Opinion
Fabius au pays de « Ceux qui aiment la
mort »…
Gilles Munier
Photo:
D.R.
Lundi 11 août 2014
Laurent Fabius,
ministre français des Affaires
étrangères et du Tourisme (du
Développement international, pour faire
plus sérieux), s’est envolé vers le
Kurdistan irakien, le pays des
peshmerga, littéralement de «
Ceux qui aiment la mort » (1).
Après la libération
de Mossoul par une coalition
d’organisations nationalistes arabes,
patriotiques irakiennes et de
djihadistes de l’Etat Islamique en
Irak et au Levant (EIIL ou Daash),
il fallait s’attendre à ce que se
reproduise ce qui s’était passé dans la
région de Raqqa en Syrie : le choix
donné aux non-musulmans sunnites entre
accepter le statut de
dhimmi, la conversion à
l’islam, l’exil… ou la mort pour ceux
susceptibles de combattre les nouvelles
autorités.
A Raqqa, les
autorités religieuses chrétiennes ont
fait contre mauvaise fortune bon cœur,
et conseillé à leurs ouailles de verser
l’impôt réservé aux «
Gens du Livre
» pour rester
chez eux. Cela n’a pas été le cas en
Irak où, pris de panique, une première
vague de chrétiens est allée se réfugier
à Erbil et dans les villes et villages
bordant la frontière avec la Région
autonome du Kurdistan. Ils craignaient
alors moins les djihadistes que les
bombardements d’une contre-attaque du
régime de Bagdad. La seconde vague s’est
produite après que Daash, ayant
pris le dessus sur les autres courants
de la révolution, ait marqué leurs
maisons d’un « N » rouge (pour
Nazarat : chrétien), vandalisé des
églises, détruit les mausolées de
prophètes bibliques et attaqué les zones
occupées par les peshmerga après
l’effondrement de l’armée
gouvernementale.
Les
peshmerga
se sont débandés
Massoud Barzani,
président de la Région kurde, s’était
gaussé de la débandade des troupes de
Nouri al-Maliki, et déclaré que les
peshmerga – eux - n’étaient
pas du genre à reculer. Ce n’est pas ce
qui s’est passé à Qaraqosh, ville
chrétienne de 35 000 habitants «
protégée » par les Kurdes.
Le 7 août dernier, dès l’annonce
d’une offensive djihadiste sur Qaraqosh,
« Ceux qui aiment la mort » se sont
débandés, laissant les chrétiens
désemparés, comme à Sinjar quelques
jours plus tôt, où l’attaque a provoqué
l’exode massif des Yézidis (2).
Aujourd’hui,
Daash campe à 40 km d’Erbil,
capitale de la Région autonome du
Kurdistan, et tout le monde s’attend à
ce que les djihadistes attaquent Kirkouk,
également occupée par les peshmerga.
En Irak, djihadiste
ne veut pas dire automatiquement
islamiste arabe ou étranger. La
coalition libératrice de Mossoul
comprend Ansar al-Islam, une
organisation composée de militants
kurdes et arabes créée en 2001 -
c’est-à-dire bien avant la naissance
d’Al-Qaïda en Mésopotamie – qui a
des comptes à régler avec le régime de
Barzani, tout comme les islamistes
kurdes syriens et irakiens membres de l’Etat
Islamique.
Les Kurdes
regroupés autour de Barzani feront-ils
le poids face aux troupes du calife
Ibrahim ? Sans aide occidentale et
israélienne, il est permit d’en douter.
Les peshmerga sont pratiquement
imbattables comme maquisards – ils
l’ont prouvé depuis la création de la
République d’Irak par les Britanniques
– mais manquent d’expérience en rase
campagne. On se souvient qu’en 1996,
lors du conflit sanglant opposant Jalal
Talabani à Massoud Barzani, ce dernier
avait dû faire appel à Saddam Hussein
pour reprendre Erbil à son concurrent
(3).
Une goutte d’eau
dans un océan de malheur
A Erbil, Laurent
Fabius n’a pas joué les matamores. Il a
simplement proposé, sur fond d’un
déchargement de vivres (spectacle
inspiré des sacs de riz de Kouchner en
Somalie), de lancer un « pont
européen de solidarité », soit une
goutte d’eau dans un océan de malheur (Cela
sera très apprécié », a-t-il déclaré !).
Il va aussi livrer des armes aux
peshmerga, ce qui n’est pas original
et qui n’empêchera pas le calife Ibrahim
de dormir. Pour le reste, comme
ailleurs, la politique de la France sera
celle des Etats-Unis. Fermer le ban !
Massoud Barzani qui
connaît l’histoire du Kurdistan depuis
la chute de l’Empire ottoman - et qui
n’est pas né de la dernière pluie –
doit se demander si son projet de
referendum pour l’indépendance du
Kurdistan n’a vraiment rien à voir avec
l’offensive dont sa région est
actuellement la cible.
Photo:
Laurent Fabius et Massoud Barzani
(1) Ou «
Ceux qui vont au-devant de la mort »,
terme correspondant approximativement à
feddayin pour les Arabes
(2)
En Irak, les Yézidis, appelés à tort «
adorateurs du Diable », sont menacés de
génocide , par Gilles Munier
(AFI-Flash – août 2014)
(3) En 1996,
les Américains ont laissé les troupes
irakiennes entrer au Kurdistan et
écraser les partisans de Talabani, jugés
trop pro-iraniens Entre 1994 et 1998, la
guerre entre factions kurdes a fait plus
de 3 000 morts.
© G. Munier/X.
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Publié le 11 août 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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