Opinion
Pauvre Irak !
Gilles Munier
Photo:
D.R.
Lundi 1er septembre 2014
(Afrique Asie
– septembre 2014)*
Le 1er mai 2004,
George Bush avait fait placarder
«
Mission accomplie » sur le pont de
l’USS Abraham Lincoln. Onze ans
plus tard, l’Irak est une terre
d’abominations.
Le pire est encore à
venir.
Depuis la
libération de Mossoul par une coalition
islamo-nationaliste sunnite hétéroclite,
les djihadistes de l’Etat Islamique
en Irak et au Levant (EIIL ou Daash)
qui participaient à l’opération ont pris
le dessus sur leurs partenaires
baasistes et nationalistes. Les anciens
militaires du temps de Saddam Hussein,
les soufis islamo-baasistes naqshabandis
d’Izzat Ibrahim al-Douri, et l’Armée
islamique en Irak –, organisation
de résistance différente d’Al-Qaïda
–, ont été dépassés par les décisions
prises par Abou Bakr al-Bagdhadi, chef
de Daash: proclamation du califat
–, épuration religieuse et ethnique de
la région de Ninive –, démolition de
tombeaux de prophètes bibliques –,
création d’une police religieuse -,
offensive contre la Région autonome du
Kurdistan… La route de Bagdad, objectif
premier des révolutionnaires, est passée
par Erbil. Ce n’était pas prévu.
L’Etat Islamique
– nouveau nom de l’EIIL – qui
dispose de stocks d’armes américaines
ultra-modernes abandonnés par les
troupes d’Al-Maliki, s’organise pour
durer. Il s’autofinance grâce aux
revenus de 7 champs pétroliers (8,4
millions de $ par jour à la mi-août),
contrôle le barrage de Falloujah et des
centrales électrique, recrute
massivement des Irakiens n’ayant eu que
la misère pour horizon, et a obtenu
l’allégeance de tribus sunnites vivant
près du Kurdistan. Des préfets
(wali) sont nommés, ils collectent
l’impôt et des taxes douanières. Des
institutions caritatives ont été créées
grâce à la Zakat, impôt prévu par
le Coran au profit des pauvres. La
conscription a été instaurée. Les
fonctionnaires ont ordre de rester à
leur poste. Il ne manque au califat que
la légitimité et une reconnaissance au
niveau international. Après les tueries
et les abominations commises par l’EI
contre les minorités de la région de
Mossoul, c’est une autre paire de
manche. Toute la question est de savoir
si les révolutionnaires sunnites sont
capables de reprendre la direction de
leur propre camp. Pas certain. On aurait
voulu discréditer leur cause qu’on ne
s’y serait pas mieux pris.
« Nid de frelons
»
Les Etats-Unis et
l’Iran ont eux aussi été dépassés par
les évènements. Pour stopper la
progression de l’EI, Barak Obama
et l’Union européenne livre des armes au
gouvernement kurde, l’ayatollah Khameneï
envoie des Basidj, des
Gardiens de la révolution et son
aviation soutenir les chiites irakiens.
La presse iranienne s’est spécialisée
dans le hoax anti-calife Ibrahim :
Fars News et d’Al-Ghadeer TV,
deux organes de presse iraniens,
assurent – photo truquée à l’appui
- qu’il s’appelle Simon Elliott, un juif
israélien infiltré par le Mossad parmi
les djihadistes. Une autre photo,
diffusée par Al Manar, le site du
Hezbollah libanais est plus crédible. On
y voit un individu habillé de noir, pris
de profil, ressemblant à Al-Baghdadi
participer à un entretien réunissant des
chefs rebelles syriens et le sénateur
John McCain lors de sa visite
clandestine dans le nord de la Syrie en
mai 2013. Seulement voilà : sur la photo
des mêmes participants, prise cette fois
de face, diffusée par le site américain
United Liberty, l’homme en noir
n’est pas le chef de Daash.
Au registre des
rumeurs circule sur Internet une
révélation d’Edward Snowden affirmant
que l’EI fait partie du «
vieux plan américano-britannico-israélien
» appelé « nid de frelons »,
visant à créer un nouvel islam. Il
manque tout simplement la dépêche de la
NSA l’attestant. L’agence azérie
APA cite « des médias turcs »
rapportant que l’EI veut détruire
la Kaaba, et assimile les musulmans à
des « adorateurs de pierres ». En
somme Daash serait pour certains
une sorte de résurgence de la secte
ismaélienne des Qarmates qui a volé la
Pierre noire en l’an 900… Ce n’est pas
ce genre de débilités qui freinera
l’avancée des troupes du calife Ibrahim.
Il serait plus
judicieux de s’interroger sur les
conditions de la libération d’Abou Du’a
– futur Abou Bakr al-Baghdadi -
du camp de concentration américain Bucca,
près de Bassora, où il a été interné de
2005 à 2009 pour « terrorisme »,
et sur les raisons pour lesquelles on ne
disposait, avant sa prêche à la grande
mosquée de Mossoul, que de deux
mauvaises photos de lui, alors que la
CIA l’avait alors photographié sous
toutes les coutures … Avant d’être
transféré aux autorités irakiennes qui
l’ont libéré – Maliki était ministre
de l’Intérieur et de la Défense ! -,
Baghdadi a dit sur un ton enjoué au
colonel Ken King, commandant du camp, et
à ses gardiens : « J’irai vous voir à
New York, les mecs ! ». Les
Américains se demandent aujourd’hui ce
qu’il entendait par là.
Dialogue et
réconciliation
Washington et
Téhéran se sont mis d’accord pour que
Haïdar al-Abadi, un membre d’Al-Dawa
pratiquement inconnu ayant fait ses
études en Grande-Bretagne, succède à
Nouri al-Maliki. Ce serait un homme de
dialogue. Si c’est vrai, tant mieux.
Mais à qui parler? On voit mal la
véritable opposition sunnite entrer dans
son gouvernement tant que les
prisonniers politiques n’auront pas été
libérés.
Nouri al-Maliki
avait raison de dire que l’actuel
président de la République, le Kurde
Fouad Massoum, a violé la constitution
en demandant à Al-Abadi de former un
nouveau gouvernement. Se souvient-il que
le président Jalal Talabani avait fait
de même en le désignant en 2010 ? On ne
refait pas l’histoire, mais on peut tout
de même penser que la coalition
Iraqiya dirigée par le chiite
pro-américain Iyad Allaoui et sortie
vainqueur du simulacre électoral, aurait
conduit le pays sous de meilleurs
auspices.
En Abou Bakr al-Bagdhadi,
l’Occident s’est trouvé un nouvel
Hitler. Dans la guerre qui s’annonce au
sol contre Daash, l’heure de
vérité sonnera aux portes de Bagdad. Et
après ? Après : l’inconnu… Le
rétablissement de la paix civile en Irak
passe par le vote d’une constitution
adaptée aux réalités du pays,
l’organisation de législatives
véritablement démocratiques et
l’élection d’un homme qui ne serait pas
choisi à Téhéran ou à Washington.
Vaste programme !
Photo:
Prêche du Calife Ibrahim à Mossoul
(4 juillet 2014)
Source :
Afrique Asie (septembre 2014)
http://www.wobook.com/WBD84sk8ey7S-f
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 1er septembre 2014 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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