tournage de l’attaque par les Casques
blancs, et les avaient envoyés à l’OIAC.
Mais cela n’avait servi à rien. Ces
gens-là ne courent pas après la vérité,
ils se bornent à rabâcher la narration
qu’on leur a transmise. Malgré
cela, un service de renseignement russe
digne de ce nom aurait dû aller encore
plus loin de façon à aider le
gouvernement à se débarrasser de ces
accusations injustes pour la Russie.
Leurs révélations sur l’activité russe
n’étaient pas particulièrement
dangereuses ou vicieuses. Mais tandis
que la question était en débat, était
survenue la révélation de quelque chose
de très douloureux et déconcertant.
Les services de
renseignement occidentaux sont parvenus
à avoir connaissance de tout ce qui se
passe en Russie. Ils ont obtenu les
bases de données sur la vie quotidienne
russe depuis les infractions routières
jusqu’aux scans des passeports, des
adresses privées aux appels de taxi, des
chats aux courriels, ce qui leur permet
de suivre les faits et gestes de chacun
en Russie, avec une incroyable
précision. Bien des bases de données ont
été volées et revendues par des escrocs
au petit pied ; les services occidentaux
ont fait un effort concentré pour
acheter tout ce qui est disponible sur
le marché noir ; certaines bases ont été
volées et vendues en crypto-monnaie,
dans l’internet profond.
Les données les
plus intéressantes avaient été vendues
par les escrocs et ou les traîtres,
tandis que le Centre du FSB dirigé par
le colonel Sergueï
Mikhailov, actuellement poursuivi
pour haute trahison, ne faisait rien
pour boucher la source de la fuite.
Il s’avère qu’en
vérifiant un passeport russe, les
services occidentaux peuvent trouver les
détenteurs d’un passeport qui a une
histoire avec des trous ou des fausses
pistes, les individus insuffisamment
« légendés » selon le lexique de leurs
échanges, ceux qui semblent relever de
services secrets. Les gens ont une
histoire, tandis que les agents ont des
légendes ; si ces légendes sont
bancales, on peut les tracer. Cela ne
concerne que les agents au bas de
l’échelle, les opérateurs qui ne sont
pas le dessus du panier, qui peuvent
avoir l’habitude de voyager en Occident
avec ce genre de couverture. Les agents
de haut rang ont une légende complète,
c’est-à-dire une histoire personnelle
complète (probablement fictive) et ils
utilisent probablement des passeports
étrangers.
En suivant les
messagers, les services occidentaux ont
pu découvrir les gens qui avaient envoyé
ou reçu des messages les félicitant à
l’occasion de la fête traditionnelle des
agents du KGB. C’est tout à fait courant
même sur Facebook, même si ce sont
plutôt des agents à la retraite, ou des
gens qui avaient eu un lien éphémère
avec les services. On peut se renseigner
sur cette débâcle grâce à Pavel
Vrublevsky, éminent opérateur
d’internet et homme d’affaires (qui a
créé Chronopay, le système russe de
paiements en ligne) qui a été décrit
comme le « cyberdélinquant n°1 mondial »
par un expert américain,
Brian Krebs, auteur de Spam
Nation. Vrublevsly a été
accusé par le colonel Mikhailov
d’attentat contre la sécurité sur
internet, et condamné à deux ans de
prison, mais il a été relâché lorsque
son archi ennemi Mikhailov s’est vu mis
en accusation pour haute trahison.
Vrublesky a rejeté les accusations de
Krebs. A son avis, celui-ci travaille
pour un service secret occidental, et il
a prêté main forte au traître Mikhailov.
Je ne saurais dire si c’est vrai ou
non ; en attendant, Vrublevski est
libre, tandis que Mikhailov est en
taule. Pavel Vrublevski m’a donné cette
explication des récents évènements qui
secouent les services russes,
spécifiquement pour le site
Unz.com.
La Russie est
unique, pour le relâchement de sa
sécurité sur internet, tout comme pour
ses règles de confidentialité et
pratiques diverses. Depuis des années,
toutes les bases de données de la Russie
ont été volées et revendues, tandis que
le ISC du
FSB ne faisait rien, ou pas
grand-chose, pour combattre le pillage.
Vrublevsky pense que le FSB a en fait
été égaré par les services occidentaux,
et qu’il a concentré ses efforts sur la
guerre aux virus, vers et chevaux de
Troie, alors que c’était un gaspillage
d’énergie et de temps en pure perte. Les
bases de données dérobées ont permis à
l’Occident de dresser un tableau presque
complet des espions russes du premier
échelon. Vrublevsky pense que le
renseignement britannique a su
convaincre le GRU (nous devrions
probablement dire que le G"R"U ne
s’appelle plus que GU, du nom du bureau
restreint qui est à sa tête, mais cela
n’a guère d’importance) que Skripal
voulait rentrer chez lui en Russie. On
leur a fait entendre que Mr Skripal
tentait d’offrir en échange de son
retour certains tuyaux de valeur,
comprenant les données de Porton Down et
les secrets du dossier Douche dorée. Il
est possible que Skripal ait été dupé à
son tour ; peut-être qu’effectivement il
voulait rentrer en Russie, son pays lui
manquant cruellement.
Deux agents du GRU,
censés experts en extractions (ils sont
réputés avoir exfiltré le président
ukrainien Yanoukovitch d’Ukraine après
le coup d’Etat, et l’avoir fait échapper
à un lynchage par la foule) furent donc
envoyés à Salisbury pour tâter le
terrain et préparer les conditions pour
le retour de Skripal.
Comme nous l'avons
appris par les vidéos et captures
d'écran mises en ligne par les
Britanniques, les deux hommes avaient
été suivis pas à pas, du début jusqu'à
la fin. Pendant ce temps, le
renseignement britannique mettait en
scène « l’empoisonnement » de Skripal et
de sa fille, et les deux agents
rentraient sans attendre au bercail.
Personne, dans les
cercles proches du renseignement russe,
ne pense que Skripal ait pu être
empoisonné réellement par les Russes.
D’abord, parce qu’il n’y avait aucune
raison pour ce faire, puis parce que si
les Russes l’avaient fait, il ne s’en
serait pas remis ; c’est ce qui était
arrivé au collabo ukrainien Stepan
Bandera.
Or, en jouant cette
carte, le service secret britannique a
convaincu le Foreign Office d’expulser
tous les diplomates qui avaient des
contacts et des liens avec les agents
exposés du GRU. Et l’expulsion massive
de 150 diplomates a causé des dommages
graves aux services secrets russes.
Reste que les
Russes n’avaient pas idée de la façon
dont l’Occident avait découvert
l’identité de tant de diplomates liés au
GRU. Ils soupçonnaient qu’une taupe,
ayant retourné sa veste, avait livré le
dossier à l’ennemi.
C’est la raison
pour laquelle Poutine avait choisi de
les mettre au défi. Comme il savait que
les deux hommes identifiés par le
service britannique n’avaent aucun lien
avec l’empoisonnement supposé, il leur a
demandé de se prêter à une
interview sur RT, avec Mme Simonyan.
En se montrant comme des idiots du
village, ils auraient dû obliger
l’ennemi à révéler ses sources. Mais le
résultat fut inattendu : au lieu de
révéler le nom d’un bavard, le site
Belling Cat ["le grelot du chat"]
utilisé par les services secrets
occidentaux pour des fuites
intentionnelles, expliqua comment ces
hommes avaient été pistés grâce aux
bases de données volées. Le plan de
Poutine lui explosait à la figure.
Le service secret
russe d’est pas mort. Les services de
renseignement subissent bel et bien des
attaques ennemies de temps à autre : les
Cinq de Cambridge avaient infiltré
les plus hautes sphères du MI-5 et
avaient fait passer des secrets d’Etat à
Moscou pendant longtemps, mais cela n’a
pas empêché le MI-5 d’y survivre. Les
romans de John le Carré se basaient sur
de semblables échecs du renseignement.
Cependant, les Russes ont un moyen pour
se refaire. L’identité de leurs agents
au sommet reste secrète, ils restent
inaccessibles au regard de l’ennemi.
Mais pour
fonctionner correctement, les Russes
vont devoir nettoyer leurs écuries,
retirer leurs bases de données de la
place publique, et veiller
raisonnablement à la sécurité de leurs
concitoyens. Des agents relâchés et qui
ne sont pas à jour ne comprennent
apparemment pas à quel degré l’internet
est sous surveillance. Si l’on tient
compte que ceci aurait dû être fait il y
a vingt ans, et qu’une nouvelle
génération de Russes est entrée en
action, parfaitement préparée pour
revendre tout ce qu’elle peut pour du
liquide, c’est une tâche redoutable.
Il y a une autre
raison de se faire du souci. Une
opération aussi massive contre les
agents russes et leurs contacts pourrait
être le signal d’une guerre imminente.
Dans des circonstances normales, les
Etats ne révèlent pas l’étendue de leur
repérage des agents ennemis. Cela
tracasse le président Poutine, et il a
dit, cette semaine : « après
l’holocauste nucléaire, nous les Russes
irons au paradis en martyrs, les
attaquants mourront comme des
pécheurs ». Face à des menaces multiples
et récentes, cette fin du monde est
tout-à-fait possible.
Source: http://www.unz.com/ishamir/cloak-and-dagger/
Traduction : Maria
Poumier
Contact: israelshamir@gmail.com
[1] Affaire
Skripal : le deuxième suspect avait été
décoré par Poutine
https://www.rtl.fr/.../affaire-skripal-le-deuxieme-suspect-avait-ete-decore-par-poutine-...
9 oct. 2018 - Le site d'investigation
"Bellingcat" cite
notamment une photographie montrant le
président russe serrer la main du
deuxième suspect, qui serait ...
[2]
https://www.les-crises.fr/la-defense-russe-affirme-que-les-casques-blancs-ont-tourne-u...
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