Opinion
Le triangle fatidique:
la Russie, l'Ukraine et les juifs
Israël Adam Shamir

Israël
Adam Shamir - Photo: D.R.
Vendredi 20 juin 2014
Les bas-reliefs
érotiques des temples hindous, avec
leurs positions qui défient la gravité
et les lois de l'anatomie ont désormais
de la concurrence, avec la crise
ukrainienne. Chaque partie veut avoir
les juifs de son côté, tout en
prétendant que l'autre bord est
anti-juif et néanmoins téléguidé par les
juifs tout à la fois. Cette position
intenable et kamasoutresque est le
résultat d'une série d'alliances
extrêmement confondantes. Le régime
actuel de Kiev comporte des juifs tout
dévoués et des antisémites sauvages aux
places capitales. Les figures de proue
du régime (y compris le président élu)
sont d'origine juive; l'homme fort et le
financier en chef Igor Kolomoysky est
une éminence publique parmi les juifs,
édificateur de nombreuses synagogues et
fervent d'Israël. Mais la force la plus
décidée et agissante du régime, les
ultra-nationalistes du parti Svoboda et
le Secteur Droit, admirent Hitler et son
quisling ukrainien, Stepan Bandera, ces
"libérateurs de l'Ukraine qui ont su
rejeter le joug judéo-moscovite", comme
ils disent. Les juifs sont ambivalents,
et les deux bords aussi sont ambivalents
chez eux, si bien qu'on est au cœur
d'une intrigue très divertissante.
Les Russes ont essayé d'attirer Israël
et les juifs américains dans leur camp,
mais n'ont pas eu beaucoup de succès. Le
président Poutine a condamné
l'antisémitisme du parti Svoboda; il a
mentionné la profanation du cimetière
d'Odessa dans son discours décisif. Les
Russes ont revitalisé le récit de la
Deuxième Guerre Mondiale, en identifiant
pleinement le régime de Kiev avec les
gangs de Bandera et l'ennemi nazi. Et
pourtant, cette rhétorique n'est pas
prise au sérieux par les juifs, qui
refusent de se sentir menacés par le
féroce Kolomoysky. "Ces nazis-là ne sont
pas contre les juifs, ils sont contre
les Russes, donc ce n'est pas un
problème juif", disent-ils.
Le régime de Kiev a repris en miroir
l'attitude russe, et même la tactique
russe. N'ayant guère de faits à brandir,
ils ont fabriqué un faux tract attribué
aux rebelles de Donetsk, s'adressant aux
juifs locaux pour qu'ils aillent
s'enregistrer et payer une taxe spéciale
pour les élections, "parce que les juifs
soutiennent le régime de Kiev". Cette
imposture grossière et improbable a été
immédiatement désavouée, de façon
convaincante, mais Barak Obama a quand
même eu le temps den tirer profit, ainsi
que John Kerry. Le quotidien
américano-juif Forward a embrouillé tout
cela en disant que Russes comme
Ukrainiens sont antisémites de
naissance, et que leurs dénégations sont
à prendre avec des pincettes. Mais le
torrent de boue a fait son effet,
l'imposture avait fait les unes
nécessaires, et le démenti n'a figuré
qu'en dernière page des journaux.
Les Russes avaient les
faits pour eux, et l'Occident le savait:
les US ont refusé un visa à Oleg
Tyagnibok et à d'autres dirigeants de
Svoboda (qui sont maintenant membres du
gouvernement de Kiev) pour cause
d'antisémitisme jusqu'en 2013. Mais les
appels russes à la sensibilité juive et
américaine n'ont pas réussi à avoir le
moindre impact. Ils savent quand il faut
feindre l'indignation et quand il
convient de se taire. Les commémorations
pro-hitlériennes sont fréquentes en
Estonie, en Lettonie, en Croatie, et ne
provoquent pas un froncement de sourcil,
parce que ces contrées sont solidement
anti-russes. En mars de cette année,
l'envoyée spéciale de l'administration
Obama pour se pencher sur
l'antisémitisme, Ira Forman, a tout nié
platement, et a dit à Forward que les
assertions de Poutine au sujet de
l'antisémitisme de Svoboda "n'étaient
pas crédibles." Les US veulent décider
seuls qui est antisémite et qui ne l'est
pas, comme Hermann Goering voulait
décider qui était juif et qui ne l'était
pas, dans la Luftwaffe. Dans la crise
ukrainienne, les juifs restent divisés,
et suivent les préférences de leurs pays
respectifs.
Israël est neutre
Récemment, le premier ministre Netanyahu
a téléphoné au président Poutine.
Poutine est toujours joignable et
toujours courtois, pour Netanyahu, à
l'opposé du président Obama, qui montre
des signes d'irritation (il faut bien
reconnaître qu'Obama est obligé
d'écouter Netanyahu nettement plus
souvent, et ce, pendant des heures).
Netanyahu s'est excusé de ne pas pouvoir
venir à Saint-Pétersbourg pour la
semaine de la culture israélienne;
Shimon Peres, expérimenté et de toute
confiance, le remplacerait, en tant que
président israélien. Il s'est confondu
en excuses pour avoir laissé fuiter
l'annulation de sa visite dans les
médias, en plus.
C'est typique, chez le premier ministre
israélien: d'abord, il demande à être
invité, après quoi la Russie lui envoie
son invitation, puis il annule et le
fait savoir à la presse, ce qui lui
permet de gagner des points côté
américain. Il l'avait fait pour les JO
de Sotchi, il remet ça à
Saint-Pétersbourg. C'est comme ça que
s'exprime la neutralité israélienne.
Israël est explicitement neutre dans la
crise ukrainienne. Les Israéliens sont
sortis et n'ont pas voté lors de
l'Assemblée générale de l'Onu, ce qui a
consterné leurs sponsors américains. Ils
avaient une excuse fumeuse: le Foreign
Office était en grève. Les Américains
n'ont pas apprécié cette explication.
Grève ou pas grève, on vote!
Nous avons appris de nos collègues
israéliens les détails de l'échange
téléphonique entre Poutine et Netanyahu,
sur lequel s'est élaborée la neutralité
israélienne. Israël est fort ennuyé du
fait qu'en réponse asymétrique aux
sanctions US, la Russie puisse livrer
ses système de défens aérienne puissants
à l'Iran et à la Syrie. L'Iran et la
Syrie avaient signé un contrat de
fourniture d'armes il y a quelques
années, l'Iran avait payé son dû, puis
la livraison a été suspendue. L'Iran a
fait appel aux tribunaux pour réclamer
un dédommagement massif pour rupture de
contrat. De même, les Syriens devaient
avoir accès au système de missiles
sol-air S-300, qui leur permettrait de
protéger leur espace aérien des raids
israéliens. Les livraisons avaient
commencé. Netanyahu a supplié Poutine
d'y mettre le holà. Poutine a tout
d'abord objecté, en soulignant la nature
défensive du système. Alors Netanyahu a
expliqué au président russe que le S-300
permettrait aux Syriens de couvrir tout
le nord d'Israël, ou du moins la route
vers Haïfa, ce qui rendrait
inutilisables d'importants terrains
d'aviation, et mettrait également
l'aviation civile en péril. Poutine a
accepté d'arrêter les livraisons.
Vladimir Poutine est amical avec Israël.
Il a promis qu'il ne permettrait pas la
destruction d'Israël; il a promis de
sauver sa population si la situation
devenait vraiment dangereuse. Au cours
de la récente visite de Netanyahu à
Moscou, Poutine ne s'est pas laissé
entraîner par les projets que Lieberman
et Netanyahu lui faisaient miroiter
d'une ré-alliance avec Moscou plutôt
qu'avec Washington. Il a dit aux
Israéliens que leurs liens avec les US
étaient trop solides pour qu'un tel
renversement d'alliance soit concevable.
Poutine a dit que la Russie était
satisfaite du niveau actuel de leur
amitié, et qu'il ne demandait nullement
à Tel Aviv de relâcher ses liens avec
Washington. Poutine a visité Israël à
quelques reprises, et il a reçu le
premier ministre israélien au Kremlin.
L'ambassadrice israélienne, Mme Golender,
rencontre plus souvent Poutine que ses
homologues américain ou français.
Cette attitude amicale repose sur une
raison terre-à-terre: c'est que Poutine
se débrouille mal en anglais ou en
français, alors que l'ambassadrice lui
parle en russe, ce qui permet de se
passer d'ennuyeux interprètes. Plus
profondément, il y a le passé de
Poutine: c'est un surgeon des élites
libérales, il a été élevé à
Saint-Pétersbourg, a été formé par l'ultra-libéral
maire Sobchack, puis a reçu l'onction de
Boris Eltsine. Tout cela fait de lui un
sympathisant naturel des juifs et
d'Israël. Cette attitude chagrine
certains Russes ultra-patriotes, qui ont
fait circuler avec empressement sa
photo, avec kippa de rigueur, près du
Mur des Lamentations. Ils ont aussi
compté et recompté les oligarques juifs
de Moscou.
Certes, certains d'entre eux –les
Berezovsky, Gusinsky, Hodorkovsky – ont
dû décamper de leur base russe, mais le
président russe n'est certainement pas
un châtiment pour les grands pontes
juifs, ni le nouvel Hitler que l'on
prétend parfois. Abramovich et Friedman,
pour n'en mentionner que deux, gardent
sa confiance et sa porte leur est
toujours ouverte. Tant qu'ils ne se
mêlent pas de politique, aucun
oligarque, juif ou gentil, ne dérange
Poutine.
Il est également très amical avec les
intellectuels juifs et ces messieurs des
médias, même lorsqu'ils lui sont
outrageusement hostiles. Ainsi en
va-t-il de Masha Gessen, éditorialiste,
juive, lesbienne et vilipendant Poutine
à tout bout de champ; Alexeï Venediktov,
rédacteur en chef juif de l'Echo Moskvy,
un journal libéral et populaire qui
attaque Poutine tous les jours, et bien
d'autres, jouissent d'un accès
privilégié à Poutine en personne, alors
que pas un nationaliste russe, Alexander
Dougine au premier chef, ne peut se
vanter de l'avoir jamais rencontré en
privé.
L'affabilité de Poutine ne fait pas de
lui une source jaillissante de bienfaits
en réponse à chaque initiative juive. Il
a suspendu la livraison des S-300 à
l'Iran, mais a rejeté toutes les
ouvertures israéliennes pour couler l'lran,
la Syrie ou le Hamas. Au cours de leur
dernière conversation au téléphone,
Netanyahu a glapi que les Israéliens
avaient découvert des preuves de frappes
nucléaires iraniennes. Poutine a exprimé
poliment ses doutes, et lui a dit de
s'adresser à l'AIEA. Il a accepté de
recevoir les soi-disant experts
israéliens avec leurs preuves à Moscou,
mais il n'en est rien ressorti. Le
soutien de la Russie à la Palestine est
immuable, et il y a aussi une ambassade
palestinienne à Moscou.
Poutine a apporté son soutien à la
construction d'un musée juif spacieux à
Moscou, et il a personnellement
contribué à le financer, mais les
panneaux publicitaires proclament dans
les rues de la Russie la Résurrection du
Christ, la Pâque chrétienne et la
Nativité à Noël. Pas de vœux
saisonniers, mais l'affirmation,
ouvertement, de la chrétienté. La Russie
n'est pas comme les US ou l'UE, d'où les
signes extérieurs de la foi chrétienne
sont bannis, et jusqu'à la mention de
Pâques ou de Noël, tandis que toute
requête provenant des juifs doit être
immédiatement satisfaite. Les juifs
occidentaux s'offusquent (du moins c'est
ce que prétendent leurs organisations) à
chaque déploiement public de foi
chrétienne, mais les juifs russes s'en
fichent; d'ailleurs, ils se marient avec
des chrétiens, ils se convertissent en
rejoignent l'Église en nombre jamais
atteint auparavant. Et ils ne sont pas
solidement pro-israéliens, ceux qui
avaient été cédés à Israël.
De sorte que les juifs de Russie ne sont
pas un facteur d'influence pour le
président russe. Poutine fera ce qui est
juste selon la foi chrétienne, et ce qui
est bon pour la Russie, tel qu'il
l'entend, et nul ne saurait le
convaincre de capituler sur les points
réellement importants. D'autres
considérations, comme par exemple
l'amitié avec Israël, n'auraient qu'un
rang tout à fait mineur parmi ses
priorités. Cependant, pris dans la crise
ukrainienne, comme les Russes sont bien
ennuyés par les sanctions et les menaces
d'isolement, ils essaient d'attirer les
juifs de leur côté. Ceci les rend de
plus en plus accessibles à la
manipulation israélienne, qu'il s'agisse
de manœuvres décidées en haut lieu ou
d'initiatives privées.
La semaine dernière, l'historien
militaire israélien Martin van Creveld
est passé par Moscou. En 2003, il
s'était rendu célèbre en menaçant
l'Europe d'anéantissement nucléaire
(l'option "Sanson") en disant: "Israël a
la capacité de couler le monde entier
avec nous, et c'est ce qui va se passer,
avant qu'Israël se soumette à d'autres".
Cette fois-ci il a expliqué aux Russes
la nouvelle politique israélienne:
tandis que les US entrent dans leur
déclin, Israël doit diversifier et
consolider ses projets en se rapprochant
de Moscou, de Pékin et de Delhi, a-t-il
écrit dans le quotidien Izvestia.
Peut-être, mais sans aller trop loin. Un
flirt, certes, mais pas une galipette,
pas pour le moment.
Israël préfère s'en tenir à sa
neutralité. C'est facile, parce que e
commun du peuple (à l'exception des
Russes) ne s'intéresse pas aux affaires
russo-ukrainiennes, ignore la différence
entre Ukraine et Russie, et est plutôt
hostile aux uns comme aux autres. Ceci
est valable pour la gauche et pour la
droite; la gauche israélienne est encore
plus pro-américaine que la droite
israélienne. Et pour les Israéliens
d'origine russe, ils sont divisés à
égalité entre partisans de la Russie et
partisans du régime de Kiev. Tout en
gardant la politesse avec la Russie,
Israël ne cherche pas à se ranger aux
côtés de Moscou.
Les oligarques juifs d'Ukraine, les
Kolomoysky, Pinchuk, Rabinovitch, sont
intégrés au régime de Kiev, et ils
soutiennent l'extrême-droite israélienne
à grande échelle. Les hommes d'affaire
israéliens ont des investissements en
Ukraine, et les oligarques en ont en
Israël. Kolomoysky contrôle YushMash, le
prestigieux complexe de construction de
missiles à Dniepropetrovsk, et il
détient les secrets du missile
balistique Satan, l'arme stratégique
russe la plus puissante. On prétend
qu'il tente de partager ces secrets avec
les Israéliens. Si Israël voulait se
placer aux côtés de Moscou en ce qui
concerne l'Ukraine, la rupture avec
Washington serait inévitable, et Israël
ne cherche pas à la provoquer.
Quelques Israéliens de droite,
marginaux, soutiennent la Russie; ils
prétendent représenter l'opinion
publique israélienne et le gouvernement.
Ils s'efforcent de faire des collectes
dans le cadre de leurs promesses, avant
de fournir quoique ce soit. Mais ce
n'est pas là une entourloupe ordinaire;
ils essaient en fait d'obliger la Russie
à soutenir l'extrême droite sioniste.
Prenons le cas de l'activiste
russo-israélien d'extrême droite Avigdor
Eskin. Il clame que le gouvernement
israélien a d'ores et déjà décidé de
sauter du train US pour monter dans les
wagons russes, que des commandos
israéliens sont en route pour aller se
battre pour les Russes à Donetsk, et que
les autorités israéliennes vont retirer
sa nationalité israélienne à Kolomoysky.
Naturellement, c'est un tombereau
d'insanités, mais les Russes mordent à
l'hameçon avec appétit.
Avigdor Eskin est une personnalité haute
en couleurs, un converti à la foi juive
(dans la mesure où sa mère n'est pas
juive), un juif pratiquant, un ex-kahaniste
qui a été arrêté en Israël pour une
tentative de profanation de la mosquée
Al-Aqsa et d'un cimetière musulman, et
qui a passé deux ou trois ans dans une
geôle israélienne; il se donne du
"Rabbi" lui-même, et porte la barbe
longue. Après son stage en prison, il a
déménagé en Russie et a bâti un réseau
de soutien à Israël parmi les Russes
d'extrême-droite. Son message, c'est:
"Israël est un ami véritable de la
Russie, tandis que les musulmans sont
les ennemis de la Russie." Il ajoute en
outre que les colons israéliens sont
anti-américains et pro-russes. Si vous y
croyez, vous allez bientôt croire aux
contes de fée.
Il a récemment prétendu que le Bataillon
Aliya, composé "de commandos israéliens
expérimentés et de tireurs d'élite"
était arrivé au Donbass en guerre pour
se battre avec les Russes, contre les
troupes du régime de Kiev. En fait il
s'agit d'un bataillon au sens où l'Armée
du salut est une armée. Pendant un court
moment, l'ONG a fourni des gardes pour
les colonies juives à Gaza et en
Transjordanie, mais les colons ont cessé
de faire appel à eux parce qu'ils
n'étaient pas fiables du tout. Ils se
sont vantés du meurtre de civils
palestiniens, de torturer et de flinguer
les enfants palestiniens, mais c'était
juste un fantasme sadique, maladif et
raciste, disent les gens. Après quoi,
les chefs du dit Bataillon ont fait de
leur nom un slogan rentable, saignant
les communautés judéo-américaines et
collectant des dons pour leurs activités
secrètes supposées. Une fois que cette
arnaque a été exposée sur une TV
israélienne (RTVI network, en ligne sur
youtube), ils ont disparu du champ de
vision, jusqu'à ce qu'Avigdor Eskin
réactive la vielle entourloupe, et fasse
de gros titres dans les médias russes
avec ça.
Eskine a trouvé un frère spirituel en
Vladimir Solovyev, éminence des médias
russes. Il s'agit d'un partiellement
juif, qui vivait à l'étranger, puis est
rentré en Russie; il dirige le programme
politique important Sunday Evening à la
télé russe. Le Saker (blogueur désormais
bien connu) l'a décrit comme suit: "Ce
show se fait dans l'espace d'une
personnalité célèbre, Vladimir Solovyev,
un garçon très intéressant. C'est un
juif, et il n'a pas peur de le rappeler
à son public, et il a même été élu
membre du Congrès juif de Russie. C'est
aussi un patriote russe, et un
défenseur, ouvertement, de Poutine et de
sa politique. Sa position sur l'Ukraine
est simple; en tant que juif et en tant
que russe, il ne tolère pas le
nationalisme ukrainien, le néo-nazisme
ou le bandérisme. C'est un ennemi
déterminé et sans concession du nouveau
régime de Kiev."
Il se pourrait que Soloviev soit en
train de traverser une crise d'identité
personnelle: à partir de la célébration
de ses racines russes, il est passé à la
proclamation de son origine juive.
Alternativement, il se peut (et c'est
même bien probable) que les décideurs
russes veuillent attirer les juifs de
leur côté, et Soloviev agit en ayant à
l'esprit les juifs américains. C'est ce
que faisait Staline, et Poutine pourrait
bien tenter le même coup. En 1942, alors
que le carnage nazi menaçait la Russie,
Staline avait envoyé certains juifs
russes aux US pour parler yiddish aux
communautés juives et pour faire du
lobbying en faveur de l'URSS. La
communauté juive américaine pèse
sûrement quelque part. En ce moment
Soloviev et d'autres essayent de faire
pression sur les juifs de l'étranger, ou
du moins de montrer à leurs supérieurs
qu'ils sont en train de le faire.
Le rendement que tire Eskin de ses
histoires fantastiques est élevé. Dans
l'émission prime time de Soloviev, il a
appelé à la destruction de la mosquée Al
Aqsa et à l'édification du temple juif à
la place. Il a appelé les Palestiniens
"le peuple de l'Antéchrist". Même en
Israël, des assertions de ce genre ne
peuvent pas se faire sur une chaîne
publique. A Moscou ébahie, Eskin a été
propulsé dans un autre programme
politique important, celui de Arcadi
Mamontov. Lequel fait le jeu de l'autre?
Eskin roule-t-il ses hôtes russes, ou
les médias qui l'hébergent sont ils en
train de l'utiliser pour berner leurs
supérieurs, ou encore sont-ce les dits
supérieurs qui essaient d'enfariner le
peuple russe? A moins qu'Israël soit
derrière? Qui sait?.
Les juifs ukrainiens tiennent à
diverger
Les juifs sont arrivés en Ukraine il y a
mille ans, peut-être du pays khazar. Ce
n'est pas une communauté homogène, ils
représentent plutôt des communautés
diverses. Beaucoup ont émigré en Israël,
d'autres, encore plus nombreux, se sont
établis en Russie. Ils parlent russe et
habituellement ne parlent pas ukrainien,
quoiqu'ils en soient familiers depuis
vingt ans. Normalement, ils n'auraient
cure de l'indépendance de l'Ukraine,
parce que les juifs sont
traditionnellement du côté des plus
forts, que ce soit les Polonais à
l'époque de la domination polonaise, ou
les Russes au temps de Moscou, ou les
Allemands dans l'orbite de Vienne ou de
Berlin. Maintenant, beaucoup ont décidé
de se ranger au côté des US ou de l'UE.
L'une des raisons pour lesquelles tant
de gens d'origine juive s'en sortent
bien est que le groupe ethnique dominant
fait confiance aux juifs et à leur
loyauté envers les puissants, ainsi qu'à
leur absence de compassion pour leurs
voisins non juifs.
Autre raison, le flou des définitions.
Pendant les trois ou quatre dernières
générations, les juifs ont fait
librement des mariages mixtes; les
enfants de ces unions sont souvent
considérés comme juifs. Voilà ce que
sont "les juifs" sous le régime actuel:
en fait ils n'ont bien souvent qu'un
seul grand parent juif.
L'Ukraine, après son indépendance en
1991, s'est tournée vers la sphère
d'influence occidentale, mais l'Ukraine
orientale (la Novorussie) a gardé son
caractère et ses attaches russes. Les
juifs s'en sortent bien des deux côtés.
Kolomoysky est un membre éminent de la
communauté juive, et un pilier du régime
de Kiev. C'est un homme d'affaire
rustique, célèbre pour ses rapines sur
les propriétés d'autrui, et pour ses
liens avec la Maffia. Des rumeurs
circulent, qui le mentionnent autour de
nombreux assassinats d'adversaires dans
le business.
De l'autre côté, à Kharkov, le maire et
le gouverneur du district, surnommés
Dopah et Gepah, sont juifs, et peuvent
être considérés pro-russes. On pensait
que Kharkov deviendrait le centre de la
Novorussie émergente, le président
Yanoukovitch s'est enfui à Kharkov en
pensant y trouver des alliés et des
soutiens. Mais Dopa et Gepa l'ont
désabusé, si bien qu'il a repris son
envol pour la ville russe de Rostov.
Leur décision de rester loyaux à Kiev ne
leur a pas réussi; l'un a été abattu,
l'autre a été embastillé et sa tentative
de se porter candidat à la
présidentielle remballée.
Kharkov est aussi proche de Hodos, un
juif riche et éminent qui a combattu
vaillamment contre Habad, le mouvent
spirituel juif dont M. Kolomoysky est
membre influent. Les juifs de Novorussie
soutiennent apparemment la tendance
générale pro-russe, mais il y a des
exceptions. Pratiquement tous les juifs
ukrainiens ont de la famille en Russie,
et ont reçu une éducation russe.
Israël a un solide réseau d'agents en
Ukraine. Ils ont capturé un ingénieur
palestinien et l'ont envoyé dans un
cachot israélien, ce qui n'aurait pas pu
se faire sans la collaboration des
services de sécurité ukrainiens.
Cependant, les histoires de soldats
israéliens combattant en Ukraine sont
quelque peu exagérées: ce sont des
individus qui ont la double nationalité
et qui agissent à leur guise, ce ne sont
pas des représentants de l'État.
Les juifs US sont divisés
Les juifs US sont divisés sur l'Ukraine,
comme ils l'étaient au sujet de la
Palestine. Les amis de la Palestine, les
gens qui ont un passé anti-impérialiste
robuste et qui semblent s'y connaître en
histoire d'Europe de l'Est, tels Noam
Chomsky et Stephen F. Cohen, ont reconnu
et désavoué la tentative US de baser
leur hégémonie sur l'affaiblissement de
la Russie. Un sous groupe, ceux que
Gilad Atzmon a judicieusement appelé les
AZZ (antisionistes sionistes),
trotskystes et autres faux gauchistes,
sont complices de l'Otan, tel Louis
Proyect, et ont appelé à une
intervention américaine, assoiffés de
sang russe.
Le lobby notoirement pro-israélien est
strictement anti-russe. Victoria Nuland,
représentante du Département d'Etat (et
célèbre pour son "Fuck EU") a dirigé
personnellement le coup d'État de Kiev;
elle a handicapé le gouvernement et le
président de la nouvelle colonie
américaine sur le Dniepr. Son mari,
Robert Kagan, est fondateur du FPI,
successeur de l'infâme PNAC, le groupe
de réflexion sioniste extrême qui a
poussé à la guerre en Irak, en
Afghanistan et en Iran. Faute de mieux,
ils attaquent maintenant la Russie, mais
n'oublient nullement de soutenir Israël.
Considérons le cas d'un jeune militant
du gendre, américain et journaliste,
James Kirchick. Il est entré dans le
réseau néo-con en tant qu'agent
consentant du Lobby. Il a dynamisé
l'image "pink" d'Israël "patrie des
gays" ("Israël est le meilleur ami des
gays sur terre, tandis que les
Palestiniens sont des homophobes qui
méritent d'être bombardés"). Après avoir
fait le sale boulot israélien, il s'est
mis à combattre la Russie. Il a
travaillé pour Radio Free Europe
(propriété de la CIA et financée par le
Congrès US); c'est lui qui a transmis la
sensationnelle démission de Russia To-day
en direct de Liz Wahl, et a protesté
contre la maltraitance supposée des gays
en Russie. Ses coups bas ont été révélés
par Max Blumenthal, un journaliste juif
américain, connu pour son antisionisme
('il travaille avec la Palestinienne
Rania Khalek).
Alors qu'Israël est neutre envers
l'Ukraine, les amis d'Israël en Europe
et aux US sont hostiles à la Russie, et
soutiennent l'hégémonie américaine,
tandis que les amis de la Palestine
applaudissent au défi Russe face à
l'empire. Le philosophe sioniste
français et médiatique Bernard Henri
Lévy est un exemple de la première
tendance, tandis que Michel Chossudovsky,
de Global Research, représente la
deuxième. Les sites moteurs de la
réflexion critique (dits "antisionistes)
Counterpunch, Antiwar, Global Research
sympathisent avec la Russie, tandis que
les sites pro-israéliens sont hostiles à
la Russie.
Les sionistes sont des ennemis pénibles
et vicieux, mais ils font des amis
encore pires. Edward N. Luttwak est
amical avec la Russie; il a appelé les
US à faire cause commune avec la Russie.
L'union stratégique entre Russie et
Amérique est nécessaire, dit-il. Qui se
soucie de l'Ukraine? Et voici son coup
de pied de l'âne: la Russie devrait
attaquer la Chine, au profit des US. Un
autre ami sioniste, Tony Blair, appelle
aussi à la paix avec la Russie de façon
à ce que la Russie puisse combattre le
monde musulman pour les beaux yeux
d'Israël. Tout à fait dans le style d'Eskin
qui offre son soutien pathétique à la
Russie afin de neutraliser son influence
positive et sa défense de la Palestine.
Résultat: Israël reste neutre pour des
raisons qui lui sont propres. Tandis que
les juifs en tant qu'individus divergent
sur l'Ukraine, il y a une corrélation
avec leur position sur la Palestine et
sur la Syrie. Les ennemis de Poutine en
Russie, en Ukraine, en Europe et aux US
soutiennent effectivement Israël et sont
hostiles à la Palestine, à la Syrie de
Bachar, au Venezuela de Chavez. Et le
lot le plus dangereux, ce sont ceux qui
soutiennent Israël et la Russie, parce
qu'ils mijotent certainement quelque
embrouille.
Traduction: Maria Poumier
Pour joindre l'auteur: adam@israelshamir.net
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