Opinion
L'Ukraine en plein bouleversement
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir - Photo: D.R.
Mercredi 21 mai 2014
Ce n’est pas
très drôle d’être à Kiev ces jours-ci.
L’excitation révolutionnaire est
retombée, et l’espoir de voir arriver de
nouveaux visages, la fin de la
corruption et une amélioration
économique, tout cela s’est flétri. La
révolte de la place Maidan et le coup
d’État qui s’en est suivi n’ont fait que
rebattre le même jeu de cartes
biseautées de ceux qui reviennent sans
cesse au pouvoir.
Le nouveau
président en exercice a été premier
ministre et un grand chef du KGB (appelé
SBU en ukrainien). Le nouveau premier
ministre en exercice a été ministre des
Affaires étrangères. L’oligarque le plus
susceptible d’être élu dans quelques
jours a été ministre des Affaires
étrangères, directeur de la banque
d’État et trésorier personnel de deux
coups d’état : en 2004 (pour installer
Iouchtchenko) et en 2014 (pour
s’installer lui-même). Sa concurrente
principale, Mme Tymochenko, a été
premier ministre pendant des années,
jusqu’à sa défaite électorale de 2010.
Ce sont ces
gens qui ont amené l’Ukraine à son état
présent d’abjection. En 1991, l’Ukraine
était plus riche que la Russie.
Aujourd’hui, elle est trois fois plus
pauvre, à cause des vols et de la
mauvaise gestion de ces gens-là. Ils se
préparent aujourd’hui à jouer un très
vieux tour : emprunter au nom de
l’Ukraine, empocher l’oseille et laisser
le pays se débrouiller avec la dette.
Ils vendent tous les actifs de l’État à
des compagnies privées occidentales et
font appel à l’OTAN pour qu’elle
vienne protéger leurs investissements.
Ils jouent à
un jeu très dur, avec coups de poings
américains et tout. La Garde Noire, la
nouvelle
force armée de type SS du Secteur Droit,
rôde dans tout le pays. Ils arrêtent ou
tuent dissidents, militants et
journalistes. Des centaines de soudards
américains de la compagnie militaire
« privée » Academi (précédemment
Blackwater) sont déployés dans toute la
Novorussie, c'est-à-dire les provinces
de l’Est et du Sud-Est. Des réformes
exigées par le FMI ont réduit les
retraites de moitié et fait doubler le
prix des loyers. Sur le marché, les
rations de l’armée US ont remplacé les
produits alimentaires locaux.
Le nouveau
régime de Kiev ne peut plus prétendre
à la démocratie après avoir
expulsé
les communistes du Parlement.
Ceci devrait les rendre encore plus
chers au cœur des États-Uniens. Expulsez
des communistes, faites appel à l’OTAN,
condamnez la Russie puis organisez une
gay-pride et vous pourrez vous permettre
n’importe quoi, même faire griller vifs
des douzaines de citoyens. Ce qu’ils ont
fait.
Les formes
les plus brutales de répression se sont
abattues sur la Novorussie industrielle,
et sa classe laborieuse déteste la
clique des oligarques et des
ultra-nationalistes. Après le brasier
infernal d’Odessa et les fusillades pour
le plaisir dans les rues de Melitopol,
les deux provinces de Donetsk et de
Lugansk ont pris les armes et déclaré
leur indépendance vis-à-vis du régime de
Kiev. Elles ont été prises sous le feu
mais ne se sont pas rendues. Les six
autres provinces russophones de
Novorossie ont été rapidement
intimidées. Dniepropetrovsk et Odessa
ont été plongées dans la terreur par
l’armée personnelle de M. Kolomoïsky ;
Kharkov a été roulée par son fourbe
gouverneur. La Russie n’est pas
intervenue et n’a pas soutenu la
révolte, à la grande détresse des
nationalistes russes d’Ukraine et de
Russie, qui parlent de « trahison ».
Autant pour la rhétorique
va-t-en-guerre de McCain et de
Brzezinski.
Le respect de
Poutine pour la souveraineté des autres
est exaspérant. Je sais que ceci a l’air
d’une blague – on en entend tellement
sur Poutine « nouvel Hitler »…
En réalité, Polutine a eu une
formation juridique avant d’entrer dans
les Services secrets. C’est un adepte
pointilleux de la loi internationale. Sa
Russie s’est mêlée des autres États bien
moins que la France ou l’Angleterre, ne
parlons même pas des États-Unis. J’ai
demandé à son conseiller principal, M.
Alexei Pushkov, pourquoi la Russie n’a
pas essayé d’influencer les esprits des
Ukrainiens, pendant que Kiev bourdonnait
d’Américains et d’Européens. « Nous
pensons qu’on n’a pas le droit
d’intervenir » m’a-t-il répondu comme un
bon petit écolier. Il est plus probable
que les conseillers de Poutine ont mal
évalué le sentiment public. « La
majorité de la population de Novorossie
n’aime pas le nouveau régime de Kiev,
mais elle est politiquement passive et
conservatrice ; elle se soumlettra à son
pouvoir. » ont-ils estimé. « Les
rebelles ne sont qu’un petit groupe
d’exaltés, sans aucun soutien populaire,
sur qui on ne peut pas compter » était
leur façon de voir. En conséquence,
Poutine a demandé aux rebelles de
postposer indéfiniment leur réferendum,
façon polie de leur dire " laissez
tomber".
Ils ont
ignoré sa demande avec un sang-froid*
considérable et sont allés voter en
masse* pour la sécession d’avec
l’Ukraine. Le taux de participation a
été plus élevé qu’on ne s’y attendait.
L’adhésion à la mutation a été
pratiquement totale. Comme me l’a dit
une personne bien informée du Kremlin,
ce développement n’avait pas été prévu
par les conseillers de Poutine.
Les
conseillers ne s’étaient peut-être pas
trompés, mais trois événements ont
changé la mentalité des électeurs et
envoyé ce peuple placide sur les
barricades et aux urnes.
1. Le premier
a été l’holocauste d’Odessa, où des
ouvriers qui manifestaient paisiblement
et sans armes ont été sauvagement
attaqués par des tueurs du régime
(l’équivalent des shabab de
Moubarak), qui les ont rabattus sur le
Quartier Général des Syndicats. Le
bâtiment a été incendié et la Garde
Noire a mis en place des snipers,
chargés de ne pas rater quiconque aurait
tenté de s’échapper de cet enfer. Une
cinquantaine d’ouvriers russophones,
généralement d’un certain âge, ont été
brûlés vivants et abattus dès qu’ils
tentaient d’atteindre une porte ou une
fenêtre. Cet événement effrayant a été
une occasion de joie et de rigolade pour
les Ukrainiens « nationalistes » qui se
sont moqués de leurs compatriotes
suppliciés en les traitant de scarabées
grillés ». (On dit que cet autodafé a
été organisé par les troupes de choc de
l’oligarque juif Kolomoïsky, qui
convoitait le port d’Odessa. En dépit de
son air de nounours en peluche, c’est
quelqu’un de pugnace et de violent, qui
a offert dix mille dollars par Russe
capturé mort ou vif, et mis froidement
un contrat d’un million de dollars sur
la tête de M. Tsarev, membre du
parlement du Donetsk.)
2. Le
deuxième a été l’attaque de Mariupol, le
9 mai 2014. C'est le jour où les Russes
commémorent la victoire sur l’Allemagne
nazie. En Occident, c’est le 8. Le
régime de Kiev a interdit toutes les
commémorations de la Victoire. À
Mariupol, la Garde Noire a attaqué la
ville paisible et sans armes, a mis le
feu au quartier général de la police et
a assassiné les policiers qui avaient
refusé d’interdire le cortège festif.
Après quoi, ils ont lâché des chars dans
les rues, tué des citoyens à
l’aveuglette et détruit des immeubles.
L’Ouest n’a
pas émis une seule protestation. Nuland
et Merkel n’ont pas été
horrifiées par ces meurtres en
masse comme elles l’avaient été par les
timides essais de maintien de l’ordre de
Ianoukovitch. Les habitants de ces deux
provinces se sont sentis abandonnés. Ils
ont compris que personne n’allait venir
les sauver ni même les protéger ; qu’ils
ne pourraient compter que sur eux-mêmes,
et ils sont allés voter.
3. Le
troisième événement a été bizarrement
l’Eurovision, c’est-à-dire le choix, par
le jury, du travesti autrichien Conchita
Wurst, comme gagnant de son concours de
chant. Les Novorossiens, sains d’esprit,
ont décidé qu’ils n’avaient pas envie de
faire partie de cette Europe-là.
À vrai dire,
les peuples d’Europe n’en ont pas envie
non plus : il paraît que la majorité des
téléspectateurs anglais préféraient le
duo polonais, Donatan et Cleo, et leur
chanson « Nous sommes slaves ». Donatan
est à moitié russe et il a provoqué
naguère quelque controverse en exaltant
les vertus du pan-slavisme et les
exploits de l’Armée Rouge, rapporte
The Independent. Les membres
politiquement corrects du jury ont
préféré « célébrer la tolérance », le
paradigme dominant imposé à l’Europe.
C’est le deuxième travesti à remporter
ce très politique concours de chant, le
premier ayant été l’Israélien Dana
International. Une telle obsession du
« genre » a été jugée indigeste par les
Russes et/ou les Ukrainiens.
Les Russes
ont réajusté leur point de vue, mais ils
n’ont pas l’intention de faire entrer
leurs troupes dans les deux républiques
insurgées, à moins que des événements
très dramatiques ne les y obligent.
Plans russes
Imaginez que
vous vous êtes mis sur votre
trente-et-un pour une soirée à Broadway,
mais que vos voisins se sont embarqués
dans une violente dispute et que vous
soyez obligé d’intervenir et de vous
occuper de l’embrouille au lieu d’aller
voir la pièce à laquelle vous vous
réjouissiez d’assister, avant de dîner
et peut-être de finir la nuit en galante
compagnie. C’est la situation dans
laquelle s’est trouvé Poutine par
rapport aux bouleversements ukrainiens.
Il y a
quelques mois d’ici, la Russie avait
fait un énorme effort pour devenir – et
pour être considérée comme – un état
européen très civilisé d’amplitude
majeure. C’est le message que devaient
donner les Jeux Olympiques de Sotchi :
corriger l’image de marque de la Russie
et même la réinventer, comme Pierre le
Grand l’avait fait en son temps pour lui
donner sa place dans le monde d’alors ;
un pays étonnant, de forte tradition
européenne, celui de Léon Tolstoi, de
Malevitch, de Tchaïkovski et de
Diaghilev, un pays d’arts, d’audacieuses
réformes sociales, de prouesses
techniques, de modernité et même
au-delà… la Russie de
Natasha Rostova
pilotant un hélicoptère Sikorski.
Poutine a dépensé 60 milliards de
dollars pour diffuser cette image.
Le vieux
renard d'Henry Kissinger a dit très
pertinemment :
« Poutine a
dépensé 60 milliards de dollars pour les
jeux de Sotchi. Ils se sont payé une
grande cérémonie d’ouverture et une
autre de clôture pour montrer la Russie
comme un pays progressiste normal. Il
n’est donc pas possible que, trois jours
plus tard, il ait voulu lancer un assaut
sur l’Ukraine. Il ne fait aucun doute
qu’il a toujours souhaité l’Ukraine en
position subordonnée. Il ne fait aucun
doute non plus que tous les Russes de
première importance que j’ai rencontrés,
y compris les dissidents tels que
Soljenitzine et Brodsky, ont toujours
considéré l’Ukraine comme faisant partie
de leur patrimoine. Mais je ne pense pas
que Poutine ait jamais eu l’intention de
se précipiter dans une crise en ce
moment. »
Cependant,
les faucons de Washington ont décidé de
faire absolument n’importe quoi pour
ostraciser la Russie. En fait, ils ont
très peur de cette image d’un « état
progressiste normal », parce qu’une
telle Russie rendrait l’OTAN sans objet
ni justification et aurait pour résultat
de saper la dépendance de l’Europe
vis-à-vis des États-Unis. Or, ils ont la
volonté inflexible de conserver leur
hégémonie, toute anéantie qu’elle soit
par la confrontation syrienne. C’est
pourquoi ils ont attaqué les positions
russes en Ukraine, organisé un coup
d’état violent et installé un régime
férocement anti-russe en y employant des
supporters
de
football et des milices neo-nazies
financés par des oligarques juifs et les
contribuables américains. Les vainqueurs
ont déclaré hors-la-loi l’usage de la
langue russe et se préparaient à rendre
nuls les traités signés avec la Russie
sur la base navale de Crimée,
Sébastopol. Cette base serait devenue,
grâce à eux, une nouvelle grande base de
l’OTAN, qui aurait ainsi pu contrôler la
Mer Noire et menacer la Russie.
Poutine a dû
réagir vite, et c’est ce qu’il a fait en
accédant à la demande du peuple de
Crimée de faire partie de la Fédération
de Russie. Cela a réglé le problème
immédiat de la base, mais il restait le
problème de l’Ukraine.
L’Ukraine
n’est pas une entité étrangère pour les
Russes, c’est la moitié occidentale de
la Russie. Les populations des deux
moitiés sont unies par des liens
familiaux, de culture et de sang ; leurs
économies sont étroitement liées. Un
état ukrainien séparé est viable, c’est
une possibilité, mais un État
« indépendant » hostile à la Russie
n’est pas viable et ne sera toléré par
aucun chef d’état russe. Et cela, pour
des raisons militaires aussi bien que
culturelles : si Hitler avait commencé à
envahir la Russie à partir de ses
frontières actuelles, il aurait pris
Stalingrad en deux jours et détruit la
Russie en une semaine.
Un chef de
l’État russe plus pro-actif que Poutine
aurait envoyé des troupes à Kiev depuis
longtemps. C’est ce qu’avait fait le
tsar Alexis, quand les Polonais, les
Cosaques et les Tatars la lui ont
disputée. C’est aussi ce qu’avait
fait Pierre le Grand, quand les Suédois
l’ont occupée au XVIIIe siècle. Et c’est
ce qu’a fait Lénine, quand les Allemands
ont configuré leur Protectorat
d’Ukraine : il l’appelait « la paix
obscène »; c’est enfin ce qu’a fait
Staline, quand les Allemands ont
réoccupé l’Ukraine en 1941.
Poutine
espère toujours régler le problème par
des moyens pacifiques. En fait, avant le
rattachement de la Crimée, la majorité
des Ukrainiens et pratiquement tous les
Novorossiens préconisaient en masse une
union de quelque espèce avec la Russie.
Sans cela, le coup d’état de Kiev n’eût
pas été nécessaire. Le
rattachement de la Crimée a écorné
l’attrait qu’exerçait jusque là la
Russie. Les
Ukrainiens n’ont pas apprécié
l’amputation. Les responsables du
Kremlin s'y attendaient, mais il
leur a fallu accepter la Crimée pour
plusieurs raisons. Premièrement, une
perte de la base navale de Sébastopol au
profit de l’OTAN était une alternative
trop horrible à envisager. Deuxièmement,
les Russes n’auraient pas compris que
Poutine refuse la demande des Criméens.
Les faucons
de Washington espèrent toujours
contraindre Poutine à intervenir
militairement, ce qui leur fournirait
l’occasion d’isoler la Russie, d’en
faire un « monstrueux » état-paria, de
regonfler leurs budgets militaires et de
dresser l’Europe et la Russie l’une
contre l’autre. Ils se fichent
éperdument de l’Ukraine et des
Ukrainiens ; ils s’en servent pour
atteindre leurs buts géopolitiques.
Les Européens
aimeraient bien tondre l’Ukraine,
importer ses hommes comme travailleurs
illégaux pas chers et ses femmes comme
prostituées, ils aimeraient la
dépouiller de ses actifs et la
coloniser. Ils l’ont fait avec la
Moldavie, une petite sœur de l’Ukraine,
la plus misérable des ex-républiques
soviétiques. L’U.E. n’aurait rien contre
une petite claque à la Russie, histoire
de lui en faire un peu rabattre. Mais
l'U.E. n’y met pas de ferveur
particulière. D’où les différences
d’attitude.
Poutine
préférerait pouvoir continuer à
moderniser la Russie. Le pays en a
réellement besoin. Les infrastructures
se traînent vingt ou trente ans derrière
celles des pays occidentaux. Fatigués de
cette arriération, des jeunes Russes
préfèrent souvent émigrer à l’Ouest, et
cette fuite des cerveaux cause beaucoup
de dommages à la Russie, enrichissant
l’Occident à ses dépens. Même Google est
le résultat de ce pompage, puisque
Sergei Brin est, lui aussi, un immigré
russe. Comme le sont des centaines de
milliers de scientifiques et d’artistes
russes qu’on retrouve dans les
laboratoires, les théâtres et les
orchestres d’Occident. La libéralisation
politique n’est pas suffisante. Les
jeunes Russes veulent de bonnes routes,
de bonnes écoles et une qualité de vie
comparable à celle des pays occidentaux.
C’est ce que Poutine est occupé à leur
apporter.
Il y réussit
plutôt bien. Moscou a maintenant des
bicyclettes en libre-accès et la Wi-fi
dans les parcs, comme n’importe quelle
grande ville d’Europe. Les chemins de
fer ont été améliorés. On est en train
de construire des centaines de milliers
d’appartements, davantage même que
pendant l’ère soviétique. Les salaires
et les retraites ont augmenté dans la
proportion de 7 à 10 fois ce qu’ils
étaient, au cours de la dernière
décennie. La Russie est toujours un peu
dépenaillée, mais elle est en bonne
voie. Poutine veut poursuivre cette
modernisation.
Pour ce qui
est de l’Ukraine et des autres États
ex-soviétiques, Poutine préférerait
qu’ils gardent leur indépendance, qu’ils
soient amicaux et qu’ils oeuvrent à leur
aise vers une intégration à la manière
de l’Union Européenne. Il ne rêve pas
d’un nouvel empire. Il rejetterait même
cette possibilité qui ne pourrait que
retarder ses plans de modernisation.
Si les
sinistres néo-cons ne lui avaient pas
forcé la main en expulsant le président
légitimement élu de l’Ukraine et en y
installant leurs fantoches, le monde
aurait pu jouir d’une longue période de
paix. Mais dans ce cas, l’alliance
militaire occidentale sous la houlette
des États-Unis serait tombée en
désuétude, l’industrie des armes US se
serait mise à péricliter et l’hégémonie
US à s’évaporer. La paix ne vaut rien
pour le complexe militaro-industriel des
États-Unis ni pour la machine médiatique
à fabriquer de l’hégémonie. C’est
pourquoi rêver à la paix de notre vivant
a toutes les chances de rester un rêve.
Que va faire
Poutine ?
Poutine va
éviter aussi
longtemps que possible d’envoyer des
troupes en Ukraine. Il devra protéger
les deux provinces éclatées, mais c’est
une chose qui peut se faire à distance,
à la manière dont les USA soutiennent
les rebelles en Syrie par exemple. Sauf
si un bain de sang à large échelle se
produit, les troupes russes se
contenteront de rester, vigilantes, aux
frontières et d’y tenir en respect la
Garde Noire et autres forces offensives
du régime.
Poutine
essayera d’arriver à un accord avec
l’Ouest sur un partage d’autorité,
d’influence et d’engagement économiques
vis-à-vis de l’état failli. Cela peut se
faire par la fédéralisation ou au moyen
d’un gouvernement de coalition, voire
même par la partition. Les provinces
russophones de Novorossie sont celles de
Kharkov (industrie), de Nikolaev
(chantiers navals), d’Odessa (port), de
Donetsk et de Lugansk (mines et
industrie), de Dniepropetrovsk (missiles
et haute technologie), de Zaporozhe
(acier), de Kherson (eau pour la Crimée
et chantiers navals) toutes établies,
construites et peuplées par des Russes.
Elles pourraient se détacher de
l’Ukraine et former une Novorossie
indépendante, un état de taille moyenne,
mais quand même plus grand que certains
États voisins. Cet État pourrait
rejoindre l’union formée par la Russie
et le Bélarus, et/ou s’associer à
l’union douanière conduite par la
Russie. Ce qui resterait de l’Ukraine –
une sorte d’état croupion – pourrait se
débrouiller comme bon lui semblerait,
jusqu’à ce qu’elle décide de se joindre
ou non à ses sœurs slaves de l’Est. Un
tel arrangement pourrait produire deux
États cohérents et homogènes.
Une autre
possibilité (beaucoup moins susceptible
de se concrétiser en ce moment) serait
une division en trois parties de
l’Ukraine en faillite : la Novorossie,
l’Ukraine proprement dite et la
Galicie-&-Volyn. Dans ce cas de figure,
la Novorossie serait fortement
pro-russe, l’Ukraine serait neutre et la
Galicie fortement pro-occidentale.
L’Union
Européenne pourrait accepter cette
solution, mais les États-Unis ne
seraient sûrement pas d’accord sur un
partage des pouvoirs en Ukraine. Dans le
bras-de-fer qui se profile, quelqu’un
vaincra. Si l’U.E. et les USA tirent
dans des directions différentes, ce sera
la Russie. Si la Russie accepte un
positionnement pro-occidental d’à peu
près toute l’Ukraine, les USA gagneront.
Le bras-de-fer pourrait aussi déraper et
provoquer une guerre totale, avec
beaucoup de participants et un usage
probable d’armes nucléaires. C’est un
« jeu de la poule mouillée » où celui
qui a les nerfs les plus solides et le
moins d’imagination restera sur ses
positions jusqu’à l’ultime seconde.
Le pour et le
contre
Il est trop
tôt pour prédire qui gagnera dans la
confrontation qui vient. Pour le
président de Russie, il est extrêmement
tentant de s'emparer de toute l’Ukraine
ou au moins la Novorossie, mais ce n’est
pas chose facile, et cela provoquerait
beaucoup d’hostilité de la part des
puissances occidentales.
Si elle
récupérait l’Ukraine, la Russie serait
enfin totalement remise de sa déchéance
de 1991, sa force serait doublée, sa
sécurité assurée et un grave danger
serait écarté. La Russie redeviendrait
grande. Les populations vénèreraient
Poutine comme le restaurateur de la
Patrie.
Toutefois,
les efforts russes pour donner l’image
d’un pays moderne, pacifique et
progressiste seraient réduits à néant ;
la Russie serait perçue comme un
agresseur et mise au ban des organismes
internationaux. Les sanctions vont
mordre ; les importations de hautes
technologies peuvent être mises sous
embargo comme au temps de l’Union
soviétique.
Les élites russes répugnent à
compromettre leur bonne vie. L’armée
russe n’a commencé que tout récemment sa
modernisation et n’est pas enthousiaste
à l’idée de combattre pour l’instant –
ne pourra pas l’être avant une bonne
dizaine d’années sans doute – mais si
elle se sent acculée, si l’OTAN pénètre
en Ukraine de l’Est, elle se battra.
Certains
politiciens russes
et observateurs étrangers pensent
que l’Ukraine est un cas désespéré.
D’après eux, ses problèmes seraient trop
importants pour pouvoir être résolus.
Cette estimation a un arrière-goût de
raisins trop verts, mais elle est très
répandue. Une nouvelle voix intéressante
sur le web,
le Saker,
est de cet avis. « Que l’Union
Européenne et les USA s’y collent pour
soutenir l’Ukraine, puisqu’ils la
veulent. Les Ukrainiens reviendront vers
Mère Russie quand ils auront assez
faim » dit-il. Le problème, c’est qu’on
ne leur permettra pas de changer d’avis.
La junte ne s’est pas violemment emparée
du pouvoir pour se le laisser reprendre
par les urnes.
http://vineyardsaker.blogspot.be/
Par ailleurs,
l’Ukraine n’est pas en aussi mauvais
état que certains le disent. L’Ukraine
peut atteindre le niveau de
développement de la Russie très
rapidement… en s’unissant à la Russie.
Livrée au Conseil de l’Europe, au FMI et
à l’OTAN, elle deviendra un cas
désespéré, si elle ne l’est pas déjà. Il
en va de même pour tous les États
d’Europe de l’Est ex-soviétiques : ils
peuvent prospérer modestement avec la
Russie, comme le font le Belarus et la
Finlande, ou se dépeupler et souffrir du
chômage et de la pauvreté avec le reste
de l’Europe et l’OTAN, contre la Russie,
voir la Lettonie, la Hongrie, la
Moldavie, la Géorgie. C’est de l’intérêt
de l’Ukraine de rejoindre la Russie dans
un cadre adéquat. Les Ukrainiens l’ont
compris, c’est pourquoi on ne leur
permettra pas d’avoir des élections
démocratiques.
La Novorossie
en ébullition a la possibilité de
changer la donne. Si les troupes russes
n’entrent pas dans le pays, les insurgés
novorossiens peuvent repousser
l’offensive de Kiev et entamer une
contre-offensive pour reconquérir le
reste du pays, en dépit des conseils de
modération de Poutine. Alors, dans une
guerre civile à part entière, l’Ukraine
forgera son destin.
Sur un plan
personnel, Poutine est confronté à un
choix difficile. Les nationalistes
russes ne le lui pardonneront jamais,
s’il abandonne l’Ukraine sans combattre.
Les États-Unis et l’Europe menacent la
vie même du président russe : leurs
sanctions, en frappant de plus en plus
ses proches et ses associés, les
encouragent à se débarrasser de lui ou
même à l’assassiner, pour et
améliorer ensuite leurs propres
relations avec l’Occident. La guerre
peut éclater à tout instant comme cela
s'est produit par deux fois au cours du
siècle passé, bien que la Russie ait
tout fait pour l’éviter les deux fois.
Poutine essaie d’au moins la différer le
plus longtemps possible, mais pas à
n’importe quel prix.
Le choix
qu’il doit faire n’est pas facile.
Tandis que la Russie se tâte et que les
USA multiplient les risques, le monde se
rapproche de l’abîme nucléaire. Qui se
dégonflera ?
Traduction:
CL et MP pour Les Grosses Orchades
http://www.plumenclume.net/articles.php?pg=art1599
On peut
joindre Israël Shamir à l’adresse
adam@israelshamir.net
* en français
dans le texte
Le sommaire d'Israël Shamir
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