Opinion
4 jours à Téhéran
Gilles Munier
Vendredi 28 novembre 2014
Ayant passé une partie de ma vie à
soutenir l’Irak dans ses combats, je ne
pensais pas aller un jour en Iran.
Aussi, lorsque j’ai reçu un courriel
m’invitant à participer fin octobre
dernier à la conférence des «
Penseurs et des cinéastes indépendants
», organisée par l’ONG New
Horizon à Téhéran, j’ai cru qu’il
s’agissait d’une plaisanterie… J’ai
remercié les organisateurs et leur ai
demandé de consulter ma biographie sur
Wikipédia pour vérifier s’ils
ne s’étaient pas trompés !
C’était bien une invitation. La
réponse est arrivée le jour même par la
voix de Hamed Ghashghavi, coordinateur
de l’opération, qui m’a dit dans un
français impeccable : « Nous savons
qui vous êtes, nous connaissons vos
engagements, venez si vous êtes
intéressé, vous êtes le bienvenu…».
J’y suis allé, via Dubaï, la ligne
Paris-Téhéran étant fermée à titre de
sanction contre l’Iran. Cela me
rappelait les 13 ans d’embargo imposés à
l’Irak, la traversée du désert en taxi -
Amman-Bagdad ou Damas-Bagdad -
en moins.
Lobbies
sionistes … 11 septembre
La conférence se tenait dans un des
grands hôtels de la ville. Principal
thème du programme: la campagne des
lobbies israéliens contre l’Iran,
notamment aux Etats-Unis avec
Gareth Porter, un journaliste
d’investigation américain de renom –
auteur de « Manufactured Crisis: The
Untold Story of the Iran Nuclear Scare
» qui va être traduit en persan - et par
le journaliste brésilien
Pepe Escobar qui en ont démonté les
mécanismes.
J’ai toujours considéré que l’Iran a
le droit d’effectuer des recherches dans
le domaine nucléaire à des fins
pacifiques, comme je l’ai été pour
l’Irak dont le réacteur
Tamouz a été en partie détruit par
l’aviation israélienne en 1981. Et, je
ne vois pas pourquoi les Iraniens n’en
feraient pas autant dans le domaine
militaire puisqu’Israël possède -
selon l’ancien président Jimmy Carter -
entre 150 et 300 ogives nucléaires. Cela
dit, il serait préférable qu’aucun pays
du Proche-Orient n’en possède. Mais, il
ne faut pas se faire d’illusions :
aucune grande puissance n’imposera à
Israël la destruction de son arsenal
nucléaire, en tout cas pas la France qui
en est à l’origine, comme elle l’a été
des centres de recherches irakien et
iranien (du temps du Chah).
Les activités des lobbies
pro-israéliens en France, en Italie, en
Belgique et en Grande-Bretagne ont été
décrites par, respectivement,
Maria Poumier – ancienne maître
de conférences aux universités de La
Havane et de Paris VIII –
Claudio Moffa – professeur
d’histoire à l’université de Teramo
– Isabelle Soumaya Praile,
vice-présidente de l’Exécutif
des musulmans de Belgique et
Stefen Sizer, un pasteur anglican
britannique.
Maria Poumier était depuis quelques
semaines en Iran où elle présentait
Amia repetita, son
documentaire sur l’attentat commis à
Buenos Aires en 1994 contre le
Centre communautaire juif dont
l’Iran a été accusé. Pour elle qui est
allée enquêter sur place, il s’agit
d’une opération sous faux drapeau
effectuée par les services secrets
israéliens. L’intervention du pasteur
Sizer portait principalement sur la
montée de l’évangélisme chrétien
sioniste, sujet auquel il a consacré
plusieurs ouvrages.
La séance consacrée aux attentats du
11 septembre, avec les interventions de
l’américain francophone
Kevin Barrett, de
Wayne Madsen – ancien consultant
à la NSA - du cinéaste
Art Oliver, et de
Thierry Meyssan, réfugié à Damas,
n’ont rien révélé de vraiment nouveau
sur le sujet. La demande d’ouverture
d’une enquête internationale sur ces
attentats, formulée par ce dernier, a
été retenue dans le communiqué final de
la conférence.
Etat
islamique en Irak et au Pays de Cham
L’émergence de l’Etat islamique
– autre sujet abordé – a
été présentée comme une sorte de complot
américano-israélo-saoudien. Interviewé
par des journalistes iraniens, je n’ai
pas caché qu’il s’agissait d’une analyse
spécieuse et contre-productive. «
Vous devriez poser la question au
général Qassem Suleimani »
leur ai-je dit, « il est bien placé
pour savoir ce qui se passe en Irak ! ».
« La montée en puissance d’Al-Qaïda,
puis de l’Etat islamique est d’abord à
porter au compte de l’invasion et de
l’occupation de l’Irak, puis à la
politique sectaire et obtuse de Nouri
al-Maliki » et qu’à mon avis, ai-je
ajouté : « les Etats-Unis vont en
profiter pour entrainer l’Iran dans le
bourbier irakien, ce qui n’est pas de
l’intérêt de Téhéran, visé aussi par le
plan de remodelage du Moyen-Orient ».
Je n’ai pas eu l’impression de choquer
mes interlocuteurs. La seule prise de
parole intéressante concernant l’Etat
islamique fut celle d’Imran
Hussein, spécialiste sunnite de
l’eschatologie musulmane, qui entrevoit
dans le bouleversement causé à
l’équilibre proche-oriental le risque à
terme d’une guerre opposant les sunnites
aux chiites au niveau mondial dont les
Israéliens tireraient le plus grand
profit.
Conférence
controversée à Téhéran
Par Gilles Munier
(Afrique Asie – novembre 2014)
« Horizon nouveau »,
conférence reportée après l’élection
d’Hassan Rouhani à la présidence
iranienne, s’est tenue avec succès à
Téhéran le 29 septembre et 1er octobre
dernier. Une trentaine d’invités, dont
beaucoup d’Etatsuniens - écrivains,
journalistes, militants d’ONG – ont
passé au crible les menées
anti-iraniennes des lobbies israéliens
occidentaux. Une session a été consacrée
à la menace EIIL sur le
Proche-Orient, et une autre à la
dernière agression contre Gaza avec les
interventions de représentants du
Hamas et du Djihad islamique.
Un appel à amplifier le boycott des
produits israéliens a été lancé par
Medea Benjamin et l’ancien
Marine
Kenneth O’Keefe, connus aux
Etats-Unis pour leurs dénonciations des
crimes US et israéliens. Art Olivier,
ancien candidat libertarien à la
vice-présidence des Etats-Unis, a
annoncé le tournage de son film sur
Rachel Corrie, manifestante
non-violente américaine écrasée par un
bulldozer israélien en 2003.
Il fallait s’attendre à ce que la
session consacrée aux attentats du 11
septembre – où il fut rappelé que
60% des Américains ne croient plus à la
version officielle de l’événement -
pose problème. Les sites pro-israéliens
US ont sauté sur ce prétexte pour
qualifier la conférence de «
conspirationniste », d’«
antisémite », allant jusqu’à
inventer la présence de l’humoriste
Dieudonné (!) sur les lieux
pour justifier leurs accusations.
Qu’importe si Reza Montazani,
organisateur de la réunion, avait
précisé que le sionisme était seul en
cause, qu’il ne tolèrerait aucun
dérapage anti-juif… et qu’il n’y en a
pas eu.
Photo ci-dessous:
Une vue de la salle de conférence :
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 29 novembre 2014 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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