Opinion
Le sommet coréen
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Samedi 5 mai 2018
Une magnifique journée, pleine
d’allégresse, un sommet radieux ! Sur le
sanglant 38ème parallèle,
pour la première fois depuis de
nombreuses années, les deux Coréens se
sont rencontrés, les dirigeants des deux
Etats coréens. Il y eut échange de
sourires engageants, ainsi qu’une brève
visite spontanée, improvisée du
président de la Corée du Sud à la Corée
du Nord, suivie d’une autre ; de
celui du Nord à celle du Sud. Kim guida
son collègue par-dessus l’amas de béton
qui matérialise la frontière entre les
deux mondes. Enfin se dessine la
perspective de sortir de l’impasse dans
laquelle les Coréens avaient été
conduits, et, à l’horizon, l’espoir
d’une réunification des deux Etats.
Il y a quelques semaines, le président
Trump menaçait encore de rayer la Corée
du Nord de la carte du globe, et de tuer
des dizaines de millions de civils, se
vantant d’avoir un plus gros bouton
rouge (ou était-ce un missile ?) que
celui de Kim. Il s’avéra que la volonté
de Kim était plus forte celle de
l’Américain, et que la puissance de la
volonté surpasse celle des armes. Et la
puissance de la volonté est d’autant
plus forte qu’elle s’appuie sur celle
des armes.
Les menaces de
Trump ont ouvert la voie à des avancées
inattendues : le président de la Corée
du Sud jeta un œil dans l’abîme où il
aperçut son peuple destiné à être
anéanti. C’est ce qu’il vit - puis il
prit des initiatives, en
faveur de la réconciliation, en faisant
preuve d’une indépendance d’esprit
inattendue.
Il est possible de
comparer les deux Corées sous des angles
variés. On peut dire de l’une qu’elle
est riche, de l’autre qu’elle est
pauvre, que l’une prône le libéralisme
et l’autre le communisme. L’une des
deux, c’est le pays de Samsung, tandis
que l’autre possède des armes
nucléaires. On peut, si vous préférez,
dire d’un des deux Etats coréens qu’il
est indépendant - la Corée du Nord -
tandis que l’autre est occupé – la Corée
du Sud. C’est un fait, pas une opinion.
Il y a belle
lurette que les dernières forces armées,
russes et chinoises, ses anciennes
alliées, ont quitté le territoire
nord-coréen, alors même que les
Américains n’envisagent même pas de
partir du Sud. Le dirigeant du Nord,
Kim, peut faire tout ce que son peuple
est prêt à faire. Mais le dirigeant du
Sud, Moon, doit en référer à Washington,
avant de prendre la moindre décision
importante. Pas mal de présidents, au
Sud, ont été destitués ou bien
emprisonnés voire tués par les
Américains et leurs agents pour leurs
velléités de réconciliation avec le
Nord. Nous verrons bien si Moon pourra
se maintenir au palais présidentiel
après ce sommet, mais il a saisi une
opportunité, ce qui sera
incontestablement porté à son crédit,
dans les livres d’histoire.
Il ne fait aucun
doute que les peuples de Corée, du Nord
et du Sud, souhaitent une réunification
pacifique et la prospérité de leur pays.
Mais jusqu’à présent, les Etats-Unis
l’avaient empêchée. L’état profond
américain (des Etats-Unis ndt)
préférait avoir ses propres bases
militaires en Corée du Sud ; de là, les
armes nucléaires ne pointaient pas
seulement en direction de Pyongyang,
mais aussi vers Pékin (Beijing) et
Vladivostok. L’an passé, les Etats-Unis
y ont implanté leur système de missiles
THAAD (Terminal High Altitude Area Defence :
système de missiles antibalistiques de
portée moyenne en service depuis 2008, ndt )
en Corée du Sud, menaçant directement le
Nord, la Russie et la Chine.
Les Américains ont
ainsi dévoilé leur conception des
pourparlers : le désarmement nucléaire
de la Corée du Nord, et c'est tout. Cela
seul leur importe ; une Corée du Nord
sans armes nucléaires reste vulnérable à
une volée de Tomahawks, comme c’est le
cas en Syrie. Mais Kim n’est pas bête à
ce point. A la place du désarmement
nucléaire de la Corée du Nord, il a
suggéré « la libération de la péninsule
coréenne de toutes les armes
nucléaires » et, c’est important, ces
mêmes termes ont été répétés par le
président du Sud.
La libération de la
péninsule de toutes les armes
nucléaires, en premier lieu, cela
signifie que les bases américaines et
les forces d’occupation se retirent,
c’est aussi une interdiction d’accès aux
ports coréens pour les navires
américains en mesure de transporter des
armes nucléaires. Ainsi, en l’absence
des envahisseurs, les deux Corées
indépendantes pourront définir seules
les termes de leurs accords. C’est, en
gros, la logique qui a guidé Kim, et
Moon l’a agréée, en prononçant à son
tour les mots chéris : « la libération
de la péninsule » en lieu et place de
« l’élimination du programme nucléaire
nord-coréen »
La Russie, qui
appartient depuis sa création au « club
des pays détenteurs de l’arme
nucléaire », soutient habituellement
l’idée d’un désarmement nucléaire
appliqué aux Etats non-membres. Pourtant
elle n’est pas très pointilleuse sur le
sujet, au moins parce que parmi ces
puissances nucléaires figurent
l’Inde, le Pakistan et Israël, et ce
dernier, non seulement n’a pas signé le
traité de non-prolifération, mais refuse
de surcroît tout contrôle de son
armement nucléaire. Dans ces conditions,
quelle logique y aurait-il à être
pointilleux sur le désarmement nucléaire
de la Corée du Nord ? Si ce désarmement
entraîne la suppression des bases
américaines de la Corée du Sud, alors on
ne peut que l’accueillir favorablement.
Le sommet, qui
s’est tenu en zone démilitarisée (DeMilitarized Zone)
a déjà produit des effets. Nous sommes
persuadés que la liberté est rare dans
le Nord, tandis que la liberté
d’expression règne très certainement au
Sud : mais est-ce exact ? Il s'avère
que, jusqu’à ce jour, personne n’avait
vu ou entendu Kim, le président de la
Corée du Nord, dans une vidéo ou lors
d’une retransmission en direct. The
Independent, un journal britannique
fiable, nous fait un
compte-rendu :
« Jusqu’à cette
rencontre, de nombreux Coréens n’avaient
jamais vraiment entendu s’exprimer
Kim-Jong-Un. On ne le voit généralement
que dans des séquences filmées
copieusement caviardées, et si l’on
regarde d’autres vidéos sur lui, on peut
finir en prison. Ainsi, une
Sud-coréenne, Lee Yeon-Su, écrivait sur
Twitter : « je n’arrive pas à croire que
c’est la voix de Kim-Jong-Un que
j’écoute. Cette personne c’était pour
moi un jpeg* (un personnage virtuel,
ndt)». C’est un changement
remarquable pour les Coréens du Sud ;
depuis le « National Security Act »
il est interdit de consulter des médias
considérés comme étant pro-Corée du
Nord, et cette interdiction est assortie
d’une menace d’emprisonnement.
Ici, sur Internet,
il est interdit avoir de « l’empathie
pour la Corée du Nord » ou pire, d’oser
en faire l’éloge; un Sud-coréen qui
visiterait de tels sites ou écouterait
Radio Pyongyang peut être envoyé pour
plusieurs années en prison. Un mot
gentil concernant le voisin du Nord peut
vous rapporter un long séjour derrière
les barreaux, au nom de la Loi de Lutte
contre le Terrorisme (cette loi prévoit
aussi la peine de mort, mais elle n’a
pas été appliquée ces dix dernières
années). La propagande anti-communiste
au Sud est intégrée dans les
apprentissages scolaires, et les
programmes d’information ; elle
appartient au quotidien.
Après le sommet,
les Coréens du Sud, surpris, ont écrit
sur leurs médias sociaux que le tyran
sanguinaire du Nord ressemblait à un
ours en peluche ; petit, grassouillet et
mignon. En plus il parle comme eux. Et
il mange les mêmes nouilles au sarrasin,
qu’eux-mêmes adorent.
La diabolisation a
été la première victime du sommet : les
Coréens du Sud ont vu que le très décrié
Kim était un gars connaissant le monde,
avec même une très légère touche
d’accent suisse alémanique quand il
s’exprime. La diplomatie féminine a
aussi joué un rôle : la sœur de Kim, Kim
Yo-Jong, a établi le premier contact
avec le président du Sud en assistant
aux Jeux olympiques. La femme de Kim,
une actrice renommée, est devenue amie
de la femme de Moon. Le dirigeant du
Nord est un type normal, voilà ce qui se
dit aujourd’hui à Séoul.
Dans les quartiers
généraux de l’OTAN, il y en a eu des
grincements de dents et des exhortations
à ne pas lever les sanctions mais plutôt
à en ajouter de nouvelles. Les médias
officialistes occidentaux persistent à
dire que ce sommet n’a eu lieu que pour
préparer celui qui compte vraiment : la
rencontre entre Kim et Trump. Pourtant,
un observateur avisé du journal The
Guardian avait constaté qu’il ne
serait pas facile pour Trump de jouer
les gros bras, comme à son habitude,
après la rencontre pacifique entre les
deux dirigeants coréens. Il s’est fait
piéger : « Si Trump essaie de jouer les
durs avec Kim, il risque
d’apparaître comme un va-t-en-guerre et
un chercheur de noises, comme quelqu’un
dont les projets sont hostiles aux
intérêts coréens, du Nord et du Sud.
Intentionnellement ou pas, Moon a coupé
l’herbe sous les pieds de Trump, après
avoir toute sa vie œuvré en faveur d’une
détente avec la Corée du Nord, avec
l’aide de ses contacts personnels.
A vrai dire, il n’y
a plus vraiment de raison d’être au
sommet Trump-Kim. Trump peut ramener ses
troupes et laisser les Coréens établir
des relations dans lesquelles chacun s’y
retrouvera. Si les Russes et les Chinois
l’on fait, alors les Américains le
peuvent aussi. Le monde, y compris la
Corée, est adulte et émancipé ; il peut
vivre sans la tutelle des Etats-Unis.
La route ne sera
pas aisée. Les Etats-Unis veulent garder
une mainmise et exigent un désarmement « complet,
vérifiable et irréversible » de la
Corée du Nord. Mais Kim sait ce qui est
arrivé aux pays et à leurs dirigeants,
lorsqu’ils s’en sont remis aux promesses
américaines et qu’ils ont démantelé leur
armement. El Khadafi et Saddam Hussein
ont détruit leurs armes, et ont été
brutalement exécutés. Une fois désarmée,
la Russie de 1991 s’est vue traitée en
quantité négligeable. Les Etats-Unis
sont sortis des traités scellés dans
l’ère soviétique sans même en aviser
quiconque. Une Corée du
Nord sans armes nucléaires serait déjà
bombardée, comme ce fut le cas en 1950-1953. Rien
n’indique que Kim soit suicidaire ou
qu'il soit un nouveau Gorbatchev.
Il y avait un
accord sur le désarmement nucléaire de
la Corée du Nord que les Etats-Unis ont
bien sabordé. Il y en a un sur la
dénucléarisation de l’Iran ; le
président des Etats-Unis envisage
maintenant de ne pas le respecter non
plus.
Si toutefois les
Etats-Unis retirent leurs troupes et
donnent leur accord à une
dénucléarisation de la péninsule, et si
ce retrait est « complet,
vérifiable et irréversible » des
opportunités se font jour. La Corée du
Nord aimerait être considérée comme un
membre à part entière du club des
détenteurs d’armes nucléaires, sur un
pied d’égalité avec l’Angleterre et la
France. Cela pourrait mettre un terme
aux essais nucléaires et ouvrir la porte
du pays aux observateurs et assimilés
Israël, cette
puissance décisive abritée derrière le
Capitole, a vraiment une dent contre la
Corée du Nord, car celle-ci a été un
rouage essentiel qui a permis à l’Axe de
la Résistance de se procurer la
technologie des missiles.
Les Russes ne sont
pas disposés à de grandes largesses pour
soutenir la Corée du Nord. Les relations
entre les deux voisins sont tièdes, les
échanges commerciaux réduits. La Russie
se calera probablement sur la politique
adoptée par la Chine, en ce qui concerne
la Corée. Les Chinois aimeraient avoir
une Corée du Nord plus obéissante mais
ils se sont depuis habitués à cette
indomptable indépendance nord-coréenne.
Il semblerait qu’ils aient accepté les
initiatives de Kim, lorsqu’il a
rencontré le président Xi, récemment.
Par cette journée
tellement radieuse pour la Corée, je ne
veux pas penser aux complications
éventuelles. Pour la première fois en
tant d’années, la lumière perce le ciel
sombre de la Corée, partagée en 1945 et
jamais réunifiée, à la différence du
Vietnam et de l’Allemagne. C’est
peut-être maintenant le tour de la
Corée ?
*jpeg : extension
(codage) de fichier numérique pour les
images scannées ou photographiées
Traduction :
Nabil L
Pour joindre
l’auteur:, écrire à l'adresse adam@israelshamir.net
L’article original
est disponible sur The
Unz Review.
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dossier Corée de Nord
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