Opinion
Le pendule ukrainien
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir - Photo: D.R.
Dimanche 9 mars 2014
1. La double invasion
Les enjeux sont fort sérieux, en
Ukraine: après le coup d'État, comme la
Crimée et le Donbass ont brandi leur
droit à l'autodétermination, voilà que
les troupes russes et américaines sont
entrées en Ukraine, masquées toutes les
deux.
Certes, les soldats US apparaissent
comme des "conseillers militaires", mais
il s'agit visiblement de membres de
l'armée privée Blackwater, renommée en
Academi; une centaine d'entre eux
patrouillent dans Kiev, tandis que
d'autres tentent de mater la révolte à
Donetsk. Officiellement, ils sont là sur
invitation du nouveau régime
pro-occidental. Fer de lance de
l'invasion US qui tente de consolider le
régime et de briser toute résistance,
ils ont déjà trempé les mains dans le
sang à Donetsk.
Parallèlement, le Pentagone a doublé le
nombre des jets de combat qui
remplissaient une mission dans la
Baltique, sous couvert de patrouille de
l'OTAN. Le transporteur aérien a pénétré
en Mer Noire, et on signale des Marines
qui auraient atterri à Lvov dans le
cadre de "manœuvres prévues de longue
date". Quant aux soldats russes, ils
appartiennent ostensiblement à la flotte
russe, qui stationne légalement en
Crimée. Ils étaient en Crimée avant le
coup d'État, dans le cadre du traité qui
lie la Russie et l'Ukraine (à l'instar
de la Cinquième Flotte US au Koweit),
mais leur présence a sans doute été
renforcée. D'autres troupes russes
avaient été appelées en renfort par le
président Yanoukovitch, légalement élu
mais déposé, ce qui rappelle tout à fait
l'intervention US au secours du
président Aristide en Haïti, lui aussi
déposé. Ils aident la milice locale
pro-russe à maintenir l'ordre, et
personne ne se fait tuer dans ce
contexte. En outre, la Russie a mis ses
troupes en alerte et a ramené quelques
navires de guerre en Mer Noire.
Seule la présence russe est évoquée par
les médias occidentaux en termes
d'invasion, tandis que la présence
américaine est à peine mentionnée. "Nous
avons le devoir moral de fourrer notre
nez dans vos affaires, dans votre
arrière cour, à l'autre bout du monde,
et c'est pour votre bien", comme l'a
écrit un blogueur ironique américain.
Moscou s'est réveillée brutalement, une
fois passée l 'obsession des JO, et
quand les gens ont commencé à dire:
"Poutine a gagné les JO, et perdu
l'Ukraine." Effectivement, tandis que
Poutine suivait les compétitions à
Sotchi, la révolution brune se déroulait
en Ukraine. Il s'agit d'un pays grand
comme la France, la plus grande des
Républiques soviétiques de jadis, après
la Russie, et une coalition d'ultra-nationalistes
ukrainiens et d'oligarques
principalement juifs vient de s'en
emparer. Le président légitime a été
forcé de s'enfuir pour sauver sa peau.
Des membres du Parlement ont été pris en
main, et dans certains cas leurs enfants
ont été pris en otage pour s'assurer de
leur vote, tandis que des hommes en
armes perquisitionnaient chez eux. Le
putsch était bouclé. L'Occident
reconnaissait aussitôt le nouveau
gouvernement, mais non la Russie, ce qui
ne l'empêchait pas de poursuivre les
échanges de routine. Mais désormais, la
véritable histoire se déroule en ce
moment en Crimée et en Ukraine
orientale, et c'est celle de la
résistance au coup d'État
pro-occidental.
2. Le putsch
La situation économique est
épouvantable, en Ukraine. Ils en sont au
point où en était la Russie dans les
années 1990, avant Poutine, mais en
Ukraine rien n'a bougé depuis. Le pays a
été moissonné par les oligarques qui ont
siphonné leurs profits en direction des
banques occidentales, amenant le pays au
bord du précipice. Pour éviter le défaut
de paiement et l'effondrement, l'Ukraine
devait recevoir de la Russie un prêt de
15 milliards d'euros sans condition
préalable, lorsque le coup d'État s'est
produit. Et maintenant le premier
ministre de la junte sera bien heureux
s'il reçoit un seul petit milliard de
dollars de la part des US, par le biais
du FMI; certes, les Européens en ont
promis plus, mais dans quelques
années... Il a aussitôt accepté les
conditions du FMI, ce qui signifiera
austérité, chômage et dette
astronomique. C'est là probablement la
raison d'être du putsch. Le FMI et les
prêts US sont une source de profit
majeure pour la communauté financière,
et ils savent y faire, pour mettre des
pays en esclavage pour dettes, comme l'a
si bien expliqué
John Perkins.
Les oligarques qui ont financé
l'opération Maidan se sont partagé le
butin: le bienfaiteur le plus généreux,
le multimilliardaire Igor “Benya”
Kolomoysky, a reçu le fief de la ville
russophone de Dniepropetrovsk. On ne lui
a pas demandé de rendre son passeport
israélien. Ses frères en oligarchie ont
pris d'autres villes russophones, y
compris Kharkov et Dnetsk, la Chicago
ukrainienne, ou sa Liverpool. Kolomoysky
n'est pas simplement un "oligarque
d'origine juive", mais un membre actif
de la communauté juive, un supporteur
d'Israël et un donateur de nombreuses
synagogues, dont l'une est la plus
grande d'Europe. Il n'était nullement
gêné de soutenir les néo-nazis, même
ceux qui ont été interdits de séjour aux
USA pour antisémitisme déclaré. Et c'est
bien pour cela que les appels à la
conscience juive contre le putsch brun
ont exemplairement échoué.
Puis vint le tour de la croisade
nationaliste contre les russophones,
Russes ethniques et Ukrainiens
russophones -la distinction est
capitale- principalement les ouvriers de
l'industrie, du Sud et de l'Est du pays.
Le régime de Kiev a banni le Parti
communiste et le Parti des Régions, qui
est le plus grand parti du pays,
massivement soutenu par les ouvriers
russophones. Le premier décret du régime
a interdit le russe dans les écoles, à
la radio et à la télévision, ainsi que
tout usage officiel du russe. Le
ministre de la culture a qualifié les
russophones d'imbéciles, et a proposé de
les jeter en prison s'ils se servaient
de la langue interdite en public. Un
autre décret menaçait de dix ans de
taule tout détenteur de la double
nationalité russe et ukrainienne, tant
qu'il n'aurait pas renoncé à son
identité russe.
Et ce n'étaient pas de vains mots: les
troupes d'assaut du Secteur Droit, la
force de combat d'avant garde, en faveur
du Nouvel Ordre, ont parcouru le pays en
terrorisant les officiels, en frappant
les citoyens, en occupant les bâtiments
gouvernementaux, en abattant les statues
de Lénine, en démolissant les monuments
commémoratifs de la Seconde Guerre
mondiale, et en imposant leur loi par
tous les moyens. Sur une vidéo, on voit
un combattant du Secteur Droit
maltraiter l'avocat officiel de la ville
tandis que la police regarde ailleurs.
Ils ont commencé à pourchasser les
policiers anti-émeutes qui soutenaient
l'ex-président, et ils ont descendu en
flammes une synagogue ou deux. Ils ont
torturé un gouverneur, et lynché
quelques techniciens trouvés dans les
quartiers généraux de l'ancien parti
dirigeant. Ils ont commencé à occuper
les églises orthodoxes de rite russe, en
essayant de les aire basculer vers leur
propre église catholique grecque.
Les instructions de Victoria Nuland, du
Département d'Etat, ont été respectées:
l'Ukraine avait eu le gouvernement
qu'elle prescrivait dans le fameux coup
de fil intercepté, en s'adressant à
l'ambassadeur US. Étrangement, tandis
qu'elle envoyait les Européens "se faire
f...", elle se moquait éperdument du
point de vue russe sur l'avenir immédiat
de l'Ukraine.
La Russie ne s'était pas mêlée des
évènements ukrainiens, car Poutine ne
voulait pas être accusé d'ingérence,
alors même que des envoyés US et
Européens prêtaient main forte aux
rebelles et les encadraient. Le peuple
russe l'applaudirait chaudement s'il
devait envoyer ses tanks à Kiev pour
reconquérir l'Ukraine toute entière,
qu'ils considèrent comme partie
intégrante de la Russie. Mais Poutine
n'est pas un nationaliste russe, et il
n'a pas de perspective impériale. Il
aimerait bien que l'Ukraine soit amicale
envers la Russie, mais n'a jamais
envisagé de l'annexer, en partie ou en
totalité, cela coûterait trop cher, même
pour une Russie prospère: cela ne serait
pas facile, non plus, parce que chaque
gouvernement successif au long des vingt
dernières années a dressé le peuple
contre la Russie. Mais Poutine a bien
été obligé de s'investir.
En effet, des centaines de milliers
d'Ukrainiens ont voté avec leurs pieds
et fui vers la Russie, en quête de
refuge. Le seul coin libre de toute la
république était la ville de Sébastopol,
objet du siège franco-britannique de
1851, et de celui des Allemands en 1941,
parce que c'est la base de la flotte
russe en Mer Noire. Cette ville héroïque
ne s'est pas rendue aux émissaires de
Kiev, même si quelques députés locaux
étaient prêts à le faire. Et au dernier
moment, la population est entrée en
résistance. Le triste succès du putsch a
été le début de sa déroute. Le pendule
ukrainien, toujours oscillant entre
l'Orient et l'Occident, a repris sa
marche arrière.
3. Le soulèvement
En Crimée, les gens se sont levés, ont
démis leurs dirigeants officiels qui
cherchaient le compromis, et ont élu un
nouveau chef, Sergueï Aksenov. La
nouvelle direction a assumé le pouvoir,
pris le contrôle de la Crimée, et à
demandé aux troupes russes leur
protection, face à la menace d'attaque
par les enragés de Kiev. Cela ne semble
pas avoir été nécessaire pour le moment:
il y avait pléthore de Criméens prêts à
défendre leur terre des envahisseurs
bruns, il y avait des volontaires
cosaques, et il y a la marine russe qui
stationne en Crimée en vertu du traité.
Ses marines seraient probablement à même
de donner un coup de main aux Criméens
en cas de difficulté. Ceux-ci, avec une
certaine assistance russe, ont bloqué la
route qui traverse l'isthme étroit
reliant la Crimée au continent.
Le parlement de Crimée a choisi de
rejoindre la Russie, mais ce vote
devrait être confirmé par un référendum
le 16 mars, pour déterminer quel sera
l'avenir de la Crimée, si elle retourne
à la Russie ou reste une république
autonome au sein de l'Ukraine. D'après
mes conversations avec les habitants, il
semble qu'ils préfèreraient rejoindre la
fédération de Russie qu'ils ont quittée
sur ordre de Khrouchev il y a à peine un
demi-siècle. Étant donnés la langue
commune et les liens du sang, cela fait
sens: l'Ukraine est en faillite, la
Russie est solvable et prête à assumer
un rôle protecteur de ce type.
L'Ukraine ne peut pas payer les salaires
ni les retraites, alors que la Russie a
promis de le faire. Kiev s'attribuait la
part du lion dans les profits générés
par l'afflux des touristes russes;
maintenant les profits resteront sur la
presqu'île, et serviront - on l'espère-
à restaurer les infrastructures en
ruine. L'immobilier va remonter, en tout
cas, les autochtones optimistes misent
là-dessus, et les hommes d'affaires
russes partagent cet espoir. Ils disent
déjà que la Crimée va bientôt surpasser
Sotchi, en quelques années, et deviendra
la villégiature russe impériale vraiment
chic.
Peut-être que Poutine préférerait que la
Crimée accède à l'indépendance, comme le
Kossovo, ou bien reste sous une
souveraineté ukrainienne de façade, de
même que Taïwan fait toujours,
nominalement, partie de la Chine. Cela
pourrait devenir une vitrine de
l'Ukraine pro-russe, qui permettra aux
autres Ukrainiens de voir ce qu'ils ont
raté, le rôle que jouait Berlin Ouest
pour les Allemands de l'Est pendant la
Guerre froide. Reprendre la Crimée
serait agréable, mais pas au prix de la
consolidation d'une voisine ukrainienne
hostile et renforcée. En fait, Poutine
n'aura probablement pas d'autre choix
que d'accepter la décision de la
population.
Il y a bien eu une tentative pour faire
jouer les Tatars de Crimée contre les
Russes; mais elle a apparemment échoué.
Malgré le fait que le majlis, leur
organisation auto-proclamée, soutient
Kiev,les anciens ont appelé à la
neutralité. Il y a des rumeurs
persistantes selon lesquelles le
dirigeant tchéchène Kadyrov, haut en
couleur et supporteur obstiné de
Poutine, aurait envoyé ses escadrons aux
Tatars afin de les inciter vivement à
renoncer à leurs objections contre le
virage pro-russe de la Crimée. Au début,
les Tatars ont soutenu Kiev, puis tenté
d'empêcher la reprise en main des
pro-Russes. Mais ces gens sages sont des
survivants nés, ils savent quand c'est
le moment de s'adapter, et il ne fait
aucun doute qu'ils sauront se
débrouiller au mieux.
Les nazis russes, aussi anti-Poutine que
les nazis ukrainiens, sont divisés: les
uns soutiennent une "Crimée russe"
tandis que les autres préfèrent une Kiev
pro-européenne. Ils sont mauvais comme
ennemis, mais encore pires comme amis:
ils tentent de s'ancrer entre Russes,
Ukrainiens et Tatars, et ils détestent
constater que la Tchétchénie de Kadyrov
conforte de fait les projets russes,
parce qu'ils sont anti-tchétchènes et
tentent de convaincre le peuple que la
Russie a intérêt à se débarrasser des
Tchétchènes, qui ne sont de leur point
de vue qu'une belliqueuse tribu
musulmane.
Comme la Crimée a défié les ordres de
Kiev, elle devient une référence pour
d'autres régions d'Ukraine. Le Donbass,
la région du charbon et de l'acier, a
brandi les drapeaux russes et a déclaré
vouloir l'auto-détermination, "comme la
Crimée". Ils veulent vraiment rejoindre
une Union douanière chapeautée par la
Russie. On ne sait trop s'ils
préféreraient l'indépendance,
l'autonomie ou quelque chose d'autre,
mais eux aussi ont prévu une
consultation populaire. Il y a eu de
grosses manifestations contre le régime
de Kiev à Odessa, à Dniepropetrovsk, à
Kharkov et dans d'autres villes
russophones. Pratiquement partout, les
députés cherchent à s'entendre avec Kiev
et à en tirer quelques bénéfices, mais
les gens ne sont pas d'accord. Ils sont
furieux, ils ne veulent pas entendre
parler de la junte.
Le régime de Kiev ne veut pas admettre
leur revendication de liberté. Le maire
de Donetsk, bien élu et populaire, a été
enlevé par les forces de sécurité
ukrainiennes, et emmené à Kiev. Et
maintenant on manifeste violemment dans
la ville.
La marine ukrainienne dans la mer Noire
a fait allégeance à la Crimée, et non
plus à Kiev, et certaines unités de
l'armée de l'air l'ont rejointe, avec
des douzaines d'avions de combat et des
troupes au sol. Les troupes loyales à
Kiev ont été bloquées par les Criméens,
mais il n'y a pas eu de violence, dans
ce transfert pacifique de pouvoir.
La junte a choisi un oligarque pour
commander le Donbass, Sergueï Taruta,
mais il a eu du mal à assumer le rôle,
parce que les gens du cru n'en voulaient
pas, pour une bonne raison: c'est lui
qui a racheté le très important port
polonais de Gdansk, et l'a mené à la
banqueroute. Il semble qu'il soit plus
performant pour siphonner des capitaux
au loin que pour diriger des affaires
sérieuses. Honteusement, M. Taruta
amenait avec lui un personnel de
sécurité non identifié et lourdement
armé, des mercenaires fournis par
Blackwater, à ce qui se dit, fraîchement
débarqués d'Irak et d'Arghanistan. Il va
lui en falloir bien plus s'il veut
prendre le Donbass de force.
A Kharkov, la plus grande ville de
l'Est, jadis capitale de l'Ukraine
soviétique, les habitants ont éjecté les
envoyés musclés du Secteur Droit hors
des bureaux gouvernementaux, mais la
police a fait corps avec les oligarques.
Tandis que la fausse révolution se
déroulait à Kiev sous la tutelle des
émissaires des US et de l'UE, c'est
maintenant que la vraie révolution se
met en marche, et son avenir est loin
d'être assuré.
L'Ukraine n'a pas grand chose comme
armée, dans la mesure où les oligarques
ont raflé tout ce qui était jadis
assigné aux militaires; Le régime de
Kiev n'a aucune confiance dans sa propre
armée, de toute façon. Leur tentative
pour lever un contingent de réservistes
a immédiatement échoué, parce que
presque personne ne s'est présenté. Ils
essaient toujours d'écraser la
révolution. Trois cent nouveaux
mercenaires de Blackwater ont atterri
mercredi dernier à l'aéroport de Kiev.
Le régime de Kiev a appelé l'OTAN au
secours, et a fait savoir qu'il était
prêt à permettre aux missiles US de
stationner en Ukraine. Les missiles en
Ukraine, comme maintenant en Pologne,
trop près, eux aussi, de la Russie au
goût des Russes, pourraient fort bien
franchir la ligne rouge russe, tout
comme les missiles russes à Cuba avaient
franchi la ligne rouge américaine en
1962. Le chef des services
d'intelligence israéliens Yaakov Kedmi,
un expert en questions russes, a dit
qu'à son avis les Russes ne pouvaient
pas permettre une chose pareille, à
aucun prix, même si cela devait
signifier la guerre.
Poutine a demandé à la chambre haute du
parlement russe la permission de
déployer les troupes russes si
nécessaire, et le parlement a donné son
feu vert à l'unanimité. Elles seront
probablement déployées pour protéger les
ouvriers en cas d'attaque par un Secteur
Droit vitaminé par les mercenaires de
Blackwater. Une catastrophe humanitaire,
des troubles à grande échelle, un afflux
de réfugiés ou l'arrivée des troupes de
l'OTAN pourraient aussi forcer la main à
Poutine, y compris contre sa volonté.
4. Le président en exil
Le président Yanoukovitch rentrera dans
l'histoire comme un personnage faible,
tragique, et il mériterait une plume
plus placide que la mienne. Il a fait
son possible pour éviter les pertes en
vies humaines, alors même qu'il faisait
face à une offensive sans concession
dirigée par de très violentes troupes
d'assaut. Et on lui impute la mort de
quelque quatre-vingt personnes, entre
policiers et opposants.
Parmi les victimes, certaines furent
tuées par le Secteur Droit lorsqu'ils
dévastaient les bureaux du parti au
pouvoir. Les hommes politiques avaient
quitté les bâtiments bien à l'avance,
mais les équipes de secrétariat étaient
encore là, principalement des femmes,
des jeunes, et autre menu fretin. Un
ingénieur du nom de Vladimir Zakharov
est allé trouver les assiégeants
rebelles et leur a demandé de laisser
sortir les femmes. Ils l'ont descendu
sur le champ, à la batte. Et un autre a
été brûlé vif.
Mais la plupart des pertes sont le fait
des snipers, et pourtant elles sont
imputées à Yanoukovitch. Le régime de
Kiev a même demandé au tribunal de La
Haye de traîner en justice le président
comme ils l'avaient fait pour Milosevic.
Mais voilà qu'une conversation entre
Catherine Ashton, représentante de l'UE,
et le ministre des Affaires étrangères
estonien Urmas Paet révèle que les
émissaires de l'UE savaient parfaitement
que les douzaines de victimes des
snipers sur la place Maidan avaient été
abattus par des rebelles, et non pas par
la police du président Yanoukovitch,
comme ils le prétendaient. Urmas Paet a
reconnu l'authenticité de cet échange
téléphonique lors d'une conférence de
presse, et a réclamé une enquête
indépendante. Il s'avère que les tireurs
rebelles ont tiré tant sur les policiers
que sur les rebelles, pour faire couler
le sang et en accuser le président.
Cela devient une marque de fabrique dans
les révolutions made in USA. Des snipers
tirant sur les deux camps avaient été
signalés à Moscou lors des émeutes de
1991 et 1993, comme dans bien d'autres
cas. Certaines sources ajoutent que des
snipers israéliens célèbres ont été
embauchés pour ces occasions, ce qui est
plausible, au vu des connections
israéliennes de Kolomoysky. Un ami
personnel de Kolomoysky, membre éminent
de l'ex-opposition, le parlementaire et
actuel chef de l'administration Sergueï
Pachinsky, a été arrêté par la police
alors qu'il emportait l'arme d'un sniper
équipée d'un silencieux hors de la scène
du crime. Cette découverte a fait
l'objet d'une note succincte dans le New
York Times, retirée par la suite. Cette
révélation élimine (ou du moins réduit
sensiblement) la responsabilité pénale
du président. Mais l'incident sombrera
probablement dans le trou noir de la
mémoire, et finira aux oubliettes, comme
les révélations de Seymour Hersh au
sujet des attaques au gaz sarin en
Syrie.
Le président Poutine a fait une autre
révélation lors de sa conférence de
presse du 4 mars 2014. Il a dit qu'il
avait convaincu (lisez plutôt obligé )
le président Yanoukovitch de signer
l'accord du 21 février 2014 avec
l'opposition, comme le demandaient les
ministres occidentaux.En signant ce qui
était plutôt une capitulation, le
président ukrainien acquiesçait à toutes
les exigences des rebelles bruns, y
compris l'organisation d'élections
anticipées, au parlement, et pour la
présidence. Mais cet accord n'a servi à
rien: les rebelles ont essayé de tuer
Yanoukovitch la nuit où il se rendait à
Kharkov.
Poutine a manifesté son étonnement
qu'ils ne se soient pas contentés de
l'accord, et qu'ils aient continué à
mettre en œuvre le coup d'État. Ce sont
les truands de Secteur Droit qui l'ont
expliqué: ils ont dit que leurs tueurs
seraient stationnés à côté de chaque
urne électorale, et se chargeraient du
décompte des votes. Naturellement,
l'accord ne le prévoyait nullement, et
la junte a de bonnes raisons pour douter
de ses capacités à gagner dans des
élections honnêtes.
Il apparaît que Yanoukovitch espérait
établir une nouvelle base de
gouvernement à Kharkov, où un vaste
assemblée de députés de l'Est et du Sud
de l'Ukraine avait été convoquée.
D'après M. Kolomoysky, il demanda aux
députés d'assumer leurs pouvoirs et de
soutenir le président, mais ceux-ci
refusèrent. C'est pour cette raison que
le président Yanoukovitch s'enfuit, en
grande difficulté, en Russie. Son
atterrissage à Rostov fit une forte
impression sur la population, parce que
son avion était escorté d'avions de
combat.
Yanoukovitch essaya de joindre Poutine,
mais le président russe ne voulait pas
donner l'impression de forcer la main à
Yanoukovitch par dessus la volonté des
Ukrainiens, et refusa de le rencontrer
ou de s'entretenir directement avec lui.
Peut-être que Poutine n'avait pas de
temps à perdre avec un si falot
personnage, mais il le reconnut
publiquement quand même en tant que
président légitime d'Ukraine. C'était
logique, puisque le président
Yanoukovitch avait demandé aux troupes
russes de ramener la paix dans son pays.
Il peut encore revenir sur le devant de
la scène, comme président d'une Ukraine
libre, si une telle entité pouvait
jamais émerger quelque part, ou comme
personnage d'un opéra.
Traduction: Maria Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
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