L'actualité du
droit
Sarko et Copé : Ça plane pour les
irresponsables
Gilles Devers
Mercredi 17 février 2016
Hier soir, toute la presse
était encore sur sa lancée, qui avait
illuminé sa journée : Sarko plongeant
dans l’affaire Bygmalion. Très bien,
sauf que c’est faux : Sarko reste
étranger aux manips qui ont permis à
Bygmalion de détourner 18 millions €,
pour le profit de Sarko.
Oki. En attendant, regardez ces
nullards : Copé était le président de
l’UMP, et il est mis hors de cause ;
Sarko a été le seul bénéficiaire de ces
fonds, et il est mis hors de cause. La
vie est belle pour les irresponsables,…
mais qu’ils ne nous demandent pas de
leur faire confiance.
Une
affaire de financement politique
Dans cette affaire de
financement politique, il y a deux
volets bien distincts.
Pour toutes les campagnes
électorales, la loi a mis en place un
système qui repose sur deux principes :
le montant des dépenses est limité en
fonction d’un plafond, et le
candidat qui obtient un score
raisonnable, en général plus de 5 %,
obtient un large remboursement d’environ
50% de ses dépenses. Pour
la présidentielle de 2012, et avec les
deux tours, Sarko et Hollande ne devait
pas dépasser 22 millions €.
Sarko disposait déjà de moyens
importants, par le brassage politique
qu’il effectuait en qualité de
Président : c’est le jeu. Mais il y a eu
aussi la « vraie » campagne, donc 22
millions maximum. Sauf que Sarko a
dépensé beaucoup plus, en ajoutant 18
millions. Donc une campagne à 40
millions, déloyale à l’égard de son
concurrent qui restait aux 22 millions.
Pour planquer cette somme, les
prestations étaient effectuées par la
société Bygmalion, des copains de Copé,
et tout ce qui dépassait les 22 millions
a été facturé à l’UMP. Ceci est
parfaitement établi. Ceux qui avaient
les mains dans le cambouis - treize
anciens responsables de l'UMP, tous mis
en examen – ont confirmé les chiffres,
qui résultent des factures.
Et là,
vient le miracle de l’irresponsabilité
Je pensais que dans une société
digne, ceux qui ont dirigé ou qui ont
profité, assumaient à la place de ceux
qui ont cru devoir rendre service. A
l’UMP/Les Rep’, c’est l’inverse : les
boss sont inatteignables, et ce sont les
tricards qui dérouillent. Joli.
Copé veut être président de la
République. Certes. Mais il explique que
quand il était le patron de l’UMP, ses
plus proches collaborateurs l’ont
enfumé, en lui faisant passer sous le
nez 18 millions d’euros en quelques
mois, et que lui-même ne s’est pas rendu
compte que la campagne de Sarkozy
doublait son budget. Le mec ne sera pas
poursuivi, mais franchement, comment
faire confiance à une nullité pareille ?
Soit le mec n’a rien vu et c’est une
tanche ; soit il a vu et il se planque,
et c’est une ficelle. En toute
hypothèse, on ne peut voter ni pour une
tanche, ni pour une ficelle.
Idem
pour Sarko
On ne sait pas ce qu’il y a
dans le dossier, donc prudence, mais on
se nourrit des déclarations de notre ami
François Molins, procureur de la
République de Paris, que l’on a parfois
connu plus expansif (…). Hier, c’était
service minimum, avec ce communiqué :
« Nicolas Sarkozy était
convoqué ce jour devant le magistrat
instructeur premier saisi du
dossier dit "Bygmalion-compte de
campagne" et a, à l’issue de
son interrogatoire de première
comparution, été mis en examen du chef
de « financement illégal de campagne
électorale pour avoir, en qualité de
candidat, dépassé le plafond légal de
dépenses électorales (article 113-1 3/
du code électoral). Il a par ailleurs
été placé sous le statut de témoin
assisté des chefs d’usage de faux,
escroquerie et abus de confiance ».
On décrypte ?
Témoin assisté, c’est le minimum
syndical des droits de la défense. Dès
lors qu’une personne est nommément visée
par un réquisitoire et qu’elle n'est pas
mise en examen, elle ne peut être
entendue que comme témoin assisté. On
passe à autre chose avec la
mise en examen, qui
relève du sérieux : le juge
d'instruction met en examen les
personnes « à l'encontre desquelles il
existe des indices graves ou concordants
rendant vraisemblable qu'elles aient pu
participer, comme auteur ou comme
complice, à la commission des
infractions dont il est saisi ».
Donc :
- il n’existe pas d’indices
graves ou concordants rendant
vraisemblable que Sarko a pu participer,
comme auteur ou comme complice, aux
magouilles de Bygmalion ;
- il existe des indices graves
ou concordants rendant vraisemblable que
Sarko a déclaré un compte de campagne
qui explosait le seuil autorisé.
En
résumé
Pour financer la campagne de
Sarko en perte de vitesse, il a fallu
doubler le budget autorisé. Donc tu
dépenses deux fois ta paye, et quand le
banquier t’appelle pour dire que tu as
explosé ton découvert, tu dis que tu
n’es pas au courant.
Tant mieux pour ces deux
irresponsables candidats à la présidence
de la République, qui échappent à la
répression pénale, ces angelots
innocents, qui vont laisser leurs
subordonnés patauger devant le tribunal
correctionnel. Tant mieux, mais des
planqués comme ça qui viennent ensuite
donner des leçons...
Sarko
quand même mis en examen…
Sarko se trouve mis en examen,
donc avec « des indices graves ou
concordants rendant vraisemblable qu'il
a pu participer, comme auteur ou comme
complice, à la commission d’une
infraction », à savoir celle prévue par
le troisième alinéa de l’article L.
113-1 du code électoral :
« I.-
Sera puni d'une amende de 3 750 euros et
d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une
de ces deux peines seulement, tout
candidat en cas de scrutin uninominal ou
binominal, ou tout candidat tête de
liste en cas de scrutin de liste, qui :
« 3° Aura dépassé le plafond
des dépenses électorales fixé en
application de l'article L. 52-11 ».
Cette infraction sanctionne un
fait : le signataire du compte de
campagne a dépassé le plafond des
dépenses électorales. Il y a violation
de la loi, donc le financement est
illégal, mais cela ne veut pas dire que
ce financement était frauduleux.
La mise en examen prononcée par
le juge d'instruction Serge Tournaire ne
légitime aucune implication de Sarko
dans le système des fausses factures
Bygmalion. On reste à la théorie du
demeuré crédule : il a signé un compte
de campagne qui explosait le plafond,
mais il ne se doutait pas un instant que
c’est l’UMP qui payait la différence.
Une
infraction purement formelle ?
Ayant évité la mise en examen
pour le volet Bygmalion, mon excellent
confrère Herzog avait hier soir
d’excellentes raisons de vouloir pousser
son avantage en expliquant que le
Conseil constitutionnel s’était déjà
prononcé sur ce dépassement de campagne,
pour se contenter de rejeter le compte
de campagne et faire payer une pénalité.
Sous-entendu, on va régler ça en
cinq minutes, car la sanction a déjà
été prononcée, et l’irresponsable
Sarkozy pourra se présenter aux
primaires comme l’irresponsable Copé.
Mais là, l’ami Herzog va un peu
vite en besogne.
Le Conseil constitutionnel
s’est prononcé par une décision n°
2013-156
du 4 juillet 2013, qui laisse entier
le jeu du pénal. Les procédures
comptable et pénale ont des objets
différents, la preuve étant que la loi a
prévu d’un côté une sanction financière
par la Commission des comptes, contrôlée
par le Conseil constitutionnel, et de
l’autre côté, l’infraction pénale de
l’article L. 113-1, 3°.
De plus, le Conseil
constitutionnel avait été saisi d’un
recours formé contre la décision de la
Commission nationale des comptes de
campagne et des financements politiques
qui,
le 19 décembre 2012, avait rejeté le
compte de campagne de Sarko. Mais à
l’époque on ignorait tout de l’affaire
Bygmalion, et des 18,5 millions d’euros
de dépassement Sarkozy. Le compte avait
été rejeté pour un excès de dépenses
électorales de 466.118 euros, soit 2,1%,
le plafond autorisé.
Alors, cette mise en examen est
à la fois minimaliste et maximaliste.
Elle est minimaliste, car l’infraction
consistant à avoir dépassé le compte de
campagne n’a rien à voir avec
l’implication dans des manœuvres
frauduleuses pour détourner de l’argent.
Dans le même temps, elle
est maximaliste, car il sera bien
difficile à Sarko d’expliquer qu’il n’a
pas «dépassé le plafond des dépenses
électorales ».
Donc, à prévoir un passage
devant le tribunal correctionnel pour
notre ami Nicolas, ce qui sera un grand
moment d’émotion, Sarko expliquant « je
ne savais pas » devant toute l’équipe
qui s’est décarcassée pour trouver
l’argent indispensable à sa splendide
campagne… Et ce mec veut redevenir
président de la République…
Alors Sarko, tu assumes ou tu
te planques ?
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