Opinion
Elle refuse de « condamner » la
persécution des musulmans de Birmanie:
François Hollande lui déclare « toute
l’admiration du peuple français »
Hicham Hamza
Samedi 19 avril 2014
Droit-de-l'hommisme à géométrie
variable. Le chef de L'État a déroulé
aujourd'hui le tapis rouge à la
parlementaire birmane Aung San Suu Kyi sans
un mot sur sa passivité notoire à propos
des exactions commises contre la
minorité musulmane.
250 morts et plus de 140 000 déplacés:
aucune allusion au drame qui se déroule
depuis deux ans en Birmanie.
Ce mardi matin, à l'Élysée, François
Hollande n'a pas évoqué la persécution
des musulmans de Birmanie en présence de
son illustre invitée, venue en Europe
consolider ses réseaux de
soutien : Aung San Suu Kyi. Pour
cause: cette dernière continue
d'adopter la discrétion sur le sujet.
Comme en témoigne la vidéo
officielle ci-dessous, le président de
la République n'a pas hésité à déclarer "toute l'admiration du peuple
français" à celle qui continue
pourtant de "ne pas condamner"
les massacres et autres formes de
violences exercées à l'encontre de la
minorité musulmane des Rohingyas.
Pourquoi ce refus? "Je ne trouve pas
que la condamnation apporte de bons
résultats",
déclarait-elle laconiquement en
novembre dernier.
Présentée sommairement par les
médias occidentaux comme la
"lauréate d'un prix Nobel de la paix"
(obtenu il y a pourtant fort longtemps
-en 1991- durant sa détention
administrative par le régime militaire),
cette parlementaire (élue en avril 2012)
qui aspire désormais à présider la
Birmanie s'est distinguée -depuis près
de deux ans- dans un registre inattendu:
le relativisme moral face aux violations
des droits de l'homme commises dans son
propre pays.
Interrogée l'an dernier sur les
persécutions -entamées
en juin 2012- de musulmans qui n'ont
pas droit à la citoyenneté birmane, elle
se contenta de rétorquer la
phrase suivante: "Je ne suis pas
certaine qu'ils soient Birmans".
Le 17 mars -soit un mois avant
la réception honorifique d'Aung San Suu
Kyi par la France- Tomas Ojea
Quintana, rapporteur spécial à l'ONU
pour les droits de l’homme au Myanmar
(Birmanie), avait pourtant dressé un
tableau accablant pour le régime en
place avec lequel collabore celle qui
continue d'être présentée abusivement
-au regard des faits- comme une
"opposante birmane". Selon le
rapporteur onusien, certaines violations
commises pourraient constituer des
"crimes contre l'humanité".
Un an auparavant, en avri 2013,
l'ONG Human Rights Watch
évoquait déjà « une campagne de
nettoyage ethnique contre les Rohingyas,
à travers le refus de l’accès à l’aide
humanitaire et l’imposition de
restrictions à leur liberté de
circulation » et accusait le
gouvernement birman -assisté par les
autorités locales- d'avoir contraint le
déplacement (dans
des camps) de dizaines de milliers
de Rohingyas et membres d’autres
communautés musulmanes. Rappelons ici
que "l'opposante birmane" avait
déclaré, l'an dernier,
"être fan de l'armée" de
son pays.
En
novembre dernier, la revue Femmes en
résistance publia un
dossier spécial consacré aux
musulmanes de Birmanie et souligna le
silence d'Aung Su Suu Kyi, l'expliquant
par la forte influence des moines
bouddhistes (dont certains sont à
l'origine des persécutions) dans le jeu
politique local.
Un
portrait détaillé,
publié aujourd'hui sur le site de
CNN, revient sur la "déception"
suscitée par la métamophose de
l'intéressée, passée de l'image d'une
icône des droits de l'homme (comme
l'illustre la bande-annonce, visible
ci-dessous, d'un film à sa gloire) à
celle de collaboratrice stratégique des
militaires encore au pouvoir.
Au-delà
de ce dépit amoureux ressenti par de
plus en plus d'observateurs des
relations internationales, peut-être
faut-il voir dans le silence de
l'ancienne héroïne un autre aspect,
jamais nommé pour ce qu'il semble être:
l'islamophobie. Lors d'un
entretien accordé -en octobre dernier- à
la radio britannique BBC4 et rapporté
par
The Guardian, Aung Sun Suu
Kyi laissa échapper un point de vue qui
ne déplairait pas à cette mouvance
idéologique -dite parfois
"néoconservatrice"- dont l'islam
constitue une obsession singulière (et
dont Manuel Valls, Eric Zemmour et
Caroline Fourest -parmi tant d'autres-
constituent les porte-voix hexagonaux).
Niant
toute forme de "nettoyage ethnique"
dans son pays et préférant renvoyer dos
à dos les persécuteurs et les
persécutés, la femme politique qui
brigue la présidence de Birmanie a
exprimé, en ces termes, le fond de sa
pensée méconnue en France:
Le problème s'est
accentué l'an dernier et cela
concerne la peur des deux côtés.
La peur n'est pas
seulement présente du côté des
musulmans mais également de celui
des bouddhistes. Des musulmans ont
été ciblés mais des bouddhistes ont
été aussi soumis à la violence….
Le pouvoir musulman
mondial est très important et il
s'agit là, de toute évidence, d'une
perception dans de nombreuses
parties du monde, de même que dans
notre pays.
HICHAM HAMZA
Mise à jour 15.04.2014 à
20h34: après François Hollande, ce
fut au tour de Laurent Fabius, ministre
des Affaires étrangères, de recevoir
Aung San Suu Kyi avec une déférence
encore plus accentuée. Le patron du Quai
d'Orsay n'a ainsi pas hésité à utiliser
la même symétrie fallacieuse que son
invitée, déplorant les "extrémistes"
de part et d'autre en Birmanie.
Post-scriptum: en parallèle
à la visite de la parlementaire birmane,
une
pétition a été mise en ligne par
l'association humanitaire
BarakaCity afin d'appeler au boycott
de l'émission
Pékin Express de M6 (diffusée demain
soir) dont le périple se
déroule en Birmanie.
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