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Un coup de poignard dans le dos du Hirak ?
Gilles Munier
Mercredi 22 juillet 2020 + Droit de
réponse à Ahmed Bensaada, par Mourad
Dhina,
co-fondateur de
Rachad
Des amis me
demandent ce que je pense de "Qui
sont ces ténors autoproclamés du irak
algérien?", le « livre-enquête »
publié en juin dernier par
l’universitaire algéro-canadien Ahmed
Bensaada.
N’ayant pas lu
l’ouvrage, exclusivement diffusé en
Algérie, je ne donnerai, pour l’instant,
que mon avis sur le choix du titre.
Dans des extraits
parus sur Internet, l'auteur prend à
partie des figures du mouvement
populaire antisystème algérien,
notamment l’avocat Mustapha Bouchachi (ancien
président de la Ligue algérienne pour la
défense des droits de l'homme – LADDH),
la juriste Zoubida Assoul (ancienne
porte-parole de Moutawana qui militait
contre le 5ème mandat du
président Bouteflika), Karim Tabbou
(ancien premier secrétaire du FFS -
Front des Forces Socialiste, le
parti d’opposition fondé par Hocine Aït
Ahmed) et Mourad Dhina
(co-fondateur du mouvement Rachad).
J’ai suivi au jour
le jour, depuis le 22 février 2019, le
développement de la situation en Algérie,
et à ma connaissance aucune des
personnalités citées – ni personne
- ne s’est autoproclamée "ténor"
ou porte-parole du Hirak.
Tous ceux qui sont
intervenus dans les médias ont répondu
par la négative à la question de savoir
s'il parlait au nom du Hirak.
En revanche,
nombreux sont ceux qui ont été arrêtés
pour avoir publiquement donné leur
opinion sur le système algérien. Les
noms des prisonniers les plus connus
sont ceux du moudjahid Lakhdar Bouregaâ
et de Karim Tabbou, emprisonné puis
libérés, provisoirement. Mais combien
d'autres croupissent encore en prison,
comme le journaliste Khaled Drareni, de
Radio M, arrêté uniquement parce
qu'il rendait compte objectivement du
déroulement d'une manifestation ?
Je ne connais pas
personnellement Mustapha Bouchachi,
Zoubida Assoul et Karim Tabbou et je
salue leur courage.
Ayant milité en
2012 pour la libération de Mourad Dhina
incarcéré à la
prison de la Santé, il m’est arrivé
ensuite de m’entretenir avec lui. Je
sais qu'il n'en manque pas non plus.
A la suite de la
parution de "Qui sont ces ténors
autoproclamés du Hirak algérien ?",
Mourad Dhina a réagi avec calme aux
attaques mensongères et diffamatoires le
concernant en adressant à l'auteur un
droit de réponse qui n'a toujours pas
été publié...
En voici
l’intégralité paru sur
le site du mouvement Rachad.
G.M
Réponse à Ahmed
Ben Bensaada
Par Mourad Dhina
Cher Hocine
Bensaada,
Que la Paix et la
Bénédiction d’Allah soient sur toi.
Je ne doutais pas
de ton existence avant que ton frère
aîné te porte, un peu maladroitement, à
mon attention. Je suis honoré de faire
ta connaissance.
Je voudrais tout
d’abord d’exprimer toute ma tristesse
que tu aies été fauché à la fleur de
l’âge, alors que tu effectuais ton
service militaire, dans une armée
détournée de ses missions
constitutionnelles pour mener une « sale
guerre ». Toute ma tristesse que tu
n’aies pas pu voir fleurir les
printemps, cueillir les automnes, et
voir vieillir tes parents et grandir tes
enfants.
Je ressens la même
tristesse pour chacun et chacune des
dizaines de milliers d’autres Algériens
et Algériennes dont le cheminement de
vie, tout aussi plein de promesses et de
joies à venir, s’est terminé à cause
d’une guerre qu’ils n’avaient pas
choisie.
Tu n’es plus là où
tu étais, tu as laissé un immense vide,
mais tu es vivant et partout là où ton
frère Ahmed porte ta mémoire. Toutes
celles et tous ceux qui sont morts
durant cette sale guerre, sous les
ordres des chefs de l’armée ou contre
eux, sont encore vivants, portés qu’ils
sont par la mémoire des familles qui les
ont chéries.
Ces mémoires, de
part et d’autre, s’assemblent et se
ressemblent dans ce qui est nostalgie et
réminiscence des partages et des
bonheurs des vies privées, mais elles
continuent de s’entrechoquer dans ce qui
relève de la mémoire commune. Rien n’a
trop changé depuis les années 90. Il y a
une mémoire officielle qui glorifie le
choix des chefs de l’armée de plonger le
pays dans la guerre ainsi que les
personnes qui l’ont défendue de plein
gré, ou forcés. Et une amnésie
officielle du reste. En face, il y a des
mémoires collectives, encore
clandestines, qui ont d’autres narratifs
sur les causes de cette guerre imposée,
et sur les tenants et aboutissants des
atrocités de ces années sanglantes. Les
plus vivaces de ces mémoires sont celles
portées par les mères de ceux dont on a
voulu effacer même la mémoire…
L’Algérie
d’aujourd’hui ressemble encore à
l’Algérie de tes vingt ans. Rien n’a
trop changé depuis. Le pays attend
toujours un processus de vérité, de
justice et de réconciliation pour que
ces mémoires se parlent. Il attend la
vérité comme exigence d’ouverture sur le
passé, révélation et reconnaissance des
faits, et comme transparence et clarté
sur ce qui s’est passé. Il attend la
justice comme réhabilitation,
réparation, restitution, égalité,
droits, cessation des pratiques
oppressives, et punitions des crimes
imprescriptibles. Il attend enfin une
véritable réconciliation, qui ne pourra
s’instaurer qu’une fois que la cause
fondamentale du conflit aura été
résolue, par la restitution du pouvoir à
des autorités civiles légitimement
élues, et que les exigences de vérité et
de justice auront été satisfaites.
La meilleure façon
de commémorer et d’honorer ceux qui nous
ont quitté est de prendre soin des
vivants qui ont partagé leurs vies, de
faire en sorte que plus jamais ne se
reproduise dans notre pays une sale
guerre. Et c’est ce dont je voudrais
parler à ton frère Ahmed, qui j’espère
aura pu soulager un tant soit peu son
deuil en écrivant à ta place.
Quant à toi, je te
dis que ton âme repose en paix et
qu’Allah t’accorde Sa miséricorde.
Cher Ahmed,
Exprimer votre
souffrance et votre indignation à la
suite de la mort violente de votre frère
est compréhensible et requiert la
compassion de tous.
Faire porter à
votre frère vos propres opinions
politiques et vilipender en son nom
d’autres personnes est en revanche
inapproprié.
Je commencerai par
dire que si je vous réponds ce n’est pas
parce que vous avez proféré à mon
encontre des accusations infondées,
colportées par les divers canaux de la
propagande noire du régime, chose par
ailleurs assez troublante pour quelqu’un
qui prétend fournir des références
crédibles sur ce qu’il avance. Je ne
répondrai pas aussi à vos insultes
contre ma personne (« mains rouges »,
« les gens comme vous – qui ne
travaillent que pour l’argent », « vous
servez la destruction des
Etats-nations », « adolescent en mal de
célébrité », etc.). Certaines de ces
formules constituent au sens du droit
une diffamation, voire une calomnie. Le
but de ma réponse concerne cependant le
fond de votre démarche.
Nous n’avons
manifestement pas la même grille de
lecture de la crise algérienne. Vous
répétez dans vos écrits, y compris votre
dernier pamphlet sur le Hirak, la thèse
selon laquelle le FIS serait « le seul »
responsable du drame algérien, que ceux
qui appellent à des enquêtes sérieuses,
impartiales et crédibles sur les crimes
commis dans les années 1990 ne sont que
des « qui-tue-quistes » à la solde des «
terroristes islamistes » ou de «
puissances étrangères ».
Selon votre
raisonnement et vos écrits, tous ces «
méchants-vendus-traitres » n’avaient
pour but que de « faire du mal » à
l’Algérie. Cette « Algérie » qu’il
convient, selon votre logique, à
assimiler aux Nezzar, Lamari, Mediène et
autres éradicateurs, intellectuels et
démocrates autoproclamés qui n’ont vu le
salut de « leur » Algérie que dans
l’élimination physique de tout ce qu’ils
labélisaient comme faisant partie de l’«
hydre intégriste » ! Selon cette
logique, les « gueux » et autres «
va-nu-pieds » ayant voté pour le FIS ont
mérité, par ce lèse-majesté, d’être
déchus du titre d’« Algériens ».
Ma posture morale
et politique a été aux antipodes de ceux
qui ont dégorgé les discours de la
diabolisation et de la négation. Je n’ai
personnellement rejoint le FIS qu’après
sa dissolution par les putschistes – je
sais que vous n’êtes pas d’accord sur ce
point mais, sur le plan du droit, il est
indiscutable que ce qui a été commis en
janvier 1992 est un coup d’État. Je n’ai
jamais eu d’ambition politique pour ma
personne, ni aspiré à une fonction
officielle, et j’ai d’ailleurs quitté ce
parti en 2004. J’ai soutenu le FIS par
solidarité avec des milliers de ses
membres ou sympathisants qui ont été
torturés, assassinés ou disparus sur
ordre des putschistes. Je ne parle pas
de personnes qui ont pris les armes car
ces derniers doivent assumer les
conséquences de leur choix, mais de ceux
qui ont été arrêtés devant leurs enfants
ou sur leur lieu de travail. Je ne
conteste nullement à qui que ce soit le
droit de critiquer le FIS et le
combattre politiquement, bien au
contraire. Ce qui est cependant
condamnable, aussi bien du point de vue
moral que légal, c’est le fait de
décider arbitrairement que ce parti ne
peut exister en Algérie et que, pire,
ses membres et sympathisants ne peuvent
eux aussi exister – au sens propre du
terme ! – dans leur pays.
Je n’ai aucun doute
que, malgré la propagande tentant
d’officialiser le narratif des
putschistes, l’édifice de falsification
s’écroulera et l’histoire retiendra
qu’ils ont tenté d’asseoir le putsch par
un politicide, c’est à dire la
destruction physique délibérée d’une
partie de la population sur la base de
son allégeance politique. C’est là la
seule explication qui peut rendre compte
des violations massives et systématiques
des droits de l’homme (emprisonnements,
tortures, exécutions sommaires,
disparitions, massacres) qui ont eu
lieu, de leurs évolutions dans le temps,
et en particulier de la géographie
politique des massacres.
Passons à un autre
point.
Monsieur Bensaada,
s’il est vrai comme vous le précisez que
votre dernière intervention sur l’ENTV
était faite à distance, vous avez bien
été présents physiquement des plateaux
des médias du régime algérien. Le
problème n’est pas votre intention qui
peut être défendable mais l’usage que
fait le régime de vos participations.
Votre livre a eu droit à une véritable
promotion de la part de l’agence de
presse officielle du pouvoir. Et je ne
pense pas que vous soyez naïf à ce point
pour confondre « défendre l’Algérie »
avec défendre un régime, de surcroit
illégitime. Vous êtes mû par une
obstination : les révolutions arabes, y
compris le Hirak, ne sont en fait qu’une
manipulation de forces occultes
étrangères.
La crainte de la
manipulation est légitime et je la
partage. Elle devient exagérée et
insultante quand on réduit une
révolution populaire au fait que deux ou
trois ONGs d’un pays donné ont reçu des
subventions de pays étrangers. Non pas
que je soutienne personnellement ces
ONGs ou leurs sponsors, loin de là. Il
relève de transparence et de la
redevabilité démocratique de montrer que
telle entité a reçu telle somme de telle
organisme, mais de là à tordre des faits
pour en extraire des hypothèses selon
lesquelles le Hirak serait récupéré par
des officines US, le Qatar, ou je ne
sais quel autre Etat, relève de
l’extrapolation injustifiée et
disproportionnée qui frise la paranoïa.
Est-ce que les
soupçons d’être à la solde d’intérêts
étrangers ne seraient-ils pas plus
sérieux s’ils étaient dirigés contre
Chakib Khelil, par exemple, plutôt que
contre Bouchachi, « accusé » d’avoir
assisté à une conférence financée par un
organisme US ? Pourquoi ne pas dénoncer
aussi la présence de hauts gradés de
l’armée algérienne à des réunions de
l’OTAN, côte à côte avec des officiers
israéliens ?
Vos affirmations
constituent par ailleurs une insulte au
patriotisme et à la probité des millions
d’Algériens et d’Algériennes qui ne
réclament que leur droit de vivre libres
et dignes dans un Etat de droit et
souverain ! En effet, ils se voient
assimilés soit à des traitres à la solde
de l’étranger ou au mieux à des dupes
manipulées par des forces occultes.
En outre, vos
allégations attribuent implicitement aux
Algériens un manque de maturité et
surtout de s’être opposé à une
« issaba » que vous confondez avec l’«
Etat-nation » ! Or le peuple algérien
n’a qu’un souhait, c’est de bâtir une
nation souveraine, unie et forte et
d’édifier un Etat de droit, de dignité
et de bonne gouvernance. Cette ambition
a été contrecarrée depuis l’indépendance
par une élite militaire avec sa vitrine
civile qui s’est accaparée le pouvoir,
et a montré son visage le plus hideux
depuis les années 1990s avec ses Nezzar,
Lamari, Mediène, Bouteflika, Ouyahia et
le reste de la « Issaba ».
Je suis
foncièrement contre toute ingérence
étrangère en Algérie et ailleurs,
notamment dans le Monde arabe, et n’ai
rien à apprendre de vous à ce sujet.
S’il y a eu vraisemblablement ingérence
US dans les révolutions dites colorées,
la situation dans le Monde arabe, et
surtout en Algérie, est totalement
différente. Il y a aussi un grave
problème dans vos analyses qui tendent à
nous dépeindre, sous prétexte de refus
d’ingérence étrangère, des dictateurs
sanguinaires dans certains pays comme
des garants de l’« Etat-nation » ! Le
Hirak en Algérie est souverain,
patriote, non-violent et ne se laissera
pas manipuler, ni par des entités ou
Etats étrangers, ni par le régime actuel
et ses relais. Il est également inclusif
et œuvre pour l’unité des Algériens.
Vous, par contre, vous voulez
l’« épurer » selon vos lubies : pas
d’« islamistes », pas de Bouragaa, pas
de Tabou, pas de Bouchachi, pas de
Assoul, pas de Boumala, pas de Addi
etc., les premiers étant selon vous des
« sanguinaires » ou des apostats de la
démocratie, les autres tout simplement
vendus à des intérêts étrangers ! Les
Algériens, ou du moins ce qu’il en
reste, sont donc sommés selon cette
logique de se contenter du pouvoir
actuel ! Pensez-vous que ce pouvoir
trouverait meilleure propagande que
votre discours, et meilleur allié que
vous ?
Monsieur Bensaada,
Vous m’avez invité
– je préfère comprendre de cette façon
votre expression « je vous mets au
défi » – à un débat. Bien évidemment je
serai heureux d’y participer tout en
vous précisant que je ne pense pas être
un « ami » de France24. Je préciserai
cependant que, pour moi, débattre n’est
pas un but en soi, ni pour faire la
promotion de « mon » livre ou gagner en
notoriété. J’assume mes positions et
n’attend rien en retour de qui que ce
soit. J’ose espérer, cependant, que ceci
ira dans la voie de la réconciliation
des Algériens et Algériennes et
contribuera à apporter des jours
meilleurs à notre peuple qui a trop
souffert de la violence, de l’arbitraire
et de la bêtise.
Contexte :
Cette lettre a été
rédigée le 19 juin 2020 et fait suite à
un article publié par Ahmed Bensaada
sur son site où il fait référence à
une vidéo où je le mentionne à
partir de la 18éme minute environ.
J’ai tenté en vain,
depuis une semaine, de contacter Ahmed
Bensaada (recherche sur les réseaux
sociaux, annuaire téléphonique du Canada
et à travers un formulaire de contact
sur son site) afin qu’il publie ce texte
sur son site comme droit de réponse. Je
n’ai à ce jour malheureusement toujours
pas reçu de réponse de la part d’Ahmed
Bensaada.
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