France-Irak
Actualité
Djihadistes de l’EI :
et maintenant ils saccagent Hatra
Gilles Munier
Samedi 5 avril 2015
La propagande de guerre du régime de
Bagdad avait annoncé la destruction du
site archéologique de Hatra un peu vite.
Maintenant, elle est en cours.
L’Etat islamique a diffusé
une vidéo montrant la destruction d'un
visage gravé sur un mur parce qu’il
était « idolâtré à la place d’Allah
», un djihadiste tirant avec une
kalachnikov sur une statue… etc…
Lamentable, déshonorant, criminel.
Des censeurs imbéciles ont supprimé la
vidéo sur You Tube, on se
demande pourquoi. Elle est heureusement
sur
Liveleak.
Ci-après l’interview que j’ai
accordée au quotidien Présent
au sujet du pillage des sites
archéologiques irakiens par des
combattants de l’Etat islamique
(publiée hier dans son supplément
littéraire – 4/4/15) :
Propos recueillis par Camille
Galic
Gilles Munier, secrétaire
général des Amitiés
franco-irakiennes depuis 1986 et
animateur du blog
France-Irak-Actualité, vous avez
publié en 2000 aux éditions Jean
Picollec un Guide de l’Irak,
pays où vous vous êtes rendu à maintes
reprises entre 1974 et mars 2003.
Comment avez-vous réagi aux vidéos
diffusées par l’organisation Etat
islamique sur la destruction de
manuscrits anciens d’une valeur
inestimable et de statues, notamment au
musée de Mossoul ?
J’étais d’autant plus accablé par ces
vidéos que j’ai visité le musée de
Mossoul à deux reprises à la fin des
années 90 ainsi que la plupart des sites
archéologiques, mosquées, monastères et
églises détruits par Daech. A l’époque,
le musée était protégé par l’armée.
Après la Première guerre du Golfe
(1991), l’embargo imposé à l’Irak avait
réduit la population à la misère. Il
était tentant d’aller voler la tête
d’une statue mésopotamienne ou une
tablette cunéiforme pour nourrir sa
famille. En 1998, la police avait arrêté
à Khorsabad des trafiquants qui
découpaient en tranches la tête d’un
taureau ailé du palais du roi Sargon II
(721-705 av. JC) pour la reconstituer et
la vendre à l’étranger. Leur
condamnation à mort, commuée ensuite en
peine de prison, avait découragé les
candidats pillards.
La destruction du taureau ailé assyrien
par un djihadiste m’a fait mal au cœur
car j’avais pu le contempler juste après
sa découverte dans une excavation percée
par des archéologues sous le tell que
surplombait le tombeau de Jonas. En
juillet, la tombe du prophète a été
détruite à l’explosif par Daech, et je
crains que le palais d’Asarhaddon
(681-669 av. J-C), fils
d’Assourbanipal, dont le taureau ailé
gardait l’entrée, ne soit pillé et vendu
en pièces détachées à de riches
collectionneurs ou à des musées en Chine
ou ailleurs.
Il semblerait qu’à Mossoul,
certaines des statues fracassées aient
été non pas des originaux mais des
copies. Pensez-vous que les originaux
ainsi « préservés » puissent faire
l’objet de trafics ?
Oui, plusieurs objets détruits devant
les caméras par les djihadistes étaient
des copies. Le photographe Erick Bonnier
qui a illustré mon Guide de l’Irak
peut en témoigner puisqu’il les a tenues
en main. Les originaux étaient au musée
de Bagdad. Y sont-ils toujours ? Après
le pillage organisé de ce musée en 2003,
aucun inventaire sérieux et indépendant
n’a été effectué. Certains pillards
avaient des listes d’objets à voler, les
vitrines ou les entrepôts où ils se
trouvaient et éventuellement les copies
qui devaient les remplacer.
Les destructions de Nimroud et de
Khorsabad au bulldozer n’ont pas été
confirmées. De toutes manières, il ne
restait plus grand-chose sur ces sites
vidés à la va-vite – pour ne pas dire
pillés - à la fin du 19ème siècle par
des archéologues français et
britanniques et des intermédiaires peu
scrupuleux. Des taureaux ailés et des
statues de dieux antiques ont coulé dans
le Tigre lors de leur transport vers
Bassora. Dans les années 70, des
recherches ont été effectuées par un
prince japonais pour les retrouver, sans
résultat.
La destruction des temples de Hatra
serait, elle, dramatique comme l’a été
celle, il y a quelques jours, du
monastère de Mar Behnam, datant du 4ème
siècle, ou celle des manuscrits
islamiques de la bibliothèque de Mossoul
brulés en février dernier.
Malheureusement, les parchemins et
enluminures n’avaient pas tous été
numérisés par les Dominicains. Qui sait
si certains ne sont pas déjà en
possession d’antiquaires à Bruxelles ou
Qatar, s’ils ne seront pas un jour
vendus aux enchères à Londres ou à New
York.
Une exposition intitulée « Sur les
bords des fleuves de Babylone » se tient
actuellement au musée biblique de
Jérusalem. Une centaine de tablettes
d’argile mésopotamiennes - les plus
anciennes datant de l'exil des Juifs à
Babylone, il y a 2.500 ans - y sont
présentées. Il s’agit pour la plupart de
tablettes enregistrant des transactions
commerciales, dont une signée par un
marchand juif du nom de Netanyahou !
David Sofer, le collectionneur
israélo-londonien qui les a prêtées au
musée, affirme - sans convaincre tout le
monde – qu’il les a achetées à New York,
dans les années 90. Elles n’y sont pas
parvenues toutes seules… La journaliste
d’investigation américano-libanaise
Serena Shim qui dénonçait les trafics
d’antiquités – entre autres - organisés
par la CIA et le Mossad à la frontière
turque dans des camions d’ONG
humanitaires, a été assassinée en
octobre 2014.
De tels trafics se sont
produits après l’invasion étatsunienne
de 2003 et le pillage de nombreux musées
irakiens, dont celui de Bagdad. Quelle
en a été l’ampleur ?
En 2012, on estimait à plus de 32 000
le nombre des objets volés sur 12 000
sites archéologiques irakiens depuis
2003, et à 15 000 les pièces disparues
du musée de Bagdad.
Les Américains ont restitué certaines
d’entre-elles, volées par leur
soldatesque en pratiquant des
excavations sauvages sur les sites d’Our
et de Babylone transformés, comme par
hasard, en campement militaire. Mais des
dizaines de milliers de tablettes et
d’artefacts sont entre les mains de «
marchands » qui disent, comme David
Sofer, qu’ils auraient été perdus à
jamais s’ils ne les avaient pas
achetées… Savoir que la majorité des
trésors archéologiques mésopotamiens
dorment encore sous la terre d’Irak est
une maigre consolation. Autour de
Mossoul, on a dénombré 1791 sites
archéologiques, une aubaine pour les
trafiquants.
Dans votre Guide de
l’Irak, vous évoquez les très
importants travaux de restauration de
sites préislamiques entrepris sous la
présidence de Saddam Hussein. Peut-on
penser que les destructions actuelles
relèvent non seulement du fanatisme
salafiste mais aussi de la haine de
Daesh contre le régime baasiste, donc
laïc ?
Dans les années 70 et 80, le
Département irakien des antiquités a
restauré plusieurs sites archéologiques,
notamment celui de Babylone. Un budget
était également consacré à la
restauration des mosquées et sanctuaires
religieux sunnites et chiites, des
églises et des monastères, ainsi qu’à la
sauvegarde des tombeaux de prophètes
comme Ezéchiel, Ezra, Daniel. J’ai eu la
chance de les visiter pratiquement tous.
Aujourd’hui, je me demande ce qu’est
devenu celui du prophète Nahoum situé
dans la ville chrétienne d’Al-Qosh,
occupée par Daech ? Cela dit, la laïcité
ne fait pas partie du programme de
l’Etat islamique, mais il ne faut pas
croire que les daechistes exècrent tous
Saddam Hussein. Il demeure un symbole de
la résistance du peuple irakien contre
les Etats-Unis et l’Iran…. (…) …
Photo : Destruction
de Hatra
Vidéo de la destruction de
Hatra par l’Etat islamique :
http://www.liveleak.com/view?i=8af_1428174074
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 6 avril 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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